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DYNAMIQUES (INTER)CULTURELLES DANS LES INTERACTIONS

1. Culture, cultures

1.2. De la culture à la culturalité, vers une anthropologie de la relation

1.2.2. La culture dans (et par) les interactions

Pour mener à bien cette étude, il nous faut à présent nécessairement mener une réflexion sur le lien entre interaction et culture. Comment «penser» la culture dans les interactions ? Comment y observer et y analyser ces dynamiques interculturelles ?

a. Quelle approche de la culture dans les travaux interactionnistes ? Tout d’abord, quelle attention portent les analyses d’interaction à la «culture», qui y apparaît souvent comme à la fois omniprésente et insaisissable ?

Dans les nombreux travaux relatifs à l’analyse des interactions lus dans le cadre de notre recherche, la culture est fréquemment évoquée, sans jamais pourtant être toujours définie de manière précise : qu’on l’envisage comme un élément qui détermine tel ou tel comportement communicatif, ou qu’on s’intéresse aux effets provoqués par la mise en contact de cultures différentes, elle est souvent une «donnée» qui n’est pas réellement

interrogée. En témoigne par exemple l’absence significative du terme lui-même dans l’index des ouvrages de C. Kerbrat-Orecchioni (1990, 1992 et 1994), qui comportent pourtant une entrée «interculturel».

C’est sous l’angle de la variation des normes des comportements communicatifs d’une culture à l’autre (i.e. la dimension ethnolinguistique de la communication, J.-C. Beacco 2004b : 262) que la dimension culturelle des interactions semble le plus couramment traitée.

Les règles qui régissent l’alternance des tours de parole, la conception de la politesse, la réalisation de différents actes de parole (réparation / compliment par exemple), les comportements paraverbaux et non verbaux, l’ouverture et clôture des interactions (etc.) ne sont pas universelles Elles «varient ainsi sensiblement d’une société à l’autre, ainsi du reste qu’à l’intérieur d’une même société, selon l’âge, le sexe, l’origine sociale ou géographique des locuteurs (et bien sûr leur personnalité propre)» (Kerbrat-Orecchioni 1999 : 40) et sont déterminées par l’inscription des interactants dans une communauté discursive (speech community).

Or c’est très souvent l’appartenance à une culture donnée qui sert à délimiter une communauté discursive. C’est par exemple le cas chez V. Traverso :

«Tout comportement interactionnel est susceptible de varier selon les cultures, qu’il s’agisse des comportements paraverbaux (le rythme d’élocution, l’intensité des voix, la prosodie etc.) des comportements non-verbaux (la distance interpersonnelle, la fréquence des contacts physiques, des gestes, les types de postures et de mimiques, les contacts oculaires) ou des comportements verbaux. Parmi ceux-ci les variations concernent tant les aspects de la mécanique interactionnelle (la durée des silences et les pauses, la tolérance aux chevauchements de parole, la fréquence des régulateurs, etc.) que les productions discursives elles-mêmes, les rituels et la réalisation des actes de langage qui ont fait l’objet d’un grand nombre d’études.» (Traverso 1999 : 92)

C. Kerbrat-Orecchioni intitule quant à elle le dernier volume de la somme qu’elle consacre aux interactions verbales «Variations culturelles et échanges rituels». Elle y développe une théorie contrastive des conversations, faisant la distinction entre contrastivité «externe» (qu’elle définit comme «variations observables entre différentes cultures») et contrastivité «interne» («variations entre différentes «sous-cultures» se côtoyant au sein d’une même société») (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 7).80

Elle y distingue trois grandes manières différentes d’étudier les variations culturelles au sein de la communication :

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La première consiste à «décrire, à partir d’observations empiriques, systématiques et contrôlées» (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 10) les caractéristiques de fonctionnement propre à telle ou telle communauté discursive. Cette observation s’accompagne quasi

