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LA LECTURE DES TEXTES LITTÉRAIRES, MÉDIATIONS CULTURELLES ET

J.- L Dufays (1994) décrit ainsi les savoirs qui «sont nécessaires pour pouvoir lire» et que l’on acquiert en lisant Ces codes du lecteur peuvent se subdiviser en stéréotypes et en

2. Lire le texte littéraire en classe de langue

2.1. Une lecture en langue étrangère

Première évidence : l’apprenant qui est amené à lire un texte littéraire dans un cours de langue le fait dans une langue qui lui est (plus ou moins) étrangère. Que cette lecture se déroule dans une langue qu’il ne maîtrise pas complètement n’est pas sans conséquences : il rencontre de nombreux obstacles qui rendent sa lecture pénible et difficile, voire l’empêchent de la mener à bien.

J. Peytard liste quant à lui plusieurs types de difficultés que l’apprenant de langue peut rencontrer :

«- des difficultés à se situer dans l’institution littéraire» : le non natif ne peut aisément situer l’objet de sa lecture dans le champ littéraire ;

146La variable «contexte» comprend pour J. Giasson «toutes les conditions dans lesquelles se trouve le lecteur /.../ lorsqu’il entre en contact avec un texte. /.../ Ces conditions incluent celles que le lecteur se fixe lui-même et celles que le milieu, souvent l’enseignant, fixe au lecteur.» Elle distingue trois types de contextes : «les contextes psychologique, social et physique» (Giasson 1990 : 22).

- des «difficultés à situer le texte dans son intertexte : à comprendre un énoncé, parce que manque la connaissance socio-culturelle, parce que les effets de connivence culturelle ne sont pas relevés ni sentis» ;

- des difficultés «à pénétrer les réseaux connotatifs. /.../ Parvenir à pénétrer les lacis de la connotation engage à une connaissance affinée du fonctionnement de la langue et de la diversité des champs socio-culturels». (Peytard 1982 : 12)147

F. Cicurel évoque quant à elle :

«- des obstacles lexicaux : il s’arrête sur un mot inconnu, en cherche l’explication et oublie le fil du texte ;

- des obstacles liés à l’organisation textuelle parce qu’il connaît mal la syntaxe de la langue et les procédés par lesquels les phrases sont articulées entre elles ; /.../

des obstacles liés au domaine référentiel (contenu, thèmes abordés, allusions).» (Cicurel 1991 : 11)

Les limites des compétence (tant linguistiques que référentielles) de l’apprenant en langue font qu’il risque notamment, à tout moment, de passer à côté de la charge de signification implicite de tel ou tel terme, qu’il peine à saisir les réseaux de connotation dans lesquels s’inscrivent les mots du texte. Il a du mal à saisir pourquoi un terme est employé et non tel autre, quels sont les effets de sens qui lui sont propres, comment il entre en résonance avec les autres éléments du texte. Il risque de se limiter à une compréhension littérale des mots qui le composent, pris isolément les uns des autres. Il n’a pas non plus «la connaissance empirique du contexte institutionnel de production de l’oeuvre» et, ne maîtrise pas «les savoirs relatifs à l’intertexte» (Mazauric 2004 : 353). Bref, comme nous l’avons précédemment évoqué, une plus ou moins grande partie de codes de lecteur (Dufays) qui seraient requis pour mener à bien la lecture du texte en question lui font défaut.

Même s’il sait généralement lire dans sa propre langue,148 des problèmes spécifiques de compréhension se posent au lecteur en langue étrangère et l’empêchent de transférer des savoir-faire et stratégies, que, pourtant, le plus souvent, pourtant, il maîtrise déjà. C’est ce qu’ont mis en évidence les recherches menées dans le domaine de la psychologie cognitive (D. Gaonac'h par ex). En principe, en effet, une stratégie de lecture efficace demande au lecteur

«de mobiliser ses connaissances pour aller à la rencontre de nouvelles données ; elle lui demande d’être un observateur sachant prélever les indices qui vont permettre la saisie du sens ; elle demande enfin que le lecteur sache mettre en relation les éléments dispersés dans le texte.» (Cicurel 1991 : 9)

Mais dans le cas du texte en langue étrangère, ce mouvement dynamique ne peut se faire car le lecteur ne peut plus effectuer de corrélations entre ce qu’il est en train de lire et ses connaissances antérieures : sa mémoire à court terme est saturée par le traitement de

147 On relèvera cependant qu’à ses yeux la remédiation aux deux derniers types de difficultés ne relève pas de l’enseignement car «cette culture s’acquiert par accumulation de contacts répétés. Elle ne ressortit pas à un enseignement» (Peytard 1988 : 12).

