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Théorisation, synthèse des expériences (1919-1929)

1. L’essor de l’après guerre (1919-1920)

1.3. Nouveaux projets dans la lignée des anciens

1.3.3. Le décor, une question majeure

Dans les premiers projets, notamment ceux qui incarnent le type originel du cinéma, la décoration de la salle se limitait à quelques touches d’ornement : une bande de guirlandes, une frise ou des encadrements moulurés, appliquées sobrement aux parois latérales. Dans la seconde vague, à compter de 1910, concomitamment avec les prémices d’une certaine théâtralisation des salles, le décor a pris une importance grandissante, enrichi d’éléments puisés, généralement, dans les motifs classiques : colonnes et pilastres de divers ordres, entablement, cartouche, médaillon, fronton, etc. Quelques aspirations à l’Art-nouveau278 se sont également manifestées à la veille de la guerre dont l’exemple par excellence est l’Artistique Pathé de l’architecte Marcel Oudin. C’est dans la continuité de ces trois tendances décoratives que la grande majorité des projets de l’immédiat après guerre sont conçus. Si l’on excepte les trois soi-disant « palaces » Marcadet, Magenta et Cinéma Gaumont dont les plans ne rendent pas compte de la décoration intérieure, ainsi que les trois

278 Par Art nouveau on entend ici et par la suite, ce que François Loyer définit comme un mouvement architectural développé à compter de 1907-1908 en France et surtout à Paris, se caractérisant par l’abandon d’excès et d’exubérance formelle de l’art floral ; le même qu’il désigne tour à tour « Art nouveau assagi » et « adouci », ou encore « école typiquement parisienne de l’Art nouveau tardif » ; voir Russell 1982, p. 134.

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cinémas Louxor, Sèvres et Belgrand qui se singularisent par un décor original, la vingtaine d’établissements restant s’inscrivent dans les trois catégories ci-dessus décrites. Pas moins de huit projets s’apparentent, de part leur sobriété décorative, au type originel des cinémas. Ils se caractérisent par une mince décoration ponctuelle, constituée, le plus souvent, de bande moulurée appliquée à l’ouverture de la scène pour encadrer l’écran (Suffren Cinéma [p. 78], Cinéma Bal [p. 75], Cinéma Vénus [p. 86] et Grand Cinéma de l’avenue Bosquet [p. 87-88]), complétée des fois par une frise (Suffren Cinéma) ou des arcades feintes sur les parois latérales (Cinéma Imperia [p. 71]), ou encore, dans quelques grandes salles, par une coupole légèrement décorée (Palladium [p. 77], Cinéma Convention [p. 80-81]). Sur cette catégorie de salles, plusieurs remarques sont à faire : d’abord, leur répartition quasi équitable à travers la ville, et ce, contrairement à la période d’avant guerre où le décor modéré rimait, en général, avec les cinémas des quartiers populaires ; ainsi peut-on désormais ranger à côté des salles du XIXe et du XXe (Cinéma Bal, Cinéma Vénus, sis respectivement rue et boulevard de Belleville), deux salles du XVIe arrondissement (Imperia, rue de Passy et Palladium, rue Chardon Lagache). Ensuite, il faudrait évoquer la variété dimensionnelle de ces cinémas : dans un même arrondissement (le XVe), un immense établissement tel le Casino de Grenelle avec ses 2500 places côtoie, sur le plan décoratif, une modeste salle de 400 places, le Suffren Cinéma. Enfin, bien que la plupart de ces salles modérément ornées soient conçues par des architectes peu connus, quelques unes portent la signature d’architectes réputés pour leur goût de décor et en particulier leur penchant pour l’Art-nouveau : notamment le Cinéma Bal et le Cinéma Convention, dessinés respectivement par Auguste Bluysen et Marcel Oudin. Ceux-ci sont tous deux auteurs de plusieurs édifices antérieurement réalisés dans le style floral279. Le dernier adopte, d’ailleurs, le même mode de décor dans ses deux autres cinémas de cette époque. La sobriété, dans ces cas-là, provient-elle alors de la réticence des commanditaires face à l’exubérance décorative, que ce fût en raison de divergence de goût, ou manque de moyens financiers ? Ou s’agit-il simplement du défaut d’indication de la décoration sur les plans de permis de construire ? Rien de ce dont nous disposons ne permet de trancher.

