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DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

3. Interagir « autour » du texte littéraire en classe de langue Dans ce dernier point de notre chapitre, nous revenons sur le type particulier

3.2. Lecture du texte littéraire et analyse d’interactions, balayage d’un champ d’études

3.2.1. Le domaine de l’analyse d’interactions didactiques

En examinant quelques travaux récents dans le domaine de l’analyse des interactions didactiques, il nous est apparu qu’un certain nombre d’entre eux se sont intéressés à des séquences où l’enseignant propose aux étudiants la lecture (sous des modalités variées) d’un texte littéraire.

Sans prétendre fournir une liste exhaustive, on peut relever quelques exemples parmi de récentes recherches doctorales s’inscrivant dans ce champ :

- dans le corpus étudié par J. Aguilar Rio (2010), l’une des enseignantes observées, Candence, consacre un cours d’anglais langue étrangère à la lecture d’un poème de Robert Louis Stevenson «From a railway carriage» ;

- J. Costa (2010), qui s’intéresse à la question de la revitalisation linguistique (à travers l’exemple de l’occitan et du scot) recueille un cours où une enseignante fait travailler ses élèves sur «Lament for a lost dinner ticket» de Margaret Hamilton54;

- la thèse de N. Cherrad (2008), quant à elle, s’intéresse à la dimension métalinguistique des échanges en classe de langue. Elle a enregistré plusieurs cours de licence de français à l’université de Constantine, dont des cours de littérature55;

- V. Delorme (2010), dans sa thèse consacrée à la question des contextes dans la classe de langue, inscrit dans son corpus un cours portant sur un extrait du roman de Zola, Thérèse Raquin.56

Néanmoins, la présence du texte littéraire dans ces interactions nous semble être, le plus souvent, le fait du hasard : lors de la constitution du corpus ont été enregistrées des séquences où, de manière fortuite, le cours portait (selon des modalités et avec des objectifs variés) sur un texte littéraire. Néanmoins, la spécificité du document qui suscite les échanges

54 Extrait de corpus présenté et commenté lors de la journée d’étude «Pluri-L» du 14 juin 2009 à Angers.

55 Cf. notre bibliographie pour les références précises des thèses.

56 Ce cours s’intègre dans le corpus de référence «IDaP» recueilli en 2002-2003 dans le cadre des travaux du DILTEC à Paris III (groupe « Discours d’enseignement et interactions »). Il est à cet égard utilisé dans différents travaux. Il est par exemple repris par L. Fillietaz dans l’article «Mise en discours de l’agir et formation des enseignants. Quelques réflexions issues des théories de l’action» (Cicurel et Bigot : 2005).

n’y est pas réellement prise en considération,57 même lorsque, comme dans le corpus recueilli par J. Costa, le texte propose justement tout un jeu entre différentes langues et registres de langues qui sont commentés dans la classe - et n’entre pas en compte dans la problématique de la recherche elle-même.

D’autres travaux prennent cependant en compte de manière plus explicite la nature même de l’objet des échanges et accordent une attention particulière au fait que ceux-ci se déroulent à l’occasion d’une activité (expliquer et ou commenter un texte littéraire) et portent sur un objet (le texte littéraire) spécifique. Sans nullement prétendre à l’exhaustivité, nous revenons sur quelques-uns de ces travaux, qui ont balisé notre propre cheminement vers la formulation de notre problématique de recherche.

1/ C. Kramsch s’intéresse par exemple à ces croisements entre analyse des interactions et lecture de textes littéraires. Dans Interaction et discours en classe de langue, elle présente une «typologie d’activités et de pratiques pédagogiques pour l’apprentissage du discours interactif» (1991, IV). Certaines de ses propositions portent sur des textes littéraires, et un développement leur est spécifiquement consacré dans la partie intitulée «négociation du sens d’un discours écrit.» Après avoir souligné que les approches communicatives (qui sont contemporaines du moment où elle écrit l’ouvrage) ont fait passer le texte littéraire au second plan, derrière les textes authentiques, elle met en avant leur spécificité. En effet, les textes non littéraires «sont bien souvent des textes d’information unidimensionnels à un seul niveau d’interprétation, et offrent par eux-mêmes peu matière à interaction entre l’auteur et le lecteur, ou entre les lecteurs d’une classe de langue». En revanche, «un texte littéraire choisi pour son impact affectif, la densité de son discours et ses différents niveaux d’interprétation - ce que H. Widdowson (1981) appelle sa réalité au-delà du réalisme semble être particulièrement propre à activer l’imagination, la créativité et l’engagement discursif des élèves, s’il est enseigné dans un esprit d’interaction» (ibid.).

