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Une approche relationnelle et communicationnelle de l’identité

1.3 «Contacts de cultures» : une définition repensée de l’interculturel

3. Identités / altérités, positionnements identitaires

3.5. Une approche relationnelle et communicationnelle de l’identité

3.5.1. Critiques de la conception essentialiste de l’identité :

l’exemple de l’identité ethnique

La conception essentialiste de l’identité est battue en brèche dans de nombreux travaux, qui mettent en avant la dimension «rien moins que naturelle» (Vinsonneau 2002 : 7) des formations identitaires. Ces critiques se sont notamment exprimées à propos des identités ethniques. J.-L. Amselle pose par exemple que les ethnies sont «inventées» (1999), non pas qu’elles «relèvent de la pure fiction ou du simple fantasme» (Mazauric 2004 : 101) mais elles relèvent d’une construction qui s’inscrit dans une histoire, une réalité sociale, une volonté politique… Et il illustre son propos en étudiant comment les autorités coloniales ont – notamment en Afrique - précisément «construit» des identités ethniques qui venaient servir leur projet. Cependant, ce «geste fondateur d’un énoncé performatif» qui les a fait advenir, leur «confère dès lors une efficience indéniable dans le réel» (ibid.).

C’est ainsi avant tout le discours qui est fondateur de l’identité ethnique : il n’y a «pas d’autres faits ethniques et pas d’autres ethnies non plus que ceux et celles que construisent un discours» (Mazauric 2004 : 97). Elle naît de l’affirmation performative qui la pose, et la dénomination ethnique joue un rôle crucial. L’ethnonyme en désignant fait exister : «les ethnonymes ne renvoient pas à des catégories préexistantes, une réalité des races, à des identités originelles». Ce sont des «emblèmes onomastiques» que les acteurs sociaux «s’approprient et abandonnent» «au gré des aléas politiques» (Amselle 1999 : 71).

On peut dire de toutes les identités - et pas seulement des identités ethniques - qu’elles dépendent à la fois d’un contexte et d’une relation. Certaines composantes seulement de l’identité d’un individu sont activées dans une situation donnée, ceci en fonction de leur pertinence dans la situation précise dans laquelle il se trouve, de son ou de ses interlocuteurs et de ce qu’ils disent :

«Les représentations et les caractéristiques qualifiées d’identitaires ne sont pas autonomes mais actualisent un contexte et expriment une relation. De ce fait elles varient en fonction des situations et des interlocuteurs, en fonction des enjeux (politiques, sociaux, psychologiques, économiques etc). /…/ l’identité est toujours fictionnelle et relative.» (Abdallah-Pretceille 2006 : 44)

Nous disposons tous, comme le note C. Kerbrat-Orecchioni, d’une «panoplie de casquettes» et nous sommes amenés à parler «en tant que ceci ou cela» et à adopter des identités «contextuellement pertinentes» (2009 : 157).

En outre, ces identités sont aussi liées de manière indissociable aux discours qui les expriment. Elles sont avant tout l’effet d’une construction – on peut même parler d’une dimension performative de l’identité, qui naît du discours qui la pose. Les identités sont ainsi le produit d’un processus de communication, comme le met en lumière J. Gumperz :

«Nous avons l’habitude de considérer le sexe, l’ethnicité et la classe sociale comme des paramètres donnés et comme des limites à l’intérieur desquelles nous produisons nos identités sociales. L’étude du langage comme discours interactionnel montre que ces paramètres ne sont pas des constantes allant de soi mais sont produit dans un processus de communication. Pour traiter des problèmes d’identité et leurs rapports aux divisions sociales, politiques et ethniques, il nous faut donc analyser les mécanismes communicatifs dans lesquels ils surgissent.» (Gumperz 1989 : 7)

