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Expérimentation, Recherche d’inspiration (1907-1918)

2. Répartition et insertion dans la ville

2.2. Le ciné dans la cité

2.2.1. Analyse des parcelles occupées

Nous avons déjà évoqué la corrélation mise en évidence par Bernard Rouleau entre les rues, leurs commerces et le parcellaire89 ; il convient, donc, de commencer l’analyse des parcelles en fonction des voies qu’elles bordent. En ce qui concerne la largeur des rues admettant les cinémas, l’éventail est considérablement large, allant de 8 m (rue du Temple, rue La Condamine) à 70m (avenues des Champs Elysées et de la Grande Armée). Cependant, les trois périodes successives se différencient plus ou moins sur ce point. Dans la première vague (1907-1910), la largeur des rues dans lesquelles s’installent les cinémas varie entre 10m (les rues Victor Cousin et Raymond Losserand) et 44m (rue des Pyrénées) avec une moyenne de 20m. Dans la seconde vague, les deux extrémités s’étendent à 8m et 70m, et on assiste à une augmentation annuelle de la moyenne, passant de 21m en 1911, à 22m80 en 1912, et enfin, à 23m20 en 1913. Les cinémas de l’avant guerre, ne s’installent qu’exceptionnellement dans des rues de moins de 12m ou de plus de 35m de largeur. Cette tendance est, en revanche, modifiée pendant les années de la guerre, où la largeur des rues accueillant les nouvelles salles, s’échelonne entre 20m et 70m pour une moyenne avoisinant 36m90. Par conséquent, les établissements cinématographiques s’implantent peu à peu dans des parcelles bordées par des voies de plus en plus larges, autrement dit, ils conquièrent progressivement les grandes artères de la ville. De même, l’examen de la situation des parcelles par rapport au réseau viaire accuse une préférence grandissante pour les parcelles qui se trouvent sur ou à proximité des croisements de rues. Si dans la première vague, moins d’un tiers des salles sont établies dans des parcelles d’angle, traversant, situées en face de croisées des rues ou sur une place, cette proportion est d’environ 40% dans la seconde vague, et atteint trois quarts pour les années de la guerres. Ceci s’explique par la recherche de localisations « stratégiques », d’accès facile et multiple, bénéficiant des flux de passants considérés comme clientèle potentielle. Par ailleurs, comme cela a été mis en

89 Cf. Rouleau 1988, p. 116.

90 Encore que cette dernière période ne soit pas comparable aux deux précédentes en ce qui concerne le nombre des cinémas ; celle-là ne comptant que huit salles dans notre corpus, contre 32 et 33 pour les première et seconde périodes.

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évidence par B. Rouleau, il existe dans tous les quartiers de Paris, « une sorte de spécialisation des commerces en fonction de la largeur des rues », et notamment une concentration des commerces d’agrément ou de luxe « le long des voies plus larges surimposées, voies de dégagement pourvues de larges trottoirs »91. Dans cette optique, l’élargissement graduel des voies au bord desquelles s’installent les cinémas peut être interprété comme le classement de l’exploitation cinématographique dans le rang des commerces de luxe, autrement dit, l’acquisition progressive par le cinéma d’un certain « prestige ». Cela dit, la concentration progressive des cinémas sur les voies de plus en plus larges parallèlement à l’agrandissement graduel des salles n’annonce pas encore une corrélation entre la largeur de rue et les proportions de salle. On retrouve tout au long de cette période, des salles de plus d’un millier de places implantées dans des rues de moins de 10m de largeur aussi bien que des cinémas de moins de 400 places établis aux bords des voies larges au-delà des 40m ; pour les deux cas extrêmes, citons le Batignolles Cinéma de la rue La Condamine, une salle de 1475 places construite en 1913 dans une rue large de 8m, et le Parisiana Cinéma de 1907, 380 places, dans la partie de la rue des Pyrénées dont la largeur atteint 44m. Comme nous le verrons, les relations entre la capacité des salles, leur situation dans le réseau viaire et la largeur des voies qu’elles bordent, ne fera l’objet de règlementation que vers la fin des années 192092.