80 On peut penser que la fortune de cette approche des variations culturelles des règles communicationnelles tire sa source dans l’histoire même de la discipline. Ce sont des chercheurs comme D. Hymes ou J. Gumperz qui, dans le champ de l’ethnographie de la communication, connexe à celui de l’analyse des interactions, ont «attiré l’attention sur l’ampleur des variations qui affectent la façon dont les différentes sociétés humaines conçoivent et organisent les échanges communicatifs» et ont «mis au centre de ses préoccupations la description systématique de ces variations» (Kerbrat- Orecchioni 1994 : 7-8). mais aussi : probablement sa ré-acclimatation dans des domaines comme celui de la communication professionnelle.

automatiquement d’un volet comparatif, qui permet, en mettant en regard deux manières différentes de communiquer, de faire apparaître leurs spécificités propres. V. Traverso parle ici d’une «approche intra-culturelle», qui décrit les comportements communicatifs au sein de deux cultures différentes de manière à les comparer et à dégager le style, l’ethos communicatif propre à chacune (Traverso 1999 : 93).

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La seconde prend appui sur «l’étude du vocabulaire,et des expressions en usage dans la société envisagée» et en dégage «les représentations en vigueur dans cette communauté, en ce qui concerne en particulier le rôle de la parole et le fonctionnement de la communication» (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 10). Cette démarche ethnosémantique va s’intéresser à certains mots, certaines expressions figées ou proverbes qui disent quelque chose des règles associées à la circulation de la parole, des normes de communication dans une société donnée. Là encore, même si C. Kerbrat-Orecchioni ne le dit pas explicitement, on peut avoir recours à une démarche comparée.

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Enfin, la troisième se situe sur un plan un peu différent. Elle consiste à «observer ce qui se passe lorsque se trouvent en présence deux individus n’ayant pas intériorisé les mêmes normes communicatives» (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 11). Ces études se situent sur le plan de la cross cultural communication et postulent que cette situation de contact est susceptible de donner lieu à des ratées, des malentendus, et donc de faire apparaître, par un effet de loupe, les normes propres aux communautés dont relèvent les individus en présence. Cette étude de conversations interculturelles, comme le remarque V. Traverso, «repose sur l’idée que les différences existant dans les comportements interactionnels d’individus appartenant à des cultures différentes sont observables lors de leurs rencontres où elles risquent, dans bien des cas de donner lieu à des malentendus culturels» (Traverso 1999 : 92).

On voit donc qu’au-delà de la variété de ces trois approches, l’objectif visé est toujours de mettre en évidence les spécificités propres à une communauté discursive - et que celle-ci se définit de manière privilégiée par l’appartenance à une «culture» ou à une «sous culture», une certaine imprécision étant de mise quant à la délimitation de l’un ou de l’autre de ces ensembles.

b. Une définition discursive, processuelle et interactive de la culture Cette approche ethnolinguistique, dont nous venons de rappeler les principes, ne correspond pas exactement à notre propre positionnement.81

81 Même si le corpus que nous avons recueilli pourrait se prêter de fait à une telle lecture : on peut relever une certaine variété de comportements communicatifs entre les étudiants observés en Algérie et ceux observés en France. Sur un autre plan, les règles qui régissent les comportements verbaux et non verbaux font parfois l’objet de commentaires - par exemple à l’occasion de la lecture collective d’Une Femme, la question des usages linguistiques propres à une génération est thématisée lorsque l’expression «tomber enceinte», utilisée par la mère de la narratrice, est expliquée.

En effet, nous prêtons attention à des aspects de la culture plus large que les seuls comportements communicatifs : sont en effet aussi en jeu, lors de ces interactions interculturelles, la circulation et la rencontre de différentes représentations du monde, de soi et des autres, des systèmes de référence et de valeurs plus ou moins distincts.

