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Le domaine de la didactique du texte littéraire : cercles de lecture, débats interprétatifs et gestes professionnels

DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

3. Interagir « autour » du texte littéraire en classe de langue Dans ce dernier point de notre chapitre, nous revenons sur le type particulier

3.2. Lecture du texte littéraire et analyse d’interactions, balayage d’un champ d’études

3.2.2. Le domaine de la didactique du texte littéraire : cercles de lecture, débats interprétatifs et gestes professionnels

En revanche, si l’on se tourne vers le domaine de la didactique de la littérature, on observe qu’un plus grand nombre de travaux s’intéresse aux échanges que suscite le texte littéraire dans la classe. Nous ne pouvons nous permettre d’en dresser une liste exhaustive car ce champ est beaucoup plus «foisonnant» que celui qui relève du domaine de l’analyse des interactions didactiques - nous nous contenterons d’évoquer quelques-uns des ouvrages, des recherches qui nous semblent les plus marquants en ce domaine.

Plusieurs raisons sont susceptibles d’expliquer cet intérêt pour les interactions «autour» des textes littéraires.

1/ Tout d’abord, ces travaux sont à replacer dans un mouvement d’ensemble plus large qui, depuis les années 90, en lien avec les travaux menés sur l’esthétique de la réception, (cf. chapitre 3) étudie la manière dont les textes sont réellement lus, compris et interprétés. Dans cette perspective, il devient nécessaire d’étudier le plus précisément et le plus attentivement possible différents types de «textes de lecteurs» qui attestent de cette réception. Les didacticiens s’intéressent aussi aux «pratiques effectives» des enseignants en lien avec les textes littéraires.59

Cette volonté d’analyser la réception effective des textes, de prêter attention à des situations de classe réelles ne saurait se satisfaire de comptes rendus impressionnistes rédigés après une observation de classe : à cet égard, l’enregistrement et la transcription précise des démarches pédagogiques initiées par les enseignants, des échanges suscités par le texte littéraire s’avèrent particulièrement pertinents. Ils témoignent de la volonté de s’inscrire dans une véritable «écologie de la réception du texte littéraire» (Dardaillon : 2009).

2/ Par ailleurs, les recherches portant sur les cercles de lecture conduisent elles aussi à porter un regard attentif sur les discussions littéraires dans la classe. Les cercles de lecture peuvent être définis comme «tout dispositif didactique qui permet aux élèves, rassemblés en petits groupes hétérogènes, d’apprendre ensemble à interpréter et à construire des 58 Il nous a ainsi semblé significatif que la perspective conversationnelle et / ou interactionniste soit complètement absente du numéro de la revue Le Français aujourd’hui intitulé Ce que la linguistique

fait aux textes littéraires en classe (2011), dont le questionnement est pourtant le suivant : «la

linguistique est-elle présente dans l’horizon épistémologique d’un littéraire ? et la littérature est-elle présente dans l’horizon épistémologique d’un linguiste» (Paveau et Vaudrey-Luigi 2011 : 3).

59 C’est d’ailleurs le titre du numéro de la revue Repères coordonné par C. Tauveron et D. Dubois Marcoin en 2008 : Pratiques effectives de la littérature à l’école et au collège.

connaissances à partir de textes de littérature ou d’idées» (Terwagne Vanhulle et Lafontaine 2006 : 7). Ces travaux (parmi lesquels on peut citer ceux de S. Terwagne S. Vanhulle et A. Lafontaine, ou encore de M. Hébert60) prennent généralement appui sur la conception de la lecture comme «transaction» établie par L. Rosenblatt. Ils sont d’inspiration socio constructiviste et, dans la lignée de L. Vygotsky, envisagent les interactions entre lecteurs comme un moyen de favoriser «à la fois la construction collective de significations et l’intériorisation par chaque élève de stratégies fines d’interprétations» (Terwagne et al. 2006 : IV).61

Dans le contexte français, l’inscription dans les Instructions officielles de 2002 de la notion de «débat interprétatif» a contribué à l’intérêt pour ce type de questionnement et à la production de nombreux travaux adoptant cette perspective (et souvent menés, d’ailleurs, dans le cadre des I.U.F.M.).62 La pratique des débats interprétatifs, qui naît elle aussi du

60 M. Hébert (2003) Co élaboration du sens dans les cercles littéraires entre pairs en première secondaire : étude des relations entre les modalités de lecture et de collaboration» : des cercles de lecture entre pairs, les différents types de collaboration et les types d’interaction, thèse soutenue sous

la direction de N. Van Grunderbeeck, Montréal, Université de Montréal.

