• Aucun résultat trouvé

DYNAMIQUES (INTER)CULTURELLES DANS LES INTERACTIONS

1. Culture, cultures

1.1.1. Culture cultivée / anthropologique

Sans retracer exhaustivement l’histoire, complexe et entrelacée, des deux concepts, on peut tout d’abord revenir sur les significations de culture qui sont pertinentes au vu de nos propres interrogations et exposer, parmi les multiples acceptions du terme, celles que nous retiendrons plus particulièrement. R. Wiliams donne de ce «mot fourre-tout» la définition suivante, qui met à jour trois grandes manières d’envisager la culture :

«Il existe trois grandes catégories dans la définition de la culture. Tout d’abord, le domaine de “l’idéal” de certaines valeurs universelles, dans lesquelles la culture est un état de perfectionnement humain ou un processus y conduisant. Ensuite, il y a le domaine “documentaire” dans lequel la culture constitue l’ensemble des productions

intellectuelles et créatives, et dans lequel se trouvent enregistrées dans le détail la pensée et l’expérience humaines. /.../ Enfin, il existe une définition “sociale” du terme, qui fait de la culture la description d’un mode de vie particulier traduisant certaines significations et certaines valeurs, non seulement dans le monde de l’art ou du savoir, mais aussi dans les institutions et le comportement social.» (Williams, The Long

Revolution, 1965, cité par Byram 1992 : 111-112)

La première (sens 1/) renvoie à l’opposition fondatrice entre nature et culture. La culture est ici ce qui permet à l’homme de sortir de l’état de nature, de tendre vers un idéal universel de la condition humaine. C’est Cicéron qui le premier, dans ses Tusculanes, développe cette signification abstraite du terme, qui renvoyait initialement (colere / cultus) aux «soins apportés à la terre, puis au corps, et enfin à l’esprit dans le but de les faire fructifier» (Fichou 1979 : 24-26). Il trace une analogie entre :

- la terre qui a besoin d’être cultivée pour porter des fruits

- et l’esprit humain : sa culture (cultura animi), grâce à la philosophie, permet d’en «extirper les vices» et le met «en état de recevoir les semences».69

La seconde manière de la définir (sens 2/) met l’accent quant à elle sur l’«ensemble des productions intellectuelles et créatives» qui circulent dans une société donnée et constituent un patrimoine immatériel, partagé par tout (ou partie) de ses membres. Elle renvoie au sens ordinaire que l’on attribue à l’adjectif cultivé, lorsqu’il renvoie à «l’état d’un esprit enrichi par des connaissances variées et étendues» (Galisson 1976 : 156-157).

Elle s’oppose alors au sens 1/, qui renvoie, plus largement, à une certaine disposition de l’esprit, une formation intellectuelle et morale qui se situe au-delà de la maîtrise de connaissances encyclopédiques70. La culture au sens 1/ est, avant tout, une forme d’humanisme : «avant la culture françaie, la culture allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine» (E. Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? Conférence prononcée à la Sorbonne, 1882, cité par Cuche 2001 : 13).

Cependant, la tradition classique fait de certains champs de connaissances des lieux de prédilection pour que s’épanouisse la culture au sens 1/. La littérature a longtemps été, nous le verrons, aux premiers rangs d’entre eux.

De même, la culture au sens 1/ se veut universelle. Mais, en sous-main, s’y manifestent les normes d’une société donnée. Ce modèle de la culture en vient aussi à définir «l’autre» comme un homme sans culture, un sauvage ou un barbare ? M. de Certeau souligne ainsi que «les traits de l’homme “cultivé”» étaient toujours, en définitive, «conformes au modèle élaboré dans les sociétés stratifiées par une catégorie qui a introduit ses normes là où elle imposait son pouvoir» (de Certeau 1993 : 167-168).

69 «Ut ager quamvis fertilis sine cultura fructuosus esse non potest sic sine doctrina animus... cultura autem animi philosophia est haec extrahit vitia radicitus et praeparat animos ad satus accipendos...» :

de même qu’un champ, si fertile soit-il, ne peut être productif sans culture, de même l’âme, sans enseignement... or la culture de l’âme c’est la philosophie: c’est elle qui extirpe radicalement les vices et met les âmes en état de recevoir les semences(Ciceron, Tusculanes, livre 1).

Le troisième sens (sens 3/) est apparu au cours du XIXe siècle : issu des premiers travaux ethnographiques et anthropologiques, il renvoie à toutes les formes acquises de comportement au sein d’une société humaine. On retiendra ici pour l’illustrer la définition emblématique de E. Tylor :

«Culture ou civilisation pris dans son sens ethnographique large est ce tout complet qui comprend la connaissance, la croyance, l’art, la morale, le droit, la coutume et toutes les autres capacités acquises par l’homme en tant que membre de la société.» (Tylor, Primitive culture 1871, cité par Cuche 2001 : 16)

Nous empruntons le tableau ci-dessous au Dictionnaire de didactique de D. Coste et R. Galisson (Coste et Galisson 1976 : 90), qui rapprochent par ce biais différentes définitions de culture s’inscrivant à la suite de celle de E. Tylor et font ainsi apparaître leurs points communs71.

e n s e m b l e s u p p o s é cohérent

des règles de conduite, d e s c r o y a n c e s , d e s techniques matérielles et intellectuelles

caractéristiques d’un ensemble social (H.

