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Les dynamiques identitaires : des identités plurielles, en mouvement

1.3 «Contacts de cultures» : une définition repensée de l’interculturel

3. Identités / altérités, positionnements identitaires

3.4. Les dynamiques identitaires : des identités plurielles, en mouvement

3.4.1. Les identités meurtrières

La notion d’identité peut être sujette à certaines dérives, que dénonce A. Maalouf dans l’ouvrage qu’il a intitulé Les Identités meurtrières (1998). Il y dénonce l’usage néfaste qui peut en être fait - usage qui va de pair avec une conception fixiste, rétrograde, étroite de l’identité, qui se trouve à l’opposé de celle que nous souhaitons adopter ici, en écho avec la définition de la culture / culturalité que nous avons précédemment exposée.

Ces identités meurtrières correspondent à une« conception étroite, exclusive, bigote, simpliste qui «réduit l’identité entière à une seule appartenance, proclamée avec rage» (Maalouf 1998 : 21). L’une des composantes de l’identité de l’individu ou du groupe (l’appartenance ethnique nationale ou religieuse par exemple) est mise en avant au détriment des autres, et se trouve «enflée» «au point de se confondre avec son identité tout entière» (Maalouf 1998 : 14).

L’identité apparaît aussi comme une donnée immuable, définitive. Toute dynamique identitaire est évacuée au profit d’une représentation fixiste : A. Maalouf indique ainsi que lorsqu’on lui demande qui il est «au fond de lui-même», cela suppose qu’il y a «au fin fond» de chacun une seule appartenance qui compte, sa «vérité profonde» en quelque sorte son «essence» déterminée une fois pour toute à la naissance et qui ne changera plus ; comme si le reste, tout le reste – sa trajectoire d’«homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie, en somme – ne «comptait pour rien». (Maalouf 1998 : 11).

104 Cf E. Goffman : « lorsqu’on se projette soi-même en tant que locuteur en une certaine qualité actuelle, les autres participants de la rencontre voient leur moi en partie déterminé en conséquence» (1987 : 161).

Dans cette logique, l’identité se définit le plus souvent de manière rétrograde, par référence à l’origine. A. Maalouf utilise l’image d’un héritage «vertical» (1998 : 137) qui lui vient «de ses ancêtres, de ses traditions et de son peuple, de sa communauté religieuse» qui inscrit l’individu dans une filiation qui l’empêche d’évoluer, de changer105. Dans la même perspective, F. Laplantine dénonce les dangers de la «proclamation d’autochtonie et d’authenticité» : l’identité y apparaît comme «revendication d’un reflux» (Laplantine 1999 : 49)

«L’accomplissement ayant déjà eu lieu on ne peut que le répéter. C’est le passé qui commande au présent qui lui attribue sa légitimité rétroactive. L’identité réactive toujours en le réactualisant un « fait incontestable » ; elle est un processus de réactivation de l’origine.» (Laplantine 1999 : 49)

3.4.2. Permanence et fluidité identitaire : une conception

dynamique

À l’inverse, nous souhaiterions tout d’abord souligner la conception dynamique de l’identité qui sera la nôtre dans ce travail.

Certes, l’identité renvoie à un sentiment de permanence dans le temps : la «conscience immédiate qu’a chacun d’être soi à travers l’écoulement du temps et la diversité des situations» (Marc 2005 : 17) - le fait de s’éprouver comme la même personne, identique à soi-même. Néanmoins, sentiment de permanence ne signifie pas permanence de l’identité elle-même tout au long de l’existence : il faudrait plutôt parler de «continuité dans le changement» (Marc 2005 : 70), au sens où l’identité n’est jamais fixée une fois pour toutes, qu’elle est avant tout un procès, une dynamique : «les Soi, les Moi, les Je, les Autrui /.../ ne sont pas des substances, mais des fonctions naissant dans le processus social» (Gurvitch, in Mead L’Esprit, le Soi et la société, 1963, cité par Vion 2000 : 34).