61 «En nous fondant sur le paradigme transactionnel issu de L. Rosenblatt (1938) et sur le paradigme socio-constructiviste issu de L. Vygostsky (1931), nous proposons notamment d'envisager les «discussions littéraires» comme creuset pour le développement de compétences élaborées de compréhension en lecture.» (Vanhulle 1998)

62 Pour mention, quelques travaux qui s’inscrivent dans le champ de la didactique de la littérature et dont le corpus d’étude est, pour tout ou partie, composé d’interactions suscitées par la lecture de textes littéraires dans la classe :

a/ La thèse de P. Sève (sous la direction de C. Tauveron) soutenue en 2009 s’intitule Avoir lu et savoir

lire la littérature. Influence de «répertoires diversement construits sur la réception d’un même récit dans trois communautés interprétatives. Il étudie l’influence des lectures précédemment effectuées

lors de la lecture en classe d’un roman de F. Reynaud (Taïga Pocket Jeunesse 2005).

b/ S. Dardaillon (sous la direction de V. Castellotti) a soutenu en 2009 une thèse intitulée Les albums

de Béatrice Poncelet à la croisée des genres. Elle s’y intéresse à la réception par les enfants d’une

oeuvre de littérature de jeunesse exigeante, celle de B. Poncelet.

c/ V. Boiron (sous la direction de L. Danon-Boileau) a travaillé sur des «interactions adulte-texte- enfants» à l’école maternelle. Sa thèse pour le doctorat d’état s’intitule : Construire une méthodologie

interprétative des albums à l’école maternelle : analyse des modalités de compréhension dialoguée et d’élaboration conjointe d’interprétations. Conduites et mouvements interprétatifs au cours de relectures d'albums et de reprises narratives dialoguées. Elle s’inscrit clairement dans une perspective

socio constructiviste en posant d’emblée l’hypothèse que «les échanges langagiers permettent aux enfants pré-lecteurs de construire une méthodologie dialoguée d'interprétation des récits écrits et illustrés : cette coopération interprétative trouve son efficacité grâce au co-étayage par l'adulte et les pairs».

d/ E. Bedoin (sous la direction de C. Tauveron) s’est attachée dans Lire le texte, lire le monde. Du jeu

interprétatif en littérature et en science à «délimiter les points de convergence et de divergence qui se

dessinent entre débat littéraire et débat scientifique : comment s’y orchestre le jeu des possibles, s’y problématisent les images du monde et se constituent des communautés interprétatives scolaires». e/ Y. Brenas (sous la direction de D. Bucheton) a travaillé sur la construction de nouvelles positions de lecture chez des lycéens de seconde. Sa thèse est intitulée Quand la conception du langage se

métamorphose ... Ou des indispensables re-positionnements dans la «classe de littérature» en seconde d'un lecteur-scripteur face à un texte «littéraire».

renouvellement de la conception de la lecture littéraire et de l’accent mis sur le pôle des lecteurs, permet en effet de prendre en compte les compétences des lecteurs, de les impliquer dans le projet de lecture, et d’initier :

«une discussion plus ouverte qui suppose l’abandon de l’argument d’autorité et du monopole d’interprétation du maitre, favorise les confrontations, incite à une hiérarchisation des possibles, organise une réflexion sur la compréhension et les limites de l’interprétation par la construction collective d’outils interprétatifs.» (Dabène et Quet 1999 : 115)

L’analyse des débats interprétatifs peut aussi amener à convoquer les outils théoriques relatifs aux postures de lecture et à identifier la manière dont différentes postures de lecture se succèdent et se combinent dans les échanges autour de textes littéraires, c’est-à-dire, comme nous le verrons plus précisément dans le chapitre 3 :

«des modes de lire intégrés, devenus non conscients, construits dans l’histoire de lecture de chaque sujet, convoqués en fonction de la tâche de lecture du contexte et des enjeux, ainsi que de la spécificité du texte.» (Bucheton 1999 : 138)

3/ Un autre ensemble de travaux, dont les frontières avec le précédent sont parfois difficiles à définir car leurs problématiques s’entrecroisent, gravite autour de questions liées aux gestes professionnels et à l’agir enseignant. Certaines de ces recherches, qui prennent appui sur les cadres théoriques développés par A. Jorro ou D. Bucheton63 s’intéressent en effet plus spécifiquement aux gestes professionnels développés par l’enseignant lors des activités de compréhension et d’interprétation de textes littéraires et s’appuient donc elles aussi sur des corpus d’interactions recueillis dans les classes.64

Parmi eux, on pourra noter ici la recherche menée par J.-L. Dufays, qui a donné lieu à plusieurs publications (par ex. Dufays 2005, Dufays et Ronveaux 2006, Marlair et Dufays 2008), et s’intéresse aux gestes professionnels mis en oeuvre dans des leçons de littérature

