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Expérimentation, Recherche d’inspiration (1907-1918)

2. Répartition et insertion dans la ville

2.1. Les premiers quartiers du cinéma

2.1.2. Seconde vague (1911-1913)

La seconde vague d’équipement de Paris en salles de cinéma s’étend sur trois années de 1911 à 1913. Elle se distingue de la première, d’abord, au niveau du nombre

77 Ibid. p. 110.

78 Ministère des Travaux publics 1891, Pl. 18 : carte du nombre de voyageurs des lignes d’Omnibus et de Tramway.

79 Pour les cas légendaires de Belleville, Gaîté, Flandre et R. Losserand, voir Hillairet 1997, p. 173, 563, 529, 322.

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annuel de nouveaux établissements ; les trois années précédant la guerre voient, en effet, chacune l’ouverture d’au moins 31 cinémas81, ce qui marque une hausse de plus de 50% par rapport aux années précédentes. Sur le plan de la répartition géographique, cette seconde vague recouvre la quasi-totalité des arrondissements de Paris, encore que le grand écart entre les rives droite et gauche demeure et tende même à s’amplifier. Si de 1907 à 1910, 43 cinémas82 s’installent sur la rive droite contre 21 sur la rive gauche, ces chiffres, pour les trois années suivantes, remontent respectivement à 58 et 24. Posant le nombre de places comme critère de comparaison, la disparité entre les deux rives paraît encore plus importante ; alors que, pendant la première période, la rive droite disposait de 32000 places contre 15250 pour la rive gauche, dans la seconde période, les nouveaux cinémas de la rive droite totalisent 48200 places tandis que ceux de la rive gauche n’en offrent que 17720 83. Néanmoins, le nouvel élan de création de salles offre leurs propres cinémas à des quartiers jusqu’alors dépourvus, à l’instar des secteurs du centre rive gauche, du VIIIe ou encore du XVIe arrondissement. Aussi fait-il apparaître de nouveaux « quartiers de cinéma » marquant notamment le retour des cinémas vers le centre ville, surtout du côté des grands boulevards [Annexes, Carte 1. p. 9].

Pour brosser le tableau de la répartition des salles dans cette seconde vague, il faudrait d’abord souligner l’importance du XIIIe arrondissement où s’établissent, en l’espace de trois ans, une dizaine de cinémas, lui conférant ainsi la première place parmi les vingt arrondissements de Paris. La quasi-totalité des cinémas du XIIIe, et c’est d’ailleurs une singularité, donnent directement sur de larges artères : d’une part, les principales voies convergentes vers la place d’Italie, notamment les avenues des Gobelins et de Choisy, puis dans une moindre échelle, le boulevard de l’Hôpital et l’avenue d’Italie ; d’autre part, les deux axes majeurs est-ouest : la rue de Tolbiac et les boulevards de Port-Royal et Saint Marcel. Ces derniers marquant la frontière entre le XIIIe et le Ve, on retrouve donc l’un des traits de la période précédente, à savoir la concentration des salles sur les limites des arrondissements, sauf que cette fois, contrairement à la précédente, c’est sur la rive gauche que cela se produit. Aussi, dans la continuité de la première période, l’avenue des Gobelins se confirme comme un « boulevard du cinéma », avec la nouvelle salle qui vient s’y installer en face des deux autres déjà existants. Une autre caractéristique de cette seconde période gît dans la concentration des cinémas du côté de centre rive droite, notamment le long ou à proximité des grands boulevards ; ceux-ci drainent en effet non moins de huit nouveaux

81 Cf. Meusy 2002, Annexe pp. 527-538 ; on s’y réfère plus volontiers puisque les listes du Bottin du commerce ne rendent pas compte de la date exacte d’ouverture des salles, celles-ci y apparaissant souvent avec un à deux ans de retard.