On peut ici faire notamment référence aux travaux d’E. Goffman, pour qui les identités naissent d’une «mise en scène» de soi : le sujet joue à paraître ce qu’il veut être (et à être ce qu’il paraît). Il joue un rôle, en adoptant des conduites verbales et non-verbales qui constituent son identité. La métaphore théâtrale ici renvoie au travail incessant de figuration que les acteurs opèrent de manière incessante sur la scène de la vie sociale. Ainsi, l’identité n’existe que dans la mesure où «elle est vue, lue, théâtralisée» (Abdallah-Pretceille 2006 : 50) :

«L’identité, individuelle ou groupale, s’exprime à travers des comportements, des actions, des discours, des productions, des silences. Elle est assimilable à une "mise en scène" de soi et des autres.» (Abdallah-Pretceille 2006 : 42)

En outre, cette construction des identités s’effectue dans le cadre d’une relation, d’une interaction, où l’autre, les autres ont un rôle essentiel. En ce sens, les identités sont nécessairement relationnelles, co-construites dans et par l’interaction.

«Les individus échangent du sens et pas seulement des signes. Les marqueurs identitaires deviennent alors les symptômes d’une relation, sont porteurs d’enjeux, symboliques ou non. Ce qui compte, ce sont moins les caractéristiques identitaires que les fonctions énoncées par l’énonciation identitaire.»(Abdallah-Pretceille 2006 : 44)

3.5.2. Des identités situées

Pour appréhender ces identités situées, la linguistique interactionniste a développé plusieurs concepts. On distinguera ici :

- Les statuts qui correspondent à «l’ensemble de positions sociales assumées par quelqu’un de façon stable dans un champ social donné (son âge, son sexe, sa profession, sa condition familiale, ses appartenances culturelles, idéologiques etc.)» (Vion 2000 : 78). Comme nous l’avons fait pour la notion de représentation, nous ne suivrons pas une stricte «orthodoxie» ethnométhodologiste, mais nous envisagerons les statuts comme faisant partie de la «toile de fond» de l’interaction. Ils lui offrent «un horizon d’attente» - même s’il est «loin d’être sûr et stable» (Vasseur 2005 : 87).

- Les statuts sont incarnés et mis en scènes à travers des rôles. Tenir tel ou tel rôle, pour celui qui est engagé dans une interaction, c’est adopter les comportements verbaux et non verbaux associés à un statut donné. Ainsi, les statuts se manifestent «à travers des rôles que les partenaires tiennent dans des types d’activités socialement mais aussi

socioéconomiquement convenues» (Vasseur 2005 : 87) et qui conduisent à adopter des comportement verbaux et langagiers voulus par la situation. Même si les rôles impliquent une certaine «routinisation des conduites» (on s’attend à ce que l’enseignant fasse l’enseignant, à ce que l’apprenant fasse l’apprenant etc. ...), ils ont aussi nécessairement une part dynamique. Chaque individu a des appartenances plurielles qui peuvent potentiellement s’actualiser au cours de l’interaction, des tensions sont possibles entre statuts actuels et latents (notamment dans le cas de la classe de langue). Les interactants peuvent introduire du jeu (aux deux sens du terme) entre le rôle tel qu’il est attendu et tel qu’il est effectivement performé.

M.-T. Vasseur montre aussi que c’est la combinaison «statuts - activités - rôles» qui doit être pensée de manière conjointe dans le cadre de l’interaction. Selon l’activité dans laquelle sont engagés les interactants, les rôles seront plus ou moins restreints, plus ou moins stéréotypés.

- La notion de place enfin, met au premier plan «ce qui se dessine dans l’interaction» (François 1990 : 47). Les places ne correspondent ni au statut social préexistant, ni aux «rôles interactionnels conventionnalisés». Elles sont «le résultat par rapport à des rôles possibles, par rapport au partenaire, et par rapport à ce qui se produit dans ce dialogue avec l’autre». Elles renvoient à (et construisent) «l‘identité situationnelle présente et opérante dans la relation» (Marc 2005 : 171).