En contrepartie des huit cinémas plus ou moins sobres de décor, il en est cinq richement ornés dans un style classique, évoquant les théâtres et les opéras du XIXe siècle. Etablis pour la plupart dans des quartiers centraux ou élégants de Paris (rue du Faubourg du Temple, boulevard Saint Marcel, rue de Rennes, avenues Bosquet et Emile Zola), ceux-ci représentent de vastes établissements de 800 à 1700 places. En font notamment partie les deux salles Aubert (Régina Palace, VIe et Moderne ou Grenelle Palace, XVe

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arrondissement) dessinées par l’architecte Henri Belloc. Ce dernier, diplômé de l’école des Beaux-arts au début du siècle, recourt, dans ces deux cinémas, à un décor abondant et classicisant. Au Regina palace, il fait baliser les parois de la salle de double pilastre dorique sur piédestal supportant un entablement à frise dépouillée, et couvrir les surfaces d’entrecolonnement de vases, d’appliques et de tenture. Pour encadrer l’écran, il a recours à un édicule dont le fronton est remplacé par un cartouche surmonté de l’emblème de la société Aubert : un globe que tient dans ses serres un aigle aux ailes grand ouvertes. Le plafond, lui, est conçu sous forme d’une voûte ornementée sur corniche. Au « Moderne » Palace [p. 89], l’architecte Belloc opte pour l’ordre toscan ; supprimant la parure des murs latéraux, il maintient néanmoins la surcharge décorative côté écran : ce dernier est flanqué d’orgues, de vases et d’appliques, surmonté par un grand bas-relief apparemment de La Cène, le tout couronné d’un fronton cintré sculpté en emblème d’Aubert. Une inspiration classique non moins éclatante est observée dans la décoration du Palais des Glaces [p. 85], cinéma dessiné par un autre élève des Beaux-arts diplômé naguère, l’architecte Constant Lefranc. Pour agrémenter les parois latérales, celui-ci emprunte le motif palladien, balisé de pilastres ioniques, embrassé par deux doubles colonnes engagées à la dorique portant un entablement, sans hésiter à y ajouter, par surcroît, des guirlandes, des appliques et des vases suspendus aux clefs des arcs. Quant à l’écran, il le fait encadrer par deux pilastres et un entablement brisé à la frise enguirlandée ; ce même motif sert, par ailleurs, de parement aux garde-corps des galeries. Le plafond de la salle, aux angles arrondis précédés de caissons aux extrémités, est constitué d’un plateau mobile au centre, ce qui permettrait, comme au Palais Montparnasse réalisé juste avant la guerre, l’ouverture de la toiture, donc une salle profitant de la vue du ciel nocturne en tant qu’un supplément de décor. Une telle décoration classicisante n’est pas l’apanage des anciens élèves des Beaux arts ; Emile Thion, par exemple, qui n’a pas intégré l’Ecole, s’empare également de ce mode décoratif dans la conception du Grand Cinéma de l’avenue Bosquet. Cet architecte obscur dont sera reconnue, paradoxalement, la façade Art-déco/Art-nouveau du Cinéma Opéra de Reims datant de 1923280 [Fig. 29, p. 160], lui aussi, puise, pour son projet parisien de 1920, des éléments de décor dans le vocabulaire de l’architecture classique : pilastres cannelés aux chapiteaux ioniques, architrave et large frise recouverte de guirlandes et de médaillons sur les parois latérales ; édicule à fronton cintré et sculpté comme enveloppe de la scène ; cadre mouluré couronné de cartouche autour de l’écran. Cependant, la théâtralisation de la salle ne se concrétise pas toujours, ni exclusivement par l’usage de motifs et d’ornements classiques. Le Cinéma Saint Marcel [p. 72-73] est conçu, par un architecte anonyme, à l’image d’un théâtre à l’italienne avec des arcades enveloppant les bras latéraux du balcon.

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Ceci étant, si l’on compare les deux années précédant et suivant immédiatement la guerre, le nombre de salles caractérisées par un mode de décor classico-théâtral n’a pratiquement pas augmenté, ce qui n’est pas le cas des cinémas dont la décoration tend à l’Art-nouveau.

