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Expérimentation, Recherche d’inspiration (1907-1918)

4. Conception et composition architecturale

4.1. Genèse d’un type architectural

4.1.4. Postérité immédiate de Cinéma Exploitation

Les deux années suivant la première vague en 1907 connaissent une baisse considérable en nombre de projets ; la somme des cinémas établie en 1908 et 1909 équivaut à peine à la moitié de celle de l’année précédente160. Théoriquement, les architectes et les commanditaires des cinémas de 1908-1909 pourraient avoir connu les expériences de la première vague, car d’après les attestations de fin des travaux, la plupart des cinémas projetés en 1907, et notamment ceux de la société Cinéma Exploitation, sont déjà réalisés et inaugurés au début du printemps 1908, tandis que le premier projet soumis à la préfecture, cette année-ci, date du mois de juin. Cependant, il semblerait que les projets produits en 1908 et 1909 représentent, comme leurs précédents, une série d’expérimentations, de créations ex nihilo qui, partant, aboutissent à des solutions plus ou moins pertinentes.

Dans cette seconde série de projets, c’est souvent la configuration parcellaire qui définit la forme de la salle, dans la plupart des cas, sans aucune tentative d’adaptation ou de « régularisation » géométrique. Ainsi peut-on retrouver des salles de formes les plus diverses : de parallélogramme (Cinéma Cambronne [p. 32]) au trapèze (Alcazar Cinéma Théâtre [p. 33]), de rectangle déformé en L (Nouveau Cinéma, [p. 35]) au polygone irrégulier (Cinéma Saint Antoine [p.32]). Cela dit, un cas singulier attire particulièrement l’attention : il s’agit du Trianon Cinéma, une petite salle d’environ 120 places, aménagée en 1909, dans une cour en trapèze rectangle au fond d’une parcelle de même configuration. Dans un premier plan dessiné par l’architecte Guillouet, une courette est prévue dans la partie triangulaire de la parcelle de manière à réserver un plan quasi rectangle à la salle [p. 34]. Or ce projet est rejeté par l’architecte voyer du XXe arrondissement, en raison des « inconvénients qui pourraient résulter pour les bâtiments actuels des constructions projetées »161 ; par là, il entend la diminution de vue directe des appartements donnant sur la

160 Pour les raisons voir supra, p. 11.

161 Dossier de permis de construire n° 4622, 331 rue des Pyrénées, daté 27 novembre 1909, Archives de Paris, Vo11 2874.

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cour qui sépare le cinéma de l’immeuble existant. Un second plan est alors établi, par le même architecte, dans lequel la salle prend une forme d’éventail, en triangle rectangle tronqué plus exactement, avec un écran placé à la convergence des parois latérales et une cabine de plan triangulaire, installée à l’angle aigu d’en face. Il en résulte une disposition des places non moins insolite : une travée de courtes rangées rectilignes parallèles à l’écran séparée, par une allée, d’une batterie de bancs en arc de cercles concentriques. Cette forme trapézoïdale où les flancs de la salle convergent vers l’écran et correspondent au champ de visibilité de ce dernier, a déjà été adoptée au Cinéma Alcazar par l’architecte-expert Claveau ; sauf que, dans ce cas, la configuration du terrain a dictée cette disposition [p. 33]. Au Trianon Cinéma, en revanche, l’architecte Guillouet a délibérément choisi ce parti. Quoi qu’il en soit, cette forme de salle est à cette époque rarissime, non seulement parce que ses avantages sur le plan visuel sont vraisemblablement ignorés, mais aussi en raison de la perte de places que son adaptation au parcellaire entraînerait.