Dans le prolongement de ce premier ouvrage, Context and Culture in Language teaching, publié en 1993, C. Kramsch se focalise sur l’enseignement du texte littéraire pendant tout un chapitre («Teaching the literary text» pp.130-176). Nous reviendrons de manière plus précise sur ses propositions didactiques dans notre chapitre 4. Nous nous contenterons de souligner ici qu’elle y met l’accent sur une «pédagogie du dialogue, qui puisse susciter et valoriser la diversité et la différence» (Kramsch 1993 : 131).

Néanmoins, les travaux de C. Kramsch, s’ils soulignent l’importance de la dynamique des échanges que fait naître la lecture du texte littéraire, sont avant tout consacrés à la description d’activités pédagogiques : les quelques échanges qui sont transcrits, dans l’un et 57 On pourrait nuancer notre propos au sujet de la recherche de N. Cherrad : un certain nombre d’histogrammes distinguent les activités métalinguistiques et les pratiques de décontextualisation observées d’une part en cours de littérature et d’autre part en cours de linguistique. Cependant elle ne commente pas les différences relevées en fonction de l’objet du cours. De surcroît, elle ne s’intéresse pas nécessairement à des cours où sont expliqués et commentés collectivement des textes littéraires : la majeure partie de son corpus est constituée de développements magistraux des enseignants (sur un mouvement littéraire, un auteur etc...).

l’autre ouvrage, sont plutôt proposés en guise d’illustration, et ne constituent pas un véritable corpus qui serait minutieusement analysé.

2/ Leçons de conversation de S. Pekarek (1999) est l’un des ouvrages de référence dans le domaine de l’analyse des interactions en classe de langue. Son auteur y étudie les dynamiques interactives dans la classe de langue, à partir d’un corpus composé de cours de conversation recueillis en Suisse alémanique, dans des cours de langue 2 au lycée, dont certains prennent appui sur un texte littéraire. Et elle envisage bien la nature de ce support comme l’une des variables susceptibles d’être pertinentes à analyser. En effet, ses analyses mettent en évidence le fait que les «profils interactionnels» des trois types de cours enregistrés diffèrent fortement. Un «fort contraste» est repérable entre les discussions de littérature d’une part et celles d’actualité et les débats d’autre part. Elle observe notamment que celles-ci «montrent des conditions socio-interactionnelles très favorables au développement des compétences discursives» alors que :

«les discussions de littérature s’avèrent pour partie peu profitables sur ce plan. Les schémas de déroulement figés qui caractérisent ces activités sont sans doute partiellement dus à leur double objectif éducatif, orienté à la fois vers l’acquisition langagière et vers la formation littéraire.» (Pekarek 1999 : 179)

Néanmoins, ces conditions interactionnelles sont susceptibles d’être optimisées - même si ce n’est pas le «coeur» de sa problématique, S. Pekarek souligne en effet «qu’il s’est pourtant avéré qu’une logique localement co-construite de l’interaction est particulièrement apte à favoriser aussi bien l’acquisition langagière que la sensibilisation à la littérature» (1999 : 179) et que se dessine sur ce point «un important potentiel d’optimisation des leçons de conversations». Les pistes qu’elle dessine aux pages 180-187 de son ouvrage sont autant de sources possibles pour repenser la dynamique des échanges lorsqu’un texte littéraire est donné à lire en classe de langue.