Un mode de décor basé sur des compositions de lignes courbes et de formes géométriques, enrichi de motifs floraux et de fresques de paysage est adopté dans un tiers des salles de 1919-1920. Ces cinémas ornés d’un mélange nouveau tardif et d’Art-déco avant la lettre, sont à une exception près de grandes salles d’environ un millier de places, implantés à travers Paris, dans des quartiers très différents : aussi bien le Grenelle, l’Odéon et la Madeleine que le Clichy, Ménilmontant et La Villette. Ils résultent de l’entreprise de différents types de commanditaires : exploitants particuliers (Splendid et Ménil Palace), grandes sociétés d’exploitation telles les Etablissements Gaumont ou la Compagnie générale des Cinémas Family Palaces (Cinéma Madeleine et Danton), société entrepreneuse comme la Société foncière et industrielle (Clichy Palace) ou encore petite société à l’instar de Bonal et Cie (Cinéma du Delta). Malgré la diversité des maîtres d’ouvrage, la plupart de ces cinémas portent le sceau de deux architectes : Marcel Oudin et Eugène Vergnes qui, à eux seuls, réalisent cinq des sept salles de ce type. Celui-là est l’un des rares architectes de cinéma de l’avant guerre dont la carrière s’étend jusqu’au début des années 1920. L’intérêt de M. Oudin pour les nouveautés en architecture, le béton armé comme matériau et l’Art nouveau comme mode de décor, s’est déjà manifesté, outre ses projets de cinéma de l’avant guerre, dans quelques immeubles de commerce et de logement dont le plus connu, les magasins A l’économie ménagère [Fig. 30, p. 160]. Nulle surprise, alors, si on le retrouve parmi les concepteurs des salles Art-nouveau ; au contraire, qu’il n’ait pas conçu le Cinéma Convention dans le même style, reste une énigme. En tout cas, le Cinéma Madeleine et le Cinéma du Delta qu’il projette en 1920 se caractérisent par cette tendance décorative dite « moderne », mais avec quelques légères différences : celui-ci se situe davantage dans le sillage de l’Art-nouveau de par ses motifs floraux ; celui-là incline plus à l’Art-déco avec la géométrisation des formes et le jeu de lignes et de volumes, d’ailleurs, mis en valeur par un éclairage spécifique. Ce dernier souligne le tracé des encadrements et des arcades qui couvrent les parois et le plafond, enveloppent la scène et l’écran [Fig. 38, p. 162]. Une figure aussi méconnue que M Oudin, Eugène Vergnes débute, pourtant, sa carrière en tant qu’architecte de cinéma avec trois projets de salles importantes : Splendid Cinéma Palace 1170 places, Cinéma Danton 1200 places, et Ménil Palace 900 places ; tous dessinés dans un esprit qui se veut « moderne », chacun se singularisant par un trait caractéristique. Le Spendid Palace se caractérise par l’absence de toute division appliquée aux murs latéraux, et davantage, par la tenture continue qui revêt toute l’enveloppe intérieure de la salle, les parois latérales comme le mur de l’écran [Fig. 40,

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p. 162]. Au Cinéma Danton, le décor se compose de grandes fresques illustrant des paysages et des vues de jardins [Fig. 32-33, p. 161]. Enfin, le Ménil Palace se singularise par ses rosaces lumineuses au centre des voûtes du plafond et ses motifs elliptiques marquant les arcades feintes des murs latéraux [Fig. 35-36, p. 162]. Hormis Oudin et Vergnes, les architectes Marteroy et Bonnel au Clichy Palace, et Henri Dubouillon à l’Alhambra optent pour un décor aspirant plus ou moins à l’Art-nouveau. En fait, la trame de la décoration, dans ces deux salles, composée d’une travée répétée sur les parois latérales et un encadrement ornementé autour de l’écran, ne diffère guère de la plupart des cinémas ; en revanche, leurs motifs végétaux et géométriques les rapprochent des tendances décoratives « modernes ». Ces deux exemples concrétisent, en fait, un mode de décor à mi chemin entre le style classicisant et l’inspiration Art-nouveau/Art-déco.

