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1.3 «Contacts de cultures» : une définition repensée de l’interculturel

3. Identités / altérités, positionnements identitaires

3.3. Les dimensions paradoxales de l’identité

Les définitions de l’identité soulignent généralement sa dimension paradoxale : l’identité apparaît comme un phénomène «dont on perçoit qu’il tend à conjuguer des éléments contradictoires : l’unicité et la similitude, l’individuel et le social, la permanence et le changement, l’objectif et le subjectif, l’immobilité et le mouvement» (Marc 2005 : 3).

3.3.1. Singularité / similitude (idem et ipse)

Elle renvoie tout d’abord à la spécificité, la singularité d’un individu ou d’un groupe : elle est l’ensemble de caractéristiques qui permettent de définir un objet ou une personne, ce qui va distinguer un individu de tous les autres, marquer qu’il est lui-même (ipse) et n’est semblable à aucun autre. Une pièce d’identité, par exemple, affiche «toute une panoplie d’indices pour démontrer, sans confusion possible, que le porteur de ce document est Untel, et qu’il n’existe pas, parmi les milliards d’autres humains, une seule personne avec laquelle on puisse le confondre, fût-ce son sosie ou son frère jumeau» (Maalouf 1998 : 18).

Mais l’étymologie ancre aussi l’identité du côté de l’idem, du même : c’est le caractère de deux objets similaires, la similitude entre deux êtres, deux choses. Poser l’identité de quelque chose ou quelqu’un, c’est aussi souligner sa similitude avec d’autres, semblables à lui-même. L’identité est aussi affiliation avec des alter ego – le processus d’identification jouant d’ailleurs un rôle central dans la construction de l’identité.

L’identité se trouve de fait aux confins de l’individuel et du collectif. Elle concerne l’individu : c’est la conscience que chacun a d’être soi, de sa singularité. E. Marc définit par exemple l’identité personnelle comme : la «conscience de soi comme individualité singulière, douée d’une certaine constance et d’une certaine unicité» (Marc 2005 : 122).

Mais cette affirmation individuelle ne peut se faire qu’en inscrivant cet individu au sein d’un groupe : D. Martuccelli souligne qu’elle est le «produit énigmatique de deux dynamiques potentiellement antagoniques en vertu desquelles chacun ne peut dire je qu’en disant et en pensant aussi nous» (Martucelli Grammaire de l’individu, 2002 cité par Kaufman 2004 : 122).

Les conceptions classiques distinguent ainsi généralement dimension individuelle et dimension sociale de l’identité. Ainsi, H. Nicklas distingue l’identité individuelle, personnelle, et l’identité sociale. La première est «l’identité du Moi, le Sujet se trouvant au centre de l’intérêt» ; la seconde est «attribuée à l’individu par son environnement social, une identité qu’il connait et dans laquelle il se reconnaît», elle est «le produit des interactions entre l’individu et son environnement social» (Nicklas in Demorgon et Lipianski 1999 : 145). Cette identité sociale est «liée à la connaissance de son appartenance à certains groupes sociaux et à la signification émotionnelle et évaluative qui résulte de cette appartenance» (Tajfel in Moscovici 1972 : 296).

On peut distinguer parmi ceux-ci des «groupes d’appartenance», ceux auxquels l’individu participe activement, et des «groupes de référence» auprès desquels «il puise des modèles ou auxquels il cherche à s’intégrer en fonction de ce qu’il va devenir» (ibid.). Les premiers renvoient plutôt à un état de fait, à la position donnée d’un individu, les autres à une dynamique, un possible devenir.

Ces diverses affiliations modèlent l’identité des individus concernés qui en tirent «une certaine perception et certains sentiments d’eux-mêmes» (Marc 2005 : 127) : ces groupes «proposent des systèmes de valeurs, des modèles de conduite, des représentations types du bon membre ainsi qu’un registre de rôles prescrits ; c’est à travers des images identificatoires, ces représentations normatives et ces schèmes d’interaction que le milieu environnant modèle l’identité sociale des individus» (Marc 2005 : 127).

Psychologie et psychologie sociale se partagent généralement ces deux terrains d’investigation – l’identité personnelle étant étudiée préférentiellement par la première, l’identité sociale par la seconde. C’est celle-ci qui retiendra plus particulièrement notre attention dans le cadre de ce travail, qui nous conduira à nous intéresser à la manière dont la lecture du texte littéraire conduit les acteurs de la classe à mobiliser leurs différentes appartenances.