Des sept projets de ces années-là, seulement trois fournissent suffisamment d’indication pour permettre l’appréciation de la disposition des places. Outre les rangées arrondies du Trianon Cinéma, un autre dispositif aussi peu banal est à remarquer dans le Cinéma Stephenson. Si l’agencement des sièges en une seule travée de rangées droites, embrassée par deux dégagements latéraux n’a rien d’extraordinaire, l’élargissement de ces allées en fonction du nombre de spectateurs qui devront les emprunter est une nouveauté [p. 34]. Dans cette salle, les deux chemins longitudinaux larges de 1m80 en partant des portes d’entrée, se rétrécissent de 45 cm, au bout de chaque groupe de neuf rangs, ce qui laisse place à un siège supplémentaire de chaque côté, et entraîne donc une augmentation de nombre de places par rangée au fur et à mesure que l’on avance dans la salle. C’est, sans doute, pour faire coïncider les limites des rangées avec le champ de visibilité de l’écran que ce dernier est placé du côté de l’entrée, au revers de la façade. Par ailleurs, on retrouve l’installation de l’écran du côté de l’entrée, dans trois autres salles de cette période. A l’Alcazar Cinéma Théâtre, vu la forme trapézoïdale de la salle et la divergence des parois vers le fond, l’adoption de ce parti s’appuie sur la même logique qu’au Cinéma Stephenson. Dans la salle du Nouveau Cinéma, en revanche, c’est la pente naturelle du terrain qui, comme au Cinéma Parmentier de l’année précédente, explique une telle disposition [Comparer p. 35 et 27]. La différence de niveau des voies publiques entre lesquelles s’étend le cinéma, a incité l’architecte Deloeil à placer l’écran du côté de l’entrée principale sur la rue Ordener qui est en contrebas de la rue Cloys, pour ainsi obtenir aisément un plancher de salle incliné vers l’écran. Enfin, au Cinéma Cambronne, l’installation de l’écran du côté de l’entrée de la salle semble procéder d’une motivation d’ordre constructif. Ici, le projet consiste à établir une grande salle (800 places) dans une parcelle composée d’un bâtiment en façade

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et d’une cour arrière. La capacité prévue n’étant réalisable qu’à travers une répartition des places en deux niveaux, l’architecte Math Moreau se voit dans l’obligation d’établir le grand volume de la salle avec son balcon dans la cour arrière, partant, l’écran qui devait impérativement faire face au balcon, a dû être placé du côté de l’entrée [p. 32]. Cette salle est la seule de la période à comporter un balcon. Elle se caractérise, en outre, par la disposition de son balcon. Pour ne pas encombrer l’orchestre, c’est dans le hall d’entrée que sont installés les deux escaliers d’accès au balcon ; ce dernier situé au fond de la salle, se prolonge par deux « bras » qui servent de passage-rampe pour conduire des escaliers aux gradins des places. Ceci confère au balcon une configuration en U qui n’est pas sans rappeler les galeries typiques des théâtres. Or, cette apparition du « balcon théâtral » dans une salle de cinéma, l’une des premières à notre connaissance, ne découle pas de l’imitation délibérée d’un modèle, mais plutôt de la conjoncture du projet.

En ce qui concerne la disposition du plancher de la salle, également, une innovation est tentée au Cinéma Cambronne ; le parquet de l’orchestre est composé de trois plans dont l’un, à l’avant de la salle, remonte vers l’écran, le second, au milieu de la salle, est horizontal, et le troisième, à l’arrière, remonte vers le fond de la salle. Les autres projets se rejoignent sur l’adoption d’une pente descendant vers l’écran, encore que de degré différents. Comme dans les projets de 1907, on retrouve aussi bien des salles en légère pente d’environ 2cm par mètre (Cinéma St Antoine, Cinématographe du Jardin Couvert), qu’en pente moyenne aux alentours de 5cm par mètre (Cinéma Stephenson, Trianon Cinéma) et même en forte pente atteignant 10cm par mètre (Alcazar, Nouveau Cinéma). Ceci dit, dans la plupart des cas, aucun rapport n’est observé entre le degré de la pente et la position de l’écran. Concernant l’installation de la cabine les projets des années 1908-1909 sont partagés entre ceux qui adoptent le parti « typique », à savoir placer la cabine à l’extérieur de la salle, et ceux qui, tant bien que mal, optent pour une cabine installée dans la salle. Nonobstant, tous s’efforcent de disposer la cabine sur l’axe de l’écran, en la surélevant au moins de quelques marches par rapport à l’orchestre. Atypique, à cet égard, est l’Alcazar Cinéma Théâtre, dont la cabine se trouve, bizarrement, dans l’encoignure de la salle, au niveau de rez-de-chaussée, et largement désaxée par rapport à l’écran [p. 33]. Le hall, quant à lui, ne connaît pas de grand changement dans les nouveaux projets par rapport aux précédents ; lorsque la salle est établie au fond d’une parcelle, le hall n’est autre qu’un passage d’accès (Alcazar, Jardin Couvert, Trianon). Si la salle se trouve en bordure de la rue, des entrées en forme de tambour, remplacent souvent le hall (Cinéma Stephenson, Nouveau Cinéma [respectivement p. 34 et 35]). En fait, on ne peut parler de vrai hall que dans le cas du Cinéma Cambronne où une surface relativement importante d’environ 30 m² est affectée au vestibule d’entrée. Ce dernier comporte la caisse et les deux escaliers d’accès au balcon. D’ailleurs, c’est