Nous poursuivons l’étude parcellaire avec une analyse planimétrique basée sur deux types de critères : les proportions (largeur, surface), et la forme. En ce qui concerne la largeur des parcelles sur rue ou la façade, la diversité est impressionnante, allant de 3m seulement (Cinéma Park, rue des Pyrénées, 1914) à 47m (Cinéma Music Hall Empire, rue du Faubourg Montmartre, 1912). Pour mieux en apprécier l’étendue, comparons les moyennes annuelles de la largeur des parcelles occupées : avant 1912, cette valeur avoisine 17m, sauf en 1908-1909 où elle n’est que de 14m30. Pour 1912 et 1913, en revanche, on enregistre une hausse considérable de cette moyenne, atteignant respectivement 19m50 et 18m80. Une nouvelle chute pendant les années de la guerre, la ramène presque au niveau de 1908-1909, soit 14m90. Cette oscillation, comparée à la hausse constante de la capacité des établissements, décèle l’indépendance des proportions de la salle et de la largeur des parcelles sur rue, autrement dit de la façade. D’ailleurs, les cinémas n’occupent pas toujours des parcelles entières, mais partagent souvent la façade avec des boutiques, cafés, bars ou encore des entrées d’immeubles de logement. La diversité des parcelles affectées aux cinémas est encore plus appréciable, lorsque l’on pose la surface comme critère de comparaison : alors que la plus petite parcelle ne fait que 140m², la plus vaste s’étend sur

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2850m² (il s’agit respectivement du Bijou Cinéma, rue Riquet, 1910 et du Cinéma Max Linder, boulevard Poissonnière, 1917). La moyenne annuelle des surfaces des parcelles permet, également, de rendre compte de l’évolution de leur étendue. Les premiers cinémas parisiens de 1907 s’installent dans des parcelles mesurant en moyenne 750m², tandis que pour les deux années suivantes, la surface moyenne des parcelles atteint à peine 315m². Le rétrécissement des parcelles destinées aux cinémas, pendant la phase critique de 1908-1909, va de pair avec le rapetissement des salles dont la capacité moyenne passe de 707 places en 1907 à 490 pour les deux années suivantes. Cela dit, dès 1910, la surface moyenne des parcelles remonte à 600m², et enregistre désormais une augmentation régulière à raison d’environ 100m² par an jusqu’en 1912-1913. Cette extension des parcelles rime avec une augmentation, au même rythme, de la capacité moyenne des salles, passant de 592 places en 1910 à 671 en 1911, puis à 775 en 1912, pour atteindre 830 à la veille de la guerre. Quant à la période des conflits, ces valeurs connaissent toutes deux un saut considérable, la surface moyenne des parcelles s’élève à 1370m², et la capacité moyenne des salles dépasse le millier de places. Ainsi, force est de constater qu’il existe, a priori, une relation quasi linéaire entre la surface de la parcelle et la capacité de la salle ; encore que certaines déviations se manifestent sporadiquement, celles-ci relevant soit de l’affectation partielle d’une vaste parcelle au cinéma, soit de l’existence de plusieurs niveaux de places dans la salle, ce qui permettrait l’augmentation de la capacité sur une surface donnée.