3.3.2. S’affilier / se différencier : idem et alter

La première dimension dialectique de l’identité est donc celle qui marque «ce qui est unique par le biais de ce qui est commun et partagé» (Martucelli, Grammaire de l’individu, 2002 cité par Kaufman 2004 : 122) ; la seconde est relative au fait que pour affirmer son identité, un individu doit tout autant s’affilier à un groupe donné que se différencier vis-à-vis d’autres groupes.

L’établissement d’une frontière entre «nous et les autres» - pour reprendre le titre de l’ouvrage de T. Todorov (1989) est l’une des premières étapes de tout positionnement

identitaire.Il s’agit par ce mouvement de poser un sentiment de «proximité et de solidarité» avec des nous qui s’opposent à «eux», les «autres», les «adversaires», les «étrangers» (Ladmiral et Lipianski 1989 : 125).

L’identité se construit ainsi à la fois par un mouvement d’appartenance et par un sentiment de non-appartenance. Les recherches en psychologie sociale montrent d’ailleurs que les individus ont tendance à accentuer les processus de différenciation inter- groupes et d’homogénéisation intra-groupe: les similitudes entre membres d’un même groupe d’appartenance sont accentuées, à l’inverse les similitudes entre groupes différents sont minimisées – de manière à renforcer la cohésion des «nous» face aux «autres». La théorie de l’identité sociale positive (Tajfel in Demorgon et Lipianski 1999) montre comment les individus essaient de maintenir et ou d’accéder à une identité sociale positive, basée sur la comparaison favorable entre le groupe d’appartenance et les autres groupes, et de faire en sorte que son groupe soit positivement distinct des autres.

Ainsi l’identité, pour reprendre les mots d’E. Morin, «constitue une sorte de bouclage indissoluble entre similitude / inclusion et différence / exclusion» (1980 : 271).

3.3.3. L’interaction individu / social : au cœur de je, nous

Cependant, de fait, la frontière entre identité individuelle et identité sociale (collective), entre soi et autrui est difficile à déterminer : le social, le collectif sont présent au cœur même de l’identité individuelle

De même, la relation à autrui est au cœur du sentiment d’identité : on ne peut pas ne pas se situer par rapport à autrui. L’identité apparaît comme un processus différentiel : elle «n’existe pas en soi mais s’élabore par confrontation permanente avec d’autres identités» (Kaufmann 2004 : 44-45).

L’image que l’on se fait de soi-même transite aussi par le regard qu’autrui porte sur nous. Autrui est un «médiateur entre moi et moi-même» (Sartre L’Être et le néant, 1976, cité par Marc 2005 : 66) que son regard vienne confirmer notre identité, qu’il nous aide à la mettre au jour, ou qu’il nous paraisse comme aliénant s’il nous assigne une identité dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas pleinement :

«Par l’apparition même d’autrui je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui.» (ibid.)

Il semble difficile de séparer identité individuelle et identité sociale. Après avoir distingué l’une et l’autre, les recherches en psychologie sociale soulignent au contraire aujourd’hui les imbrications, les interrelations qui les rapprochent. L’identité individuelle est nécessairement façonnée par des modèles collectifs, par une culture donnée.

«L’individu n’est pas une sorte d’entité (plus ou moins) autonome qui subirait (plus ou moins) l’influence de divers cadres sociaux. Les cadres sociaux ne lui sont pas extérieurs. L’individu est lui-même de la matière sociale, un fragment de la société de son époque, quotidiennement fabriqué par le contexte auquel il participe.» (Kaufmann 2004 : 49)

L’individu ne peut se développer en dehors des groupes de références au sein desquels il s’inscrit et son identité s’élabore nécessairement en relation avec des modèles culturels et sociaux.

Bref, ces «intrications» entre «individualité et groupalité» (Marc 2005 : 167), entre moi et l’autre, nous font adopter une conception interactionniste de l’identité - telle qu’on la trouve exprimée dans les travaux de l’interactionnisme symbolique, ou bien de l’approche systémique de l’école de Palo Alto. Pour G.-H. Mead, par exemple, le Soi « se développe chez un individu donné comme résultat des relations que ce dernier soutient avec la totalité des processus sociaux et avec les individus qui y sont engagés» (Mead L’Esprit, le Soi et la société, 1963, cité par Vion 2000 : 34). L’identité doit donc être envisagée comme un phénomène relationnel, un produit des interactions sociales : la communication implique une définition relative et réciproque de ceux qui s’y engagent.104

3.4. Les dynamiques identitaires : des identités plurielles, en

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