En marge de ces trois tendances principales héritées de l’avant guerre, quelques tentatives isolées de recherche de décor original se démarquent. Il y a d’abord le Louxor, un grand cinéma d’environ 1300 places, dessiné par l’architecte Henri-André Zipcy pour le compte d’un exploitant apparemment novice, dénommé Henri Silberberg. Tout à l’image du nom de l’établissement, le décor de cette salle est conçu dans un esprit ostentatoire d’aspiration à l’Egypte pharaonique [Fig. 41à 43, p. 162-163]. Les parois de la salle sont peintes en colonnade balisées de pilastre en marbre, le tout surmonté d’une frise en relief de figurines égyptiennes et de masques mortuaire pharaoniques. Cette même bande surplombe le cadre doré et ornementé de l'écran. Le plafond est en caissons décorés éclairés d’une lumière ponctuelle au centre. Un motif manifestement symbolique, formé d’une paire d’ailes grand ouvertes avec au centre un cercle flanqué de cobras, se répète ; appliqué aux garde-corps des balcons, couronnant également le cadre de l'écran. Cet exemple singulier de « l’orientalisme » dans la décoration des cinémas parisiens ne va pas sans susciter la curiosité quant à ses origines et sa motivation. En fait, s’emparer de noms symboliquement exotiques pour singulariser son établissement et intriguer le public, n’est pas une astuce sans précédent ; les deux cinémas baptisés Alhambra, dans le XIXe et le XXe arrondissement, datant de 1907 et de 1920, en attestent. Or, ceci n’a pas eu, jusqu’alors, d’implication concrète sur le plan architectural et décoratif tel que l’on observe au Louxor. Le commanditaire de cette salle reste un personnage obscur de l’exploitation cinématographique. En revanche, de son architecte, Henri Zipcy, on sait qu’il est né en Turquie, en 1873 ; entré à l’école des Beaux-arts à l’âge de 19 ans, il a intégré l’atelier Redon et a été admis en première classe en 1897, mais n’obtient pas son diplôme ; en 1907, il est présenté comme « architecte à Constantinople »281. L’attachement à une culture

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orientale dont témoigne le parcours de l’architecte, ne saurait être la seule explication de la conception à l’égyptienne du Louxor. Alors, au delà des intentions propres aux principaux protagonistes, ce projet porterait-il la marque des sensibilités contemporaines ? Quelques indices appuient cette hypothèse. D’une part, ce que l’on appelle « l’orientalisme moderne », surtout en peinture, connaît un âge d’or au lendemain de la Grande guerre282, ce qui accuse un certain intérêt pour les cultures d’ailleurs. D’autre part, l’Egypte islamique, et plus tard antique, avait charmé les architectes français, depuis une cinquantaine d’années et surtout suite aux premières fouilles archéologiques entamées dans les dernières décennies du XIXe siècle. Cette fascination de la civilisation pharaonique est stimulée, de temps à autre, par des découvertes retentissantes d’archéologues dont l’une des plus impressionnantes, celle de la sépulture de Toutankhamon par le britannique Howard Carter, a lieu en 1922283. Cet événement ne passe pas inaperçu en France, or il n’adviendra que deux ans après l’élaboration du projet du Louxor. Toujours est-il que, à ce début des années 1920, l’antiquité pharaonique se trouve en honneur dans les salles de cinéma, non seulement à Paris, mais aussi sur la côte ouest des Etats-Unis. En effet, un certain Sid Grauman, exploitant américain, commanditaire de plusieurs salles, ouvre en 1922, sur le Hollywood Boulevard, un établissement, baptisé Egyptian Theater284, qu’il fait édifier, par les architectes Meyer et Holler, dans un décor, comparable au Louxor parisien, quoique nettement plus surchargé en symboles et motifs empruntés à l’Egypte antique [Fig. 44, p. 163]. L’auteur de Cinema

Builders, Edwin Heathcote tend à affilier cette réalisation à un courant général d’exotisme

dans la conception des cinémas, développé aux Etats-Unis dans les années 1920, dont les prémices se seraient manifestées à Berlin, en 1911, dans le Cines-Theatre d’Oskar Kaufmann et son porche couronné d’une statue de Buddha. Cet auteur britannique va même jusqu’à faire remonter la généalogie de ce courant à l’Egyptian Hall de Londres, érigé en 1812 à Piccadilly, par la suite affecté brièvement aux représentations d’images animées. En revanche, Heathcote ne fait qu’une sommaire allusion au Louxor, le considérant comme l’indice de l’admission de cette vogue d’exotisme à Paris285. Quelques remarques s’imposent à cet égard : d’une part, le Louxor parisien précède d’environ deux ans les réalisations comparables outre-Atlantique, d’autre part, il s’agit en fait d’un cas singulier en France et l’exemple ne sera pas suivi. Aussi, seul le Cinéma Sèvres de Henri Sauvage, dessiné la même année 1920, semble puiser quelques éléments de son décor dans l’art et la culture de civilisations exotiques, et encore d’une manière tempérée [Fig. 46, p. 163]. Le décor intérieur