3/ De manière ponctuelle, on mentionnera aussi l’article de Y. Vrhovac «Lire un conte en français en Croatie. Pour une approche interactionnelle» (Vrhovac 2005). Elle s’ y intéresse en effet «dans le cadre d’une étude sur la lecture de textes littéraires en dehors de la classe et sans la présence de l’enseignant par des apprenants adolescents croates /.../ au comportement verbal des apprenants et de l’enseignant au cours de l’interprétation de ces textes en classe» ( Vrhovac 2005 : 87). Elle analyse les données recueillies et montre que si on y retrouve les «traits marquants d’une interaction didactique» (Vrhovac 2005 : 95), se manifeste aussi dans les échanges une dimension conversationnelle :

«Il apparaît que dans certaines séquences dominent un intérêt réel pour le texte et l’envie d’exprimer ce que l’on ressent. Les jeunes lecteurs ont pris position et donné leur opinion sur le contenu du conte et ses personnages, sur le public pour lequel il est écrit et sur le message. Une interaction entre le texte et le lecteur s’est produite sans qu’il y ait nécessairement médiation du professeur.» (ibid.)

Y. Vrhovac s’intéresse donc de manière effective aux interactions suscitées par la lecture de ce conte, et souligne la possibilité que la lecture du texte suscite l’investissement personnel des apprenants et l’établissement d’une didactique interactionnelle - a contrario, donc, des conclusions de S. Pekarek. Néanmoins, Y. Vrhovac, tout comme S. Pekarek et C. Kramsch souligne le lien étroit entre la démarche adoptée, le format d’activités proposées par l’enseignant et le possible développement d’une véritable dimension «communicative» des interactions suscitées par la lecture d’un texte littéraire : C. Kramsch (1991) parle ainsi de l’importance d’enseigner «dans un esprit d’interaction».

4/ Enfin, deux travaux associent une étude d’interactions relatives à la lecture d’un texte littéraire à des interrogations sur les dynamiques interculturelles - et à ce titre sont donc très proches de nos interrogations. Il s’agit tout d’abord d’un article de M.-T. Vasseur et R. Delamotte-Legrand (Delamotte-Legrand et Vasseur 2006). L’une et l’autre s’interrogent sur la rencontre et la confrontation des langues-cultures qui se joue dans les interactions en classe de langue. Elles prennent appui sur des corpus recueillis dans deux contextes différents

- une classe de CLIN, dans laquelle l’enseignante et les élèves échangent après avoir écouté la lecture d’un conte palestinien ;

- et une classe de lycée français au Vietnam, où c’est «Le Dormeur du val» d’A. Rimbaud qui est donné à commenter.

L’analyse des données - qui est faite dans une perspective qui est celle de l’analyse des interactions - met en évidence le fait que la lecture du texte littéraire sollicite de multiples représentations - plus ou moins stéréotypées - sur soi et / ou sur l’autre.

L’autre recherche dont nous ferons mention ici est celle d’A.-K. Sundberg. Dans sa thèse (publiée en 2005), elle a réuni «un corpus empirique, constitué d’observations de trois classes de FLE dans le contexte suédois» (Sundberg 2009 : IV) et cherche à y cerner «comment s’/y/ construisent l’altérité linguistique et l’altérité culturelle» (Sundberg 2009 : 9). Un des chapitres de son travail est consacré à l’analyse d’une séquence qui s’organise autour de la lecture d’un texte, de J. Godbout, «L’autobus à frites, un projet d’envergure nationale» (extrait «adapté» de son roman Salut Galarneau, et inséré dans le manuel à partir duquel travaille l’enseignante). Elle analyse «comment le travail de lecture peut s‘inscrire dans une perspective interculturelle et didactique» (Sundberg 2009 : 52), en adoptant les références théoriques et les outils qui sont ceux de l’analyse des interactions didactiques. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’agir enseignant puisqu’elle se propose notamment d’étudier comment «l’enseignant introduit le travail sur l’extrait de texte littéraire» afin de «cerner les objectifs d’apprentissage qu’il s’est fixés», ainsi que la manière dont il «/gère/ /.../ l’altérité linguistique et culturelle lors de l’interaction» (Sundberg 2009 : 11).

On voit donc qu’un certain nombre de travaux se sont déjà intéressés aux échanges qui se déroulent lors de la lecture d’un texte littéraire. Ils soulignent bien l’existence d’une

spécificité de ces interactions, inhérente à l’objet qui y est examiné - et pour certains mettent en évidence les dynamiques interculturelles susceptibles d’y être observées. Cependant ces études restent assez sporadiques et ne constituent pas un «sous domaine» à part entière du champ de l’analyse des interactions didactiques.58

3.2.2. Le domaine de la didactique du texte littéraire : cercles de

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