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1.3 «Contacts de cultures» : une définition repensée de l’interculturel

2. Représentations et stéréotypes : circulation et reconfiguration dans les interactions

2.1. Un essai de définition

2.1.1. La notion de représentation

Le mot représentation, qui est entré dans la langue française au XIIIe siècle, vient du latin repraesentare : «rendre présent», «mettre sous les yeux de quelqu’un». Il renvoie à l’acte d’offrir au regard ou à l’esprit d’autrui un objet (dont la nature peut être très variable) et à l’objet lui-même ainsi représenté : à la fois au processus et au produit.

Les objets sur lesquels portent les représentations peuvent être extrêmement divers. D. Jodelet souligne la grande diversité de l’objet de la représentation :

«Il peut être aussi bien une personne, une chose, un événement matériel, psychique ou social, un phénomène naturel, une idée, une théorie, etc. ; il peut être aussi bien réel qu'imaginaire ou mythique, mais il est toujours requis.» (Jodelet 1991 : 37)

Dès l’origine, la notion implique une dimension sociale et dialogique. Une représentation théâtrale, par exemple, est donnée devant et pour des spectateurs. La représentation doit aussi être envisagée comme un processus dynamique. Le metteur en

scène et les comédiens ne se contentent pas de reproduire le texte écrit par le dramaturge : l’interprétation qu’ils en donnent en est, pour partie, une recréation.

Cette notion est utilisée dans différents domaines, des arts à la philosophie89, en passant par les mathématiques. Nous nous intéresserons ici à la place qui lui est donnée dans le champ des sciences sociales. À la fin du XIXe siècle, les travaux d’E. Durkheim renouvellent le regard porté sur les représentations et en font un objet d’étude et d’investigation de la sociologie. E. Durkheim identifie d’une part les représentations individuelles et d’autres part les représentations collectives. Alors que les premières, propres à un sujet donné, ont «pour substrat la conscience de chacun» et sont «variables et emportées dans un flot ininterrompu», les secondes sont «le produit d’un consensus social» et leur savoir «dépasse celui de l'individu moyen» (Les Formes élémentaires de la vie religieuse 1912). Ces représentations collectives comprennent «tous les phénomènes produits socialement» (Markovo 2007 : 182) : croyances, mythes et religions, science, langage ... Elles constituent la réalité sociale (tout comme les phénomènes physiques constituent la réalité physique) et s’imposent à l’individu, auquel elles sont extérieures :

«Au contraire elles exercent sur lui une pression irrésistible. Il se soumet à cette coercition, et il intériorise et perpétue ces formes sociales d’action, de pensée et de sentiments.» (ibid.)

Les travaux de S. Moscovici renouvellent l’approche de la notion et la font entrer dans le champ de la psychologie sociale. À partir de ce domaine, elle conquiert une valeur heuristique dans de nombreuses disciplines des sciences humaines, et tout particulièrement les sciences du langage. S. Moscovici s’intéresse initialement à l’image de la psychanalyse dans la société française : quelles sont les opinions, croyances, connaissances qui y circulent sur cet objet social singulier ? En étudiant «comment une nouvelle théorie scientifique ou politique est diffusée dans une culture donnée, comment elle est transformée au cours de ce processus et comment elle change à son tour la vision que les gens ont d'eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent» (Farr in Moscovici 1997 : 365), il en vient à construire le concept de représentation sociale. À l’interface du psychologique et du social, celle-ci peut être définie comme «un ensemble organisé d’informations, d’opinions, d’attitudes et de croyances à propos d’un objet donné» (Abric 2007 : 59). 90

89 Où elle renvoie à la question des conditions d’accès au réel : est-elle l’image incomplète et déformée d’un monde qui existe en soi - au-dehors de la caverne platonicienne - ou bien celui-ci n’existe-t-il que dans et par les représentations que l’on en a ?

90 « Le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l'opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale. Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l'environnement social, matériel et idéal. En tant que telles, elles présentent des caractères spécifiques au plan de l'organisation des contenus, des opérations mentales et de la logique. Le marquage social des contenus ou des processus de représentation, est à référer aux conditions et aux contextes dans lesquels émergent les représentations, aux communications par lesquelles elles circulent, aux fonctions qu'elles servent dans l'interaction avec le monde et les autres» (Jodelet 1997 : 357).

Elle a une dimension partagée, collective :

«Socialement produite, elle est fortement marquée par des valeurs correspondant au système socio-idéologique et à l’histoire du groupe qui la véhicule pour lequel elle constitue un élément essentiel de sa vision du monde.» (Abric 2007 : 59)

Mais elle a aussi une dimension individuelle, puisqu’elle est aussi «incorporée» par chacun des membres du groupe concerné.

La formation de ces représentations sociales met en oeuvre deux processus distincts : - l’objectivation, tout d’abord, qui conduit à regrouper et agencer les informations retenues autour d’un même objet : «objectiver, c'est résorber un excès de significations en les matérialisant» (Moscovici 1976, cité par Jodelet 1997 : 371). Elle se décline en trois phases. La première est le tri des informations. La seconde la formation du noyau figuratif «simple, concret, imagé et cohérent», celui-ci «correspond également au système de valeurs auquels se réfère l’individu, c’est--à-dire qu’il porte la marque de la culture et des normes sociales ambiantes» Abric 1994 : 21). La troisième la naturalisation des éléments, c’est-à- dire l’attribution de caractères.

- l’ancrage correspond quant à lui à l’enracinement social de la représentation dans les mentalités. Le groupe concerné investit l’objet représenté d’une signification, et ce en lien avec les systèmes de représentation préexistants:

«Le processus d'ancrage, situé dans une relation dialectique avec l'objectivation, articule les trois fonctions de base de la représentation : fonction cognitive d'intégration de la nouveauté, fonction d'interprétation de la réalité, fonction d'orientation des conduites et des rapports sociaux.» (Jodelet 1997 : 375-376)

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