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probablement l’existence d’un balcon et la grande capacité de cette salle qui appellent l’aménagement de cet espace d’accueil.

Les plans des années 1908-1909 ne font état qu’exceptionnellement de recherche décorative dans la salle. Néanmoins, au Cinéma Cambronne et au Cinéma Stephenson, où les coupes transversales révèlent le décor de la salle, on remarque une nette différence avec les salles Cinéma Exploitation. Si le mode et les éléments décoratifs sont presque identiques : corniche, moulure, encadrements et motifs en relief, en revanche, les surfaces auxquelles est appliqué le décor diffèrent. Dans ces deux salles le décor est concentré du côté de l’écran ; une large bande de moulure encadre ce dernier (Cambronne [p. 32]), ou bien le couronne (Stephenson [p. 34]). Peut-être s’agit-il là d’une inspiration des théâtres où le cadre de la scène fait traditionnellement l’objet de traitement décoratif particulier162 ; ou bien simplement d’une volonté spontanée de mettre l’accent sur la « toile blanche », l’épicentre de la salle. Quoi qu’il en soit, nous trouvons ici les premiers exemples de recours au décor pour auréoler l’écran. Concernant l’aspect extérieur, hormis quelques projets où la façade se résume à une grille d’entrée surmontée d’une épigraphe comme au cinéma St Antoine [p. 32], Alcazar [p. 33] et Trianon [p. 34], la ressemblance avec le modèle Cinéma Exploitation est saisissante : un fronton (cintré, triangulaire ou de formes composées) portant le nom de l’établissement couronne un corps de façade souvent de composition tripartite (Nouveau Cinéma, Stephenson et Cambronne). Eléments et ornements du répertoire classique, quoique composés de diverses manières, sont communs à toutes ces façades. Cependant, chaque façade se caractérise par un trait ou un élément spécifique : celle du Cinéma Cambronne, par exemple, est marquée par la grande arche qui, formant un avant-corps, couvre l’entrée de l’établissement. Le Nouveau Cinéma, se singularise par deux énormes pans, encadrés de moulure, réservés aux affiches, au centre de la façade. Le Cinéma Stephenson, est remarquable de par son aspect quelque peu baroque et sa large marquise accrochée à la façade. Ainsi peut-on conclure que le modèle de façade dessinée par l’architecte Malo commence à faire école ; chacun de ces projets postérieurs en incarne une variante. Son plan typique, en revanche, ne semble guère exercer une grande influence sur sa postérité immédiate ; la disposition de la salle faisant encore l’objet de diverses expérimentations suivant les conjonctures.

162 Pour la composition artistique de la salle, écrit Julien Guadet à propos des théâtres dans son traité, il est de toute importance que le cadre du rideau qui la limite soit accompagné d’un puissant motif décoratif […] Pour le surplus de la salle, poursuit-il, tous les efforts tendent à introduire quelques éléments de grande architecture, […], et à assurer au plafond des retombées d’aspect monumental … ; Cf. Guadet 1915, pp. 98-100.

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