63 Par ex. : Jorro, 2002, Bucheton 2005.

On peut aussi mentionner le programme de recherche conduit par l’équipe ALFA-LIRDEF au sein de l’ IUFM de Montpellier, dont l’un des programmes de recherche, conduit par J.-C. Chabanne, s’intitule

Littérature, activité des élèves, gestes professionnels des enseignants , expérience esthétique des élèves (2011)

64 Parmi les travaux en lien avec la question des gestes professionnels dans la classe de littérature, on pourra par exemple mentionner les thèses de :

a/ H. Croce-Spinelli qui a soutenu une thèse en sciences de l’éducation sous la direction d’A. Jorro, intitulée : Gestes professionnels de l'enseignant et processus interprétatifs des élèves (2007). Elle y étudie les «gestes professionnels de l'enseignant de littérature qui conduit des débats littéraires successifs avec un groupe d'élèves de cycle 3» (Croce-Spinelli 2006). Elle prend appui sur les transcriptions de débats interprétatifs, conduits par deux enseignants à propos de L’Enfant-océan de J.-C. Mourlevat.

b/ C. Dupuy dont la thèse, Le Français tel qu’on l’enseigne. Étude des gestes professionnels de

maîtres faisant lire un texte de littérature jeunesse au cycle 3 (2009), menée sous la direction de D.

Bucheton et R. Etienne, s’intéresse à «l’observation attentive des pratiques ordinaires des enseignants» et aux «tâches doxiques» qu’ils mettent en place à l’occasion de la lecture de la nouvelle «Archimémé» de B. Friot (Milan 1997).

dans le cadre secondaire belge. Il s’appuie sur des transcriptions des cours (ainsi que sur des entretiens avec les enseignants) et analyse la pratique enseignante autour des textes littéraires.

Ainsi, que l’entrée adoptée soit celle des cercles de lecture et / ou des débats interprétatifs et / ou des gestes professionnels associés à la lecture de textes littéraires, ces travaux examinent avec la plus grande attention les échanges qui ont lieu dans la classe, en tant que creuset dans lequel et par lequel se construit la compréhension et l’interprétation des textes.

Néanmoins, même si certains d’entre eux ont été des sources d’inspiration pour mener notre propre recherche, celle-ci n’est pas dans leur filiation immédiate : ils présentent en effet un certain nombre de différences par rapport à notre propre questionnement.

1/ On remarquera tout d’abord qu’ils s’ancrent dans le domaine des sciences de l’éducation plutôt que dans celui des sciences du langage. L’approche des échanges menés autour des textes - notamment en ce qui concerne les cercles de lecture est plutôt de nature socio-constructiviste, comme en témoignent les fréquentes références à J. Bruner ou L. Vygotsky. Ils sollicitent assez peu (au contraire de notre propre travail) les travaux dont l’ancrage théorique est clairement celui de l’analyse des discours en interaction.65

2/ En outre, les échanges in situ sont parfois pour ces chercheurs un observable parmi d’autres lorsqu’on veut avoir accès à la manière dont le texte est reçu par les élèves ou les étudiants. Les chercheurs organisent des entretiens individuels ou collectifs, incitent à produire des suites ou des pastiches du texte lu, analysent des carnets de lecteur, enregistrent des «comités de lecture» (Lebrun 2007) etc... Et, pour beaucoup, la dimension proprement interactive des conversations autour du texte n’est pas nécessairement toujours prise en compte. La recherche de «traces» de lecture est souvent prioritaire par rapport à l’analyse de la construction dynamique et mouvante de l’interprétation du texte dans et par les échanges.

3/ Enfin, ces recherches sont le plus souvent menées dans un cadre scolaire (maternelle, primaire, collège, lycée) et concernent l’enseignement de la littérature de jeunesse, auprès d’élèves qui ont majoritairement le français pour langue première, ce qui peut notamment s’expliquer par l’implantation de la plupart de ces travaux au sein des IUFM.

65 La référence à C. Kerbrat-Orecchioni n’est par exemple pas systématique dans ces travaux, qui analysent pourtant des corpus d’interactions orales recueillies dans des classes. Les thèses de S. Dardaillon (2009) et de P. Sève (2009), par exemple, ne mentionnent dans leur bibliographie aucun titre de cet auteur dont les travaux font pourtant référence dans le domaine de l’analyse des discours en interaction. Il ne faut néanmoins pas généraliser : C. Tauveron s’appuie par exemple explicitement sur C. Kerbrat-Orecchioni lorsqu’elle analyse les modalités de négociation du sens dans les débats menés en classe autour de textes littéraires.

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