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Expérimentation, Recherche d’inspiration (1907-1918)

4. Conception et composition architecturale

4.3. Evolution technique et conséquences architectoniques

4.3.1. Lumière dans la salle obscure

Rien de plus évident qu’il n’y a pas de cinéma sans une puissante source de lumière. De surcroît, la nécessité de l’obscurité totale dans la salle de projection appelle d’ores et déjà l’emploi d’un système d’éclairage artificiel. Aux débuts du cinéma, précisément jusqu’aux années 1907-1908, le gaz et l’électricité rivalisent sur ce terrain comme ailleurs ; éclairage électrique n’ayant pas encore atteint la perfection, doit faire ces preuves face à un concurrent implacable, l’éclairage au gaz. On assiste presque quotidiennement à des progrès déterminants pour la future hégémonie de l’électricité, notamment dans la production

226 Sur l’application des progrès techniques en matière de chauffage, ventilation et éclairage à partir des années 1900, voir Banham 2011, p. 97 et suite ; sur l’évolution du mode de construction entre 1900 et 1920 à travers l’exemple des réalisations d’Auguste Perret, voir Fanelli & Gargiani 2008, p. 241-265.

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de nouvelles ampoules plus économiques et d’une meilleure qualité de lumière228. C’est finalement l’électricité qui l’emporte, principalement en raison de ses avantages sécuritaires. En témoigne notamment la prescription de la Police de n’utiliser pour les projections que la lumière électrique. Néanmoins, comme il a été déjà évoqué, les services d’architecture de la Préfecture ne sont guère prêts à admettre l’éclairage électrique comme le substitut de la lumière du jour, même dans les salles de cinéma, et cela jusqu’à la mise au point de la ventilation mécanique229. Au-delà des débats réglementaires, dans la pratique, l’emploi de l’éclairage tant à l’intérieur que sur la façade des premiers cinémas est assez fréquent, mais ne présente rien de spécifique par rapport aux bâtiments semblables : salles de spectacles, boutiques ou autres édifices commerciaux. Ces dispositifs d’éclairage, souvent rudimentaires et simples, se limitent généralement à des appliques posées de part et d’autre des portes d’entrée, ou bien à des lampes suspendues à la marquise du cinéma. Moins fréquentes, sinon rares, sont à cette époque, les enseignes lumineuses apposées sur ou accrochées perpendiculairement à la façade. L’un des premiers exemples est le Cinéma Brasserie Rochechouart dont l’exploitant, Jean Ferret précise, dans sa demande de permis de construire, qu’à la façade sur rue, seront installées « une enseigne lumineuse et des lampes à arc »230. Dans la composition de la façade typique de Cinéma Exploitation, aucune trace d’un tel dispositif. Cependant, une carte postale sans date [Fig. 4, p. 156]231, illustrant la façade du Cinéma Pathé Vanves de cette société laisse percevoir trois lampes apposées sur la frise ; peut-être sont-elles ajoutées ultérieurement, mais en tout cas, il s’agit bel et bien d’ampoules électriques. L’éclairage des façades demeure aussi sporadique et élémentaire jusqu’au lendemain de la Grande Guerre ; ce qui varie d’un cas à l’autre est simplement la localisation des lampes sur la façade, voire leur remplacement par un ou plusieurs petits lustres (l’Alexandra Passy Palace, 1916, XVIe [p. 66]). Il faudrait, néanmoins, signaler une innovation d’avenir qui est l’éclairage de la façade par les tubes de néon. Cette technique mise au point par George Claude en 1910232, dans l’une de ses applications précoces aux cinémas, sert à illuminer la façade du Palais Montparnasse, une salle édifiée, en 1913, par les architectes Orlhac et Duron. Ceux-ci font appel, pour cette installation de façade, à la maison Paz et Silva233 ; maison qui a la charge de commercialiser, à cette époque, les tubes fabriquées dans les usines Claude234. A défaut d’images, il nous est impossible d’apprécier

228 En témoignent, entre autres, les séries d’articles de L. Drin dans les numéros du juin 1907, février, avril et mai 1912 de l’Architecte, intitulées respectivement « Progrès techniques de l’éclairage électrique » et « Récents progrès de

l’éclairage ». Voir aussi Caron 1991, pp. 385-389.

