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Théorisation, synthèse des expériences (1919-1929)

1. L’essor de l’après guerre (1919-1920)

1.3. Nouveaux projets dans la lignée des anciens

1.3.1. La salle, « l’élément dominant »

269 Bertaut (s.d.) ; Voir aussi Vignes 1984.

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Nous avons constaté l’irrégularité formelle, générale à cette époque, des parcelles affectées aux nouveaux cinémas, ceci pose en premier lieu le problème de l’adaptation de la forme de la salle au parcellaire, donc celui de la composition du plan. Parmi les 26 projets de cette vague, seule une dizaine est implantée dans des parcelles formellement régulières : plus couramment rectangulaires, moins souvent légèrement trapézoïdales. Dans ces cas, la configuration de la parcelle est toujours transmise, sans grande modification, à la salle et ses dépendances ; celles-ci se voient ainsi conférer un plan plus ou moins régulier. Il en résulte souvent des salles proprement rectangulaires (Cinéma Bal, Ménil Palace, Cinéma Convention, Palais des Glaces, Cinéma Vénus, Gaumont Cinéma Palace) et quelquefois en éventail (Clichy Palace et Grand Cinéma Bosquet). Au reste, dans la majorité des projets, les terrains d’assiette comprennent des parties biscornues et des appendices difformes, alors, le problème de configuration de la salle devient prédominant, d’autant plus que la salle est

généralement considérée comme l’élément dominant ou la partie principale de la

composition. Face à ce problème, l’unique solution unanimement adoptée, d’ailleurs pareille qu’auparavant, consiste à aménager diverses dépendances (hall, cour, WC, débarras etc.) dans les parties biscornues du terrain272. De cette manière, on parvient à établir une salle de

forme géométriquement « noble ». La difformité de la salle n’est tolérée

qu’exceptionnellement, seulement dans quelques projets où les anomalies parcellaires sont telles qu’une régulation effective entraînerait une perte de places considérable ; ce qui serait d’autant plus inadmissible que ces projets-là représentent souvent des salles de proportions relativement modestes. Au Suffren Cinéma [p. 78] et à l’Alhambra, par exemple, des salles respectivement de 400 et de 300 places dont les parcelles sont constituées de deux parties longitudinalement désaxées, on observe une configuration en rectangle sensiblement tordu. De même, au Palladium, un vaste établissement d’un millier de places, une importante avancée tortueuse du mitoyen empiétant sur la salle, prive cette dernière d’un plan proprement rectangulaire [p. 77]. Ceci dit, même dans ces cas d’exception, on remarque un certain effort de préserver, autant que possible, la symétrie et la géométrie orthogonale de la salle moyennant la dissimulation des difformités de moindre importance.

La primauté de la forme de la salle dans la composition des plans est davantage flagrante à travers les projets qui occupent des parcelles nettement irrégulières. La forme typique de salle pour laquelle optent la majorité des architectes est le rectangle (Régina Aubert Palace, Splendid Cinéma, Cinéma de la Madeleine, Louxor, Casino de Grenelle et Stella Cinéma), à défaut, des figures légèrement dérivées : rectangle écorné (Danton

271 Voir supra : 3.2. Le choix des architectes, p. 58.

272 Cette méthode n’est pas sans rappeler la pratique traditionnelle de « rachat » dans la composition des plans d’immeubles parisiens ; cf. Eleb 1989.