148 La question de savoir s’il est déjà - ou non - un lecteur averti de textes littéraires doit bien évidemment être posée. On peut aussi penser que cette plus ou moins grande familiarité avec les textes littéraires dans sa propre langue constituera une variable importante de la lecture qu’il en mènera en langue étrangère.

différentes opérations de bas niveau (déchiffrage, saisie des unités lexicales ...) qui lui posent problème :

«Le sujet occupé à décoder laborieusement les unités les unes après les autres n’a plus de disponibilité suffisante pour saisir la relation entre les unités» et «ne parvient pas à transformer les indices du texte en une trame sémantique». (Cicurel 1990 : 11)

Ainsi, on peut dire que la lecture en langue étrangère «décuple le sentiment d’étrangeté» ressenti par tout lecteur (Cicurel «Quand le texte littéraire en langue étrangère devient objet de désir», cité par Sundberg 2009 : 91) d’un texte littéraire, accentuant encore le décalage entre codes de l’énonciation / de la réception propre à la lecture littéraire (cf. supra).149

La méconnaissance de l’univers de référence du texte constitue un obstacle particulièrement important : le lecteur ne peut pas, comme c’est la cas lorsque cet univers lui est familier, puiser des chaînes sémantiques dans sa mémoire à long terme afin d’alléger sa mémoire à court terme. Des études ont bien montré (par ex. : Giasson 1990) que la compréhension d’un texte en langue étrangère était plus facile pour des apprenants connaissant son univers de référence que pour d’autres ne le connaissant pas, même si ceux-ci avaient une meilleure maîtrise de la langue.

Les stratégies de lecture du lecteur en langue étrangère manquent ainsi de variété, de diversité, et peuvent difficilement s’adapter à des projets de lecture différents. Pour F. Cicurel, la «gamme» des lectures possibles en contexte scolaire s’avère généralement assez restreinte. La plus fréquente semble être une lecture qu’elle qualifie de «studieuse», menée «en continu avec arrêts sur les passages difficiles ou sur ce que l’enseignant a demandé de repérer» (Cicurel 1991 : 16). Elle s’effectue lentement, et parfois à voix haute. Les difficultés de compréhension rencontrées par les apprenants s’en trouvent encore accentuées, notamment parce qu’ils ne sont pas incités à développer des stratégies de lecture efficaces et peinent à saisir la trame sémantique du texte.

Autre cas de figure mentionné par F. Cicurel : le lecteur en langue étrangère peut aussi ne pas parvenir à «ralentir sa vitesse de lecture. Il lit un texte dans une langue qu’il connaît mal en sautant des mots, à l’image de ce qu’il fait en langue maternelle. C’est comme si son oeil ne pouvait réduire l’écart entre les mots pivots sur lesquels il a l’habitude de se poser» (Cicurel 1991 : 15). Si dans le cas précédent, le lecteur s’engluait dans les opérations de bas niveau, ici, il agit comme s’il pouvait en faire l’économie.

Dans un cas comme dans l’autre, on voit que le lecteur peine accéder à la compréhension de ce qu’il lit. L’articulation entre compréhension et interprétation devient elle

149 Même si bien évidemment ces aspects sont à nuancer : on peut aussi lire un texte littéraire en langue maternelle pour lequel notre compétence culturelle est défaillante. C’est ce qui arrive à P- Béatrice confrontée à un texte en français, qui évoque une réalité antillaise qu’elle connaît peu. On peut aussi lire un texte en langue étrangère qui évoque une réalité culturelle dont on est proche. Par exemple : des étudiants de Trinité et Tobago auraient probablement trouvé un terrain familier dans l’évocation du carnaval du texte de G. Pineau.

aussi problématique, la polysémie du texte littéraire risque, pour reprendre le mot de C. Mazauric (2004 : 353) de se transformer «en pelote de significations rebelles».

Ainsi, si l’on reprend les deux types de lecture évoqués précédemment par F. Cicurel, on voit que la lecture littéraire en langue étrangère peut achopper de deux manières différentes.

Le plus souvent, elle risque de s’aligner sur celle de textes purement informatifs ; dans ce cas, «le lecteur cherche plus à retrouver le sens qu’à donner le sens» (Cicurel 1991 : 128). Le lecteur en langue étrangère qui peine à donner un sens au texte ne peut en appréhender la polysémie. Focalisé sur sa compréhension littérale (qui lui donne déjà bien du fil à retordre), il se trouve dans l’impossibilité d’en mener une lecture réellement littéraire, cette lecture plurielle que préconise J.-L. Dufays (1997). Il ne peut pas, non plus, (ou difficilement) advenir comme un sujet lecteur : son investissement subjectif reste limité, toujours en raison de ses difficultés à réaliser les opérations de bas niveau exigées par la lecture, qui freinent le recours aux opérations de haut niveau. D. Gaonac’h évoque à ce propos une «paralysie du sujet» (cité par Cicurel 1991 : 34). Cette «banalisation de la réception», qui «tend à annihiler la spécificité du fait littéraire» évoquée par F. Cicurel (1991 : 128) n’est pas sans rappeler, d’ailleurs, certaines approches méthodologiques du texte littéraire en classe de français langue étrangère, qui se contentent (cf. infra) de l’envisager comme un réservoir de faits de langue et / ou comme un simple document authentique à comprendre littéralement.150

Mais un lecteur plus aventureux peut aussi s’engager dans la voie d’une interprétation hasardeuse et déconnectée du texte. Il ne peut «accrocher» son interprétation de manière suffisamment forte et pertinente au texte dont une plus ou moins grande partie lui échappe. Il s’engage alors, sans carte ni boussole, dans un quasi délire interprétatif qui laisse le texte sur le bord de la route. Ces interprétations «en roue libre» se retrouvent à certaines occasions dans notre corpus - plus particulièrement peut-être dans les cours que nous avons recueillis à l’université en Algérie.

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