229 Voir supra, pp. 64-67.

230 Lettre de Jean Ferret au Préfet de la Seine, datée 14 février 1907, Archives de Paris, VO11 3095.

231 Collection BHVP, publiée in Meusy 2002, p. 196.

232 Voir Caron 1991 p. 392 ; Drin 1912, p. 36.

233 Meusy 2002, p. 300.

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les caractéristiques de cette première tentative d’éclairer une façade de cinéma par le néon. Néanmoins, vu l’élévation du projet [p. 52], on peut supposer qu’il s’agit d’un mode d’éclairage « appliqué » qui agrémenterait la façade plus par sa teinte rouge orangée que par une contribution concrète à la composition de la façade. Pour voir l’intégration « architectonique » de néon à la façade il faudra encore attendre une vingtaine d’années.

Quant à l’intérieur des salles, pareillement, les projets rendent rarement compte du système d’éclairage. Un lustre dans le hall d’entrée (les projets Cinéma Exploitation [p. 25]), un ou deux autres dans la salle de représentations (Cinéma Excelsior), voilà tout ce que révèlent les plans. Aussi, d’après les quelques photographies intérieures dont on dispose [Fig. 24, p. 159], l’usage de la lumière électrique dans les salles de cette période semble rustique et essentiellement « utilitaire ». Il s’agit, souvent, de quelques lampes et, quelquefois, des rampes sur les parois latérales dont l’effet lumineux est occasionnellement complété par un ou plusieurs lustres. Cependant, quelques innovations peu ou prou appropriées au cinéma sont à remarquer, notamment, l’artifice, apparu en 1912, d’éteindre et de rallumer graduellement la lumière afin d’éviter une transition trop brusque de la lumière à l’obscurité dans la salle. Cette innovation est revendiquée par la direction du Palais Rochechouart qui s’en vante particulièrement dans les prospectus de son programme235. Cette disposition sera, par la suite, souvent reprise et adoptée aux salles de spectacle. Eugène Vergnes, l’un des architectes qui se spécialiseront en cinéma après la guerre, en donnera une adaptation plus sophistiquée dans son Cinéma Malakoff de 1921. Lui-même écrira à ce propos :

Au fur et à mesure que l'on pénètre dans l'établissement, l'intensité de la lumière devient décroissante. Dans le hall cinq points lumineux suffisent. Dans le tambour de contrôle précédant immédiatement la salle : une seule lampe. L'œil s'habitue progressivement à la salle demi-obscure […] Pendant les entractes, ajoute-t-il ensuite, la lumière vient progressivement au moyen de résistances afin que la rétine ne subisse pas de choc … 236

Une autre nouveauté réside dans l’usage des tubes au néon dans la salle du Palais Montparnasse. Si sur la façade, il y a recours à cette technique d’une manière plutôt discrète, dans la salle, l’utilisation des tubes luminescents est ostentatoire ; ceux-ci participent, en réalité, à la décoration de la salle. Une bande composée de trois tubes,

235 Cité dans Meusy 2002, p. 294.

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balisée d’anneaux lumineux également de néon, court sur toutes les parois de la salle, au dessus de la corniche ; des faisceaux rayonnants couronnent les cartouches surplombant l’écran et l’entrée, mais aussi les boucles luminescents qui surmontent les pilastres [p. 52]. Ainsi, le Palais du Montparnasse se démarque de ses contemporains, par cet usage décoratif de la lumière électrique. Dans les autres cinémas de cette période, l’éclairage est en général appliqué a posteriori, d’une manière essentiellement « fonctionnelle », sans aucun rôle concret dans la conception architecturale des salles.