Le locuteur marque - et construit - sa place par des postures discursives de nature variée. Dans le cas de l’interaction didactique, par exemple, l’enseignant fait usage de toute une gamme de taxèmes comme : «le fait d’imposer sa parole par l’intensité de sa voix, de s’exprimer avec aisance en L1 et en LE face à ses élèves, d’avoir le monopole du temps et de la parole ainsi que de l’initiative et de l’attribution de parole (etc.)» (Vasseur 2005 : 89).

Ces places sont envisagées préférentiellement en termes de rapports de place. Le positionnement des interactants étant à envisager comme une entité relationnelle, la place occupée par le locuteur déterminant, de manière corrélée, celle de son interlocuteur - et réciproquement :

«Lorsqu’on se projette soi-même en tant que locuteur en une certaine qualité actuelle, les autres participants de la rencontre voient leur moi en partie déterminé en conséquence.» (Goffman 1987 : 161)

Enfin, ces rapports de place ne sont pas figés : ils sont déconstruits, reconstruits, au gré des divers mouvements discursifs des interactants (Vasseur 2005 : 86).

3.5.3. Des identités aux stratégies identitaires

La notion de stratégie identitaire, qui a notamment été conceptualisée et développée par des chercheurs comme C. Camilleri et E.-M. Lipianski (Camilleri et alii 1998 par ex.) est dans cette perspective particulièrement intéressante, si on veut s’intéresser à la manière dont les identités sont gérées et négociées dans les interactions.

Elle désigne en effet «l’ensemble des conduites et des mécanismes (cognitifs, affectifs, défensifs…) qu’un sujet (individuel ou collectif) met en œuvre pour obtenir la reconnaissance d’autrui, défendre une cohérence identitaire et une image positive de lui-même» (Marc 2005 : 40) :

«Selon les situations et les individus, la quête de reconnaissance et la défense de l’identité vont entraîner tantôt des stratégies d’assimilation et tantôt de différenciation (se rendre pareil aux autres, rejeter la différence / se distinguer d’autrui, affirmer sa singularité et son originalité).» (Marc 2005 : 213)

S’intéresser aux stratégies identitaires plutôt qu’aux identités elles-mêmes permet de mettre l’accent sur des processus dynamiques et finalisés par lesquels les individus cherchent, consciemment ou non, à faire reconnaître ou à défendre leur identité, à s’intégrer ou à se différencier, à se valoriser de différentes manières (en soulignant sa conformité aux modèles identitaires en cours, ou bien son originalité par rapport à ceux-ci...). La notion permet ainsi :

«de considérer l’identité moins comme un attribut figé (série de traits qui caractérisent un individu) qu’en tant que système coordonné de mécanismes psychologiques, visant certains objectifs et répondant à des besoins identitaires fondamentaux. Ces mécanismes sont à la fois intra-psychique et interactionnels. Ils assurent la délimitation, la valorisation, la préservation et la défense de soi.» (Marc 2005 : 7)

Pour conclure, nous reprendrons cette citation de G. Vinsonneau qui synthétise la conception de l’identité à laquelle nous souscrivons ici :

«Les formations identitaires sont rien moins que naturelles /.../ elles s’érigent en réponse aux exigences situationnelles et relationnelles auxquelles les acteurs sociaux ont à faire face. Les matériaux convoqués à cet effet varient et leurs modes d’emploi varient aussi, ce qui fait de l’identité une production infiniment variable, bien qu’elle serve uniquement les mêmes finalités : le positionnement de l’acteur sur la scène sociale, la construction et/ou la défense de ses limites dans la confrontation à l’altérité, la construction à l’intérieur de ces limites, l’attribution et le partage du sens et des valeurs en deça et au-delà de cette limite.» (Vinsonneau : 2002 : 7)

4. Dynamiques (inter)culturelles dans les interactions en

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