282 Sur l’orientalisme en architecture voir Peltre 2004, p. 210-214 ; sur les peintres orientalistes Peltre 2008.

283 Sur les premiers architectes français qui s’intéressèrent à l’Egypte et y firent un voyage voir : Oulebsir & Volait 2009, en particulier « Les fondements de l’orientalisme architectural en France, les cours d’histoire de l’architecture de J.N. Huyot à l’école des Beaux arts (1823-1840) » par Pierre Pinon, pp. 13-26 ; et « Dans l’intimité des objets et les monuments, l’orientalisme architectural vu d’Egypte (1870-1910) » par Mercedes Volait, pp. 233-251.

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de cette salle est plutôt sobre : des arcades feintes sur les parois latérales ; un encadrement en marbre cannelée enveloppant la scène et l'écran, le tout couronné d’une sorte de fronton cintré sculpté de masques et de motifs visiblement précolombiens. A noter par ailleurs que, même en ce qui concerne l’emprunt de motifs aux anciennes civilisations d’Amérique, l’exemple parisien devance son équivalent américain, le Mayan Theater de Los Angeles ; ce dernier n’étant construit qu’en 1922. Cela dit, l’exemple américain est, encore une fois, de loin plus surchargé, marqué par une exubérance de formes, et des proportions titanesques [Fig. 47, p. 163]286. En tout cas, quand bien même l’on admettrait la thèse de Heathcote voulant que dans les cinémas des années vingt, se propageât une tendance à l’exotisme, apprécié, développé et préconisé par les américains, il n’en reste pas moins qu’elle est de moindre importance, en France et à Paris, notamment par rapport au courant Art-nouveau, et ne procède vraisemblablement pas de l’influence des salles hollywoodiennes puisque les cinémas « exotiques » parisiens devancent leurs homologues outre-Atlantique.

Un autre mode de décor, aussi marginal que l’exotisme et non moins insolite, consiste en l’utilisation de la lumière comme un élément décoratif à part entière. En parlant du Madeleine Cinéma [Fig. 38, p. 162], nous avons fait allusion au parti tiré de l’éclairage par Marcel Oudin, cherchant à exalter le décor, accentuant les formes et volumes intérieurs par des tubes luminescents qui courent le long des poutres, encadrements et arcades. Ce même dispositif est, également, adopté par Henri Zipcy au Louxor, quoique moins audacieusement. Lors de la réalisation du Montrouge Palace, un projet de l’avant guerre dont la construction ne s’achèvera qu’en 1921, le même architecte Oudin tente une décoration encore plus innovante [Fig. 26, p. 160]. Il fait installer, dans les angles de la salle, du côté de l’écran, deux fontaines lumineuses, créant ainsi une composition dont Eugène Vergnes admirera l’« attrait particulier et artistique » dans son ouvrage sur les cinémas publié en 1924287. Soulignons au passage la primauté de l’architecte Oudin qui, figurant parmi les premiers à introduire l’Art-nouveau dans les cinémas avant la guerre, compte encore parmi les précurseurs frayant une nouvelle voie dans la décoration des salles. Dans le même esprit, mais par une technique plus originale, Henri Sauvage conçoit et applique un « décor lumineux », changeant et chatoyant, au plafond du Cinéma Sèvres. Ce plafond, d’après la description d’Eugène Vergnes, est constitué de trois voûtes annulaires entre lesquelles « sont dissimulés des projecteurs électriques qui projettent des images sur les murs et au plafond et renouvellent le décor de la salle »288. Cette disposition décorative paraît

285 Ibidem.

286 Ibid. p. 17.

287 Vergnes 1925, P. 13.

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singulièrement précoce, très en avance pour son époque, et n’aurait pas de pair, à notre connaissance, parmi les cinémas contemporains. Cette expérience d’Henri Sauvage présage un nouvel usage architectural de la lumière électrique comme un matériau esthétique moderne ; concept qui ne connaîtra son plein épanouissement qu’à la veille de la