Mendras)

ensemble d e s p h é n o m è n e s s o c i a u x ( r e l i g i e u x , moraux, esthétiques, scientifiques, techniques)

communes à une grande société ou à

un groupe de société (Petit Robert)

ensemble des attitudes, des visions du monde et des traits s p é c i f i q u e s d e civilisations

qui confère à un peuple particu dans l’univers (Ed. Sapir)

euple particulier sa place originale . Sapir)

71 NB : on voit que d’autres définitions «classiques» de la culture anthropologique pourraient tout à fait prendre place dans ce tableau tripartite que ce soit celle de M. Mead :

«Par culture, nous entendons l’ensemble des formes acquises de comportement qu’un groupe d’individus, unis par une tradition commune transmettent à leurs enfants ... ce mot désigne donc non seulement les traditions artistiques, scientifiques, religieuses et philosophiques d’une société, mais encore ses techniques propres, ses coutumes politiques et les mille usages qui caractérisent sa vie quotidienne : modes de préparation et de consommation des aliments, manière d’endormir les petits enfants, mode de désignation du président du conseil, procédure de révision de la constitution etc.» (Mead, Sociétés, traditions et techniques, 1953)

ou de B. Malinowski : «au départ, il sera bon d’envisager la culture de très haut, afin d’embrasser ses manifestations les plus diverses. Il s’agit évidemment de cette totalité où entrent les ustensiles et les biens de consommation, les chartes organiques réglant les divers groupements sociaux, les idées et les arts, les croyances et les coutumes. Que l’on envisage une culture très simple ou très primitive, ou bien au contraire une culture complexe très évoluée, on a affaire à un vaste appareil pour une part matériel, pour une part humain, et pour une autre encore spirituel, qui permet à l’homme d’affronter les problèmes concrets et précis qui se posent à lui.» (Malinowski, Une théorie scientifique de la

configuration d e s c o m p o r t e m e n t s a p p r i s e t d e l e u r s r é s u l t a t s d o n t l e s éléments composants

sont partagés et transmis p société donnée (R. Linton)

transmis par les membres d’une . Linton)

systèmes implicites et explicites

d e s c o m p o r t e m e n t s appris et transmis par symboles, y compris leur solidification en artefacts

c o n s t i t u e n t l e s c e a u distinctif

des groupes humains (C. Klukohn)

Cette présentation nous permet de mettre en évidence quelques-unes des spécificités de la définition anthropologique (ou sociologique) de la culture et de pointer le véritable renversement de perspective qu’elle opère en regard des définitions classiques du terme.

- La culture y est nécessairement envisagée sur un plan collectif. Là où l’homme cultivé est pensé avant tout comme un individu72, la culture anthropologique s’intéresse aux membres d’une «société», d’une «communauté», d’un «ensemble social»;

- Elle est descriptive et non plus normative : une forme de continuité est posée entre les cultures «primitives» et les autres.73 Dans cette perspective, tous les peuples, quel que soit leur niveau de développement (maîtrise ou non de l’écrit par exemple) ont une culture : les anthropologues s’interdisent de hiérarchiser les sociétés, et, plus encore, de penser qu’il existe des peuples sans culture : désormais, «parler de peuples incultes», «sans civilisation», de peuples «naturels», c’est parler de choses qui n’existent pas» (Mauss, L’Année sociologique, 1901 cité par Cuche 2001 : 25).

- Les productions de l’esprit (artistiques, scientifiques, intellectuelles) - c’est-à-dire la culture au sens 2/ - ne sont qu’un aspect de la culture au sens anthropologique.

«Selon les disciplines, “culture” peut aussi s’entendre selon une conception restreinte, pour ne désigner que les productions symboliques (langues, idées, coutumes, mythes etc...), ou selon une conception élargie, qui inclut aussi les aspects matériels (outils, habitats, habitudes vestimentaires ou culinaires etc...).» (Amossy 2002 : 129)

Cette définition englobe de fait tous les aspects de la vie en société et renvoie donc, beaucoup plus largement, à tout ce qui fait sortir l’homme de l’état de «nature» et caractérise sa vie en société, comme l’établit C. Lévi-Strauss :

«Il y a donc là deux grands ordres de fait, l’un grâce auquel nous tenons à l’animalité par tout ce que nous sommes, du fait même de notre naissance et des caractéristiques que nous ont léguées nos parents et nos ancêtres, lesquelles relèvent de la biologie, de la psychologie quelquefois ; et d’autre part, tout cet univers artificiel qui est celui dans lequel nous vivons en tant que membres d’une société.» (Charbonnier 1972 : 180 )

72 Même s’il incarne un modèle propre à une communauté.

73 Certains anthropologues - comme E.Tylor par exemple - considèrent néanmoins différents stades dans le développement des cultures.

- Elle est enfin pensée comme un système organisé, un tout complexe, une structure - les éléments qui la composent devant être envisagés comme en relation les uns avec les autres et non comme une collection disparate de traits caractéristiques.

Outline

Documents relatifs