L’analyse formelle des parcelles affectées aux cinémas permet de les regrouper en quatre catégories principales : les parcelles rectangulaires, trapézoïdales, en trapèze rectangle et enfin, en formes composées que nous appellerons enveloppantes ; ces dernières figurant généralement des compositions en L ou en T. Quant à leur récurrence, on retrouve, en premier lieu, les parcelles rectangulaires qui accueillent un tiers des cinémas de toute cette période ; pour la première vague des salles (1907-1910), on pourrait même parler de l’hégémonie de ce type qui regroupe 80% des cas. Ceci étant, à partir de 1910, la fréquence des parcelles rectangulaires se réduit au profit, notamment, des formes en trapèze rectangle et enveloppante en L. Les parcelles en trapèze rectangle représentent le second type le plus courant et correspondent à 22 des 73 cinémas de cette époque ; elles sont aussi présentes dans les deux vagues successives des salles que pendant les années de la guerre. Cette configuration parcellaire est souvent le résultat de la superposition d’une voie radiale à la trame plus ou moins orthogonale existante ; ces percées obliques engendrent, effectivement, des îlots triangulaires qui sont d’ordinaire divisés en parcelles trapézoïdales-rectangles. Cette forme urbaine porte, généralement, la marque des grands

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travaux de Haussmann93. La plupart des cinémas établis sur des parcelles de cette forme se situent dans le XIIIe, XVIIe, XVIIIe et XXe arrondissement ; ceux-là mêmes qui ont été essentiellement structurés et aménagés sous le Second Empire et par les projets haussmanniens. Les avenues de Wagram et de Saint Ouen, par exemple, comptent chacun deux exemples de ce type. Comme nous le verrons plus loin, cette configuration de parcelle en trapèze rectangle se trouve à l’origine d’une composition de plan très courante dans les cinémas, non seulement de cette période, mais aussi postérieurs ; le parti consiste à aménager un hall triangulaire côté rue pour obtenir une salle en rectangle au fond de la parcelle94. Les parcelles enveloppantes, qu’elles soient en L ou en T, sont également caractéristiques de la seconde vague des cinémas (1911-1913). Celles-ci ont en général une superficie plus grande que les trois autres types ; leur surface moyenne est de 1084m² contre 778m² pour les parcelles trapézoïdales, 658m² pour les parcelles rectangulaires et 595m² pour les parcelles en trapèze rectangle. Par conséquent, la tendance progressive des salles à s’établir dans des parcelles plus étendues, que nous avons déjà repérée, ne semble pas sans rapport avec la récurrence du type enveloppant à partir de 1911. Loin derrière ces trois formes principales, les parcelles trapézoïdales ne concernent que 4 projets de toute cette période ; tous datant de la seconde vague des cinémas voire des années de la guerre. La répartition géographique des différents types parcellaires permet , également, certaines constatations : d’abord, la nette concentration des parcelles en trapèze rectangle dans les quartiers limitrophes du nord et du nord-est dont la raison a été en partie dévoilée ci-dessus ; ainsi, les quatre derniers arrondissements (XVIIe au XXe) comportent les trois quarts de ce type de parcelle, tandis que l’on n’en retrouve que rarement dans les secteurs centraux et sur la rive gauche ; le XIIIe arrondissement excepté, dont la quasi-totalité des salles sont établies dans des parcelles de cette forme. En revanche, dans les Xe et XIe, XIVe et XVe arrondissements, les parcelles rectangulaires dominent largement ; alors même que plus on s’approche du centre et de l’ouest (du Ier au IXe arrondissement), plus importante est la diversité formelle des parcelles affectées aux cinémas, et plus courants sont les différents types enveloppants. Cela dit, la variété tant proportionnelle que formelle des parcelles, aussi bien vers le centre que sur la couronne parisienne, ne permet pas d’avancer que les secteurs centraux soient progressivement prisés par les exploitants simplement en vertu de leur parcellaire. Il semblerait, au contraire, que des enjeux économiques, parmi lesquels la rentabilité de l’établissement, ont orienté les exploitations vers certains quartiers où elles se sont installées dans des parcelles plus ou moins appropriées. Néanmoins, plus une parcelle est étendue et sa forme complexe, plus nombreuses sont les possibilités qu’elle offre à la

93 Voir Panerai 1997, p. 32.

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salle qui s’y établit, notamment en ce qui concerne ses proportions et sa forme ; vérifier cette proposition implique, à présent, l’étude de l’implantation des cinémas dans les parcelles.