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Cinéma Palace et Moderne Aubert Palace) ou aux angles rabattus (Marcadet Cinéma Palace). Cette configuration de la salle est généralement obtenue par le biais de l’installation d’importantes scène et fosse d’orchestre, lorsque la partie biscornue se trouve au fond du terrain ; par l’établissement de vastes halls quand la parcelle est déformée côté rue ; et par l’aménagement de cours, dégagements et groupe de WC quand la parcelle comporte des appendices latéraux. Le cas du Splendid Cinéma est, à cet égard, particulièrement intéressant [p. 74]. Confronté à une parcelle aux mitoyens évasés vers le fond, l’architecte Eugène Vergnes prend le parti d’une salle rectangulaire et non en éventail, bien que celle-ci eût été mieux adaptée aux contours parcellaires, et que celle-là oblige à délaisser une grande surface contiguë à la salle. Encore est-il que le parti adopté peut se justifier par la possibilité d’éviter les parois divergentes vers l’écran tout en plaçant ce dernier face à l’entrée avec l’accès au balcon du côté de la rue ; tout cela au prix d’aménager un grand espace en dégagement latéral longeant la paroi de la salle. Dans une situation parcellaire semblable, des solutions radicalement opposées sont aussi observées ; d’abord, celle de l’architecte anonyme du Cinéma Saint Marcel qui conçoit une salle presque en éventail, sans trop se soucier, d’ailleurs, de la perfection symétrique et géométrique. Il se contente d’installer, dans la partie déformée au fond de la parcelle, des groupes sanitaires et une grande scène encadrée d’encoignures arrondies, de façon à disposer le mur de fond de la salle perpendiculairement à l’axe longitudinal [p. 72-73]. Henri Sauvage, dans son Cinéma Sèvres, opte également pour un plan trapézoïdal de salle suivant la configuration de la parcelle, et ce, malgré la légère divergence des parois latérales vers l’écran. Il essaie néanmoins de conformer la disposition des places au champ de visibilité de l’écran en rabattant les deux angles avant de la salle ; aussi fait-il pivoter les premiers rangs pour adoucir l’inconfort des places de côté. Parallèlement à ces exemples, il faudrait évoquer le cas singulier du Magenta Palace, un vaste établissement étendu entre la place et la rue de la Chapelle dont l’architecte n’est pas identifié. Occupant une parcelle en T, cette salle eût pu configurer une géométrie orthogonale, or à ce parti « normal » sinon banal, a été préférée une configuration pour le moins insolite, presque en Y, une forme moyennement régulière quoique sensiblement symétrique [p. 78-79]. Cette solution permet visiblement un gain de places non négligeable, mais n’est pas sans quelques inconvénients quant à l’accès du balcon, et la visibilité de l’écran de certaines places. Quoi qu’il en soit, le Magenta Palace illustre l’exemple de compromis entre l’exigence de rentabilité, les « principes de composition » et les impératifs de confort et de commodité.

Par ce qui précède, il s’avère que la forme a priori de la salle reste le rectangle, laquelle n’est transgressée que lorsque les circonstances parcellaires ou les considérations d’ordre économiques obligent. Les salles en éventail demeurent toujours marginales (quatre

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projets sur 26) et souvent aménagées à contresens, avec les parois divergeant vers l’écran, une disposition à l’encontre du champ visuel du spectacle. Ceci trahit, par ailleurs, la place encore secondaire de la question de visibilité, sinon l’insouciance à son égard, dans la conception des salles de cinéma ; mêmes des architectes tels que Henri Sauvage, n’hésitent pas à sacrifier le confort visuel à la commodité d’accès au balcon ou encore au principe d’installer l’écran face à l’entrée de la salle. Pour revenir au problème de la salle dans la composition des plans, deux procédés différents, deux démarches quasiment inverses semblent se distinguer : définir, d’abord, la configuration de la salle comme l’élément dominant et puis aménager les dépendances dans les espaces résiduels, ce qui n’est pas sans rappeler les préceptes de l’Ecole des Beaux-arts273 ; ou au contraire, établir les dépendances dans les parties biscornues de la parcelle, ensuite affecter l’espace restant à la salle. La majorité des projets dans les parcelles irrégulières (9 sur 15) procèdent vraisemblablement de la première démarche ; parmi ceux-ci deux tiers sont dessinés par les anciens élèves des Beaux arts. Faudrait-il y voir la conséquence des enseignements de l’Ecole ? La question est en réalité plus complexe. D’une part, tous les anciens élèves de l’Ecole n’adoptent pas le procédé basé sur un parti formel a priori ; si Eugène Vergnes y a recours dans la plupart de ses projets, H. Belloc et H. Sauvage optent, en fonction du parcellaire, pour l’une ou l’autre méthode. Par surcroît, il ne faut pas oublier la volonté de s’émanciper des préceptes de l’école qui germe à cette époque chez d’anciens élèves, entre autres Henri Sauvage274. D’autre part, même dans les projets procédant visiblement de la seconde méthode où la forme de la salle n’est pas une préoccupation principale, un effort d’obtenir un plan de salle géométriquement régulier et symétrique est observé ; cela malgré que ces plans fussent dessinés par des architectes hors de l’Ecole. Somme toute, la forme de la salle demeure, dans cette troisième vague des projets, subordonnée davantage aux contraintes parcellaires, aux exigences économiques et aux soucis compositionnels qu’aux impératifs fonctionnels, notamment de la visibilité. En est-il de même quant à la disposition intérieure des salles ?