En outre, une partie des approches ethnolinguistiques se fonde sur une définition essentialiste et somme toute assez fixiste de la culture82, et ce même si de nombreux auteurs prennent leurs précautions à ce propos et soulignent les risques d’un alignement des communautés discursives sur les «cultures».83 J.-C.Beacco souligne ainsi les risques d’une analyse des «variations interculturelles» : celle-ci

«/.../ repose sur une représentation de la culture comme une entité homogène : par-delà les variations internes une même culture, c’est rapporter une différence observée à une appartenance culturelle et non à une appartenance sociale et à une caractéristique individuelle, non plus qu’à une donnée situationnelle.» (Beacco 2004b : 262)

Or, comme nous l’avons exposé, nous ne concevons pas la culture et les appartenances culturelles comme un «déjà-là», une donnée a priori qui conditionne le comportement des interactants. Elles sont à envisager comme des configurations discursives et interactives. Nous essaierons donc plutôt d’observer les mouvements de la conversation qui témoignent de la co / re -création constante de ces appartenances culturelles, dans la lignée de la définition discursive, processuelle et interactive de la culture à laquelle nous avons souscrit. Aussi, nous ne prendrons pas la «culture» comme une donnée préalable à l’interaction : nous l’envisagerons comme construite en partie dans et par l’interaction :

«De ce fait, les notions de culture et d’identité prennent de nouvelles significations. Reconnaître l’autre dans sa diversité, c’est accepter que ces notions ne soient pas /plus statiques : la culture est de plus en plus "multidimensionnelle" (dans sa définition anthropologique, je suis peut-être français mais j’ai aussi des appartenances religieuses, professionnelles, sexuelles, étrangères, etc.) et les identités que l’on véhicule face aux Autres se multiplient, invoquant ainsi une sorte d’ "émiettement" des appartenances (Maffesoli in Michaud, 2002 : 96). Par conséquent, en accord avec Abdallah-Pretceille (1999 : 15-19), il faudrait dire que nos cultures et nos identités se définissent par les relations et les interactions entretenues avec les autres individus et les groupes, plutôt que par des caractéristiques stéréotypées (et c’est ce que le "culturalisme" ambiant nous fait croire : dans telle situation, tel étranger réagira de telle façon).» (Dervin 2004 : 2)

82 Comme les travaux de E. T. Hall qui s’appuient sur des répartitions en de grandes catégories, Occidentaux versus Orientaux par exemple.

83 On peut penser à C. Kerbrat-Orecchioni qui souligne la difficulté à découper les «communautés» auxquelles ces approches s’intéressent et précise qu’elle se contente de présenter des «tendances générales communes qui transcendent les variations internes à la dite communauté», dont les conclusions sont nécessairement relatives. Ou bien à V. Traverso, qui, dans la même logique, souligne les limites de la démarche comparative adoptée : «Dans l’idéal pour pouvoir parler en toute sécurité de comportement interactionnel culturel, il conviendrait d’avoir éliminé tous les autres facteurs de variations possibles. Mais c’est une exigence scientifique littéralement impossible à honorer. Les solutions résident dans le fait de garantir autant que faire se peut la comparabilité des données /.../ Il faut surtout admettre que toute recherche de généralisation conduit inévitablement à une simplification. On parlera donc plutôt de tendances générales relatives que de caractéristiques absolues ou précises» (Traverso 1999 : 94-95).

En ce sens, contexte et culture ont partie liée : celle-ci apparaît bien comme une ressource qui est amenée à être configurée / reconfigurée dans la dynamique des échanges.

Enfin, si nous nous intéressons bien à des interactions au cours desquelles entrent en contact des personnes de cultures différentes, nous n’avons pas pour objet d’identifier (par une approche contrastive) les caractéristiques propres à chacune de ces cultures, comme le font les travaux précédemment cités. Notre attention se porte au contraire sur le contact lui- même, point sur lequel nous revenons de manière plus détaillée dans la section suivante.

1.3. «Contacts de cultures» : une définition repensée de

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