82 Précisons que, ici, sont prises en compte seulement les salles ayant fonctionné plus de deux années consécutives.

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établissements dont cinq ouvrant directement sur les boulevards. Restent ensuite à signaler le boulevard et la rue de Clichy (trois salles), les rues des faubourgs Montmartre, Poissonnière, Saint Denis, Saint Martin et Saint Antoine (chacune un cinéma) ainsi qu’au cœur du XIe, la rue de la Roquette où s’installent, à quelques centaines de mètres de distance, deux salles de cinéma. Les deux vagues successives des cinémas parisiens se rapprochent en revanche, en ce qui concerne les quartiers du nord et nord-est. Les trois derniers arrondissements, avec 19 nouveaux établissements, restent toujours parmi les meilleurs équipés. Dans le XXe, tout comme la période précédente, les rues de Belleville et des Pyrénées voient chacune l’ouverture de deux cinémas supplémentaires. De même, la localisation des salles dans le XIXe ne connaît pas de changement ; les avenues de Flandre et Jean Jaurès accueillant trois des cinq cinémas de cet arrondissement. Enfin, si aux confins du XVIIIe, l’avenue de Saint Ouen et le boulevard de Clichy drainent encore la moitié des salles inaugurées dans cet arrondissement, une nouvelle rue fait également son entrée dans les quartiers de cinéma : il s’agit de la rue Ordener dans laquelle sont implantés à peu de distance, deux établissements cinématographiques. Cette seconde vague des projets est particulièrement marquée par l’apparition des premiers cinémas dans les quartiers occidentaux, cependant, la disparité est-ouest n’en reste pas moins grande ; on ne peut relever que douze salles dans les VIIIe, XVIe et XVIIe arrondissements contre une quarantaine dans le reste des quartiers de la rive droite. De plus, on n’observe pas la même localisation concentrée des cinémas à l’ouest qu’à l’est. Néanmoins, on peut constater que les salles s’installent plutôt sur des voies principales soit au niveau du quartier (les rues d’Auteuil et de Passy) soit au niveau de la ville (les avenues de Wagram, des Champs Elysées ou encore Victor Hugo, aboutissant toutes à la place de l’Etoile). Sur la rive gauche, XIIIe arrondissement mis à part, le développement du parc cinématographique se poursuit, sinon au ralenti, du moins à la même cadence que la période précédente ; le Ve et le VIIe voient leurs premières salles s’ouvrir ; dans le premier, c’est le boulevard Saint Michel qui attire les exploitants, dans le second, l’avenue Bosquet. Dans le XVe, seule la rue Saint Charles possédant déjà un cinéma, en accueille un deuxième, et les rues de la Convention et Lecourbe comportent désormais chacune un établissement cinématographique. Enfin, le XIVe ne compte que deux nouveaux cinémas pendant ces trois années, l’un sur l’avenue d’Orléans (l’actuelle Général Leclerc), l’autre dans le quartier de Montparnasse et la rue d’Odessa, tous deux de longue destinée, celui-là existant toujours et celui-ci ne disparaissant que dans les années 1970.

De ce qui précède, on peut déduire que, d’une part, les lignes directrices de la localisation des cinémas repérées dans la première vague sont toujours de mise dans cette seconde période ; notamment, l’implantation des salles dans les quartiers à dominante

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ouvrière se confirme. C’est ainsi qu’il faudrait expliquer la concentration des établissements cinématographiques dans le XIIIe arrondissement peuplé en grande partie de classes populaires et ouvrière84, tout comme les quartiers nord et nord-est de Paris qui connaissent depuis la période précédente pareil sort. D’autre part, l’installation bien qu’encore sporadique de cinémas dans des secteurs plus élégants, ainsi que l’afflux des salles du côté des grands boulevards révèlent un double fait : d’abord un regain d’intérêt de la bourgeoisie pour le cinéma suscité entre autres par l’évolution qualitative des programmes mais aussi par la disparition du traumatisme du « Bazar de Charité »85 ; ensuite, des investissements plus importants dans l’exploitation cinématographique suite au passage de la crise de 1908-1909 et à la consolidation de l’industrie du cinéma 86. Ce dernier point est d’ailleurs corroboré par la composition des projets : parmi les 33 permis de construire des cinémas, on relève quatre restructurations et huit aménagements contre 21 édifications qui exigent par définition de plus amples capitaux, encore que la plupart de ces projets d’édification soient implantées dans les arrondissements périphériques où le prix des terrains sont moins élevés. Aussi, l’agrandissement des salles dans la seconde vague par rapport à la première témoigne de l’augmentation des investissements. Par conséquent, on peut supposer que les trois années précédant la guerre sont le début d’une ère de prospérité du cinéma et de développement de son architecture, interrompue par le déclenchement des conflits.