Cette prise en compte de la dynamique identitaire est contenue en germe dès les travaux fondateurs sur le concept – notamment ceux d’E. Erikson qui a placé la question des crises identitaires au centre de ses recherches106 (il s’est notamment intéressé aux troubles rencontrés par les vétérans de la seconde guerre mondiale, par les adolescents de minorités étrangères). Mais ces travaux envisagent souvent une stabilisation de l’identité à un moment donné – après une phase d’émergence et de développement - à l’issue de l’adolescence par exemple comme le fait E. Erikson :

«La formation de l’identité commence là où cesse l’utilité de l’identification. Elle surgit de la répudiation sélective et de l’assimilation mutuelle des identifications de l’enfance ainsi que de leur absorption dans une nouvelle configuration qui à son tour dépend du processus grâce auquel une société /…/ identifie le jeune individu en le reconnaissant comme quelqu’un qui avait à devenir ce qu’il est et qui, étant ce qu’il est,

105 Et qu’il oppose à l’héritage horizontal reçu «de son époque, de ses contemporains» et qu’il juge primordial.

106 Cette place centrale donnée aux crises identitaires dans les recherches sur l’identité suscite d’ailleurs une réflexion amusée de C. Mazauric qui se demande si les identités ne sont pas objet de l’attention des chercheurs au seul moment où elles sont en crise (Mazauric 2004 : 91).

est considéré comme accepté.» (Erikson, Adolescence et crise. La quête de l’identité, 1972, cité par Marc 2005 : 51)

Notre conception s’inscrira dans un courant qui fait de l’identité un processus évolutif : jusqu’à la fin de la vie, l’identité apparaît comme un work in progress, elle est sans cesse en mouvement, redéfinie, réaménagée : l’accent mis sur la fluidité identitaire conduit ainsi à ne plus l’envisager comme un «noyau dur» qui serait susceptible d’aménagements périphériques. Au contraire, il s’agit de la poser comme essentiellement labile et mouvante.

La quête de l’identité apparaît bien comme un «processus toujours inachevé et toujours repris, marqué par des ruptures et des crises, jusqu’à ce que le mot fin vienne en fixer plus ou moins arbitrairement le terme» (Marc 2005 : 52). A l’échelle de la vie d’un individu (recherches en psychologie sociale sur la vieillesse par exemple) – mais aussi à une échelle plus réduite, celle des interactions de notre corpus.

3.4.3. Des identités métissées

Autre aspect de ces identités au sens moderne, leur dimension plurielle et métissée. Les identités ne sont pas d’un seul bloc mais au contraire faites d’appartenances multiples, parfois contradictoires. Cette conception de l’identité rejoint par exemple les travaux du sociologue B. Lahire pour qui l’individu est résolument «pluriel» (Lahire 1998) car produit complexe de différentes expériences de socialisations, hétérogènes les unes aux autres.

Cette conception de l’identité conduit à voir en chacun «divers confluents, diverses contributions, divers métissages, diverses confluences subtiles et contradictoires» (Maalouf 1998 : 44). Elle brouille les frontières entre soi et les siens d’une part, et les autres d’autre part : en faisant des délimitations labiles, qui se recomposent sans cesse :

«Un rapport différent se crée avec les autres, comme avec sa propre "tribu". Il n’y a plus simplement nous, et eux - deux armées en ordre de bataille qui se préparent au prochain affrontement, à la prochaine revanche. Il y a désormais de notre côté, des personnes avec lesquelles je n’ai finalement que très peu de choses en commun, et il y a de leur côté des personnes dont je peux me sentir extrêmement proche.» (Maalouf 1998 : 40)

Ces identités composites sont particulièrement caractéristiques des sociétés actuelles, dans lesquelles les emprunts et les métissages sont le lot commun - ce que M. Serres exprime en leur choisissant pour emblème Arlequin et son costume bariolé. Sous l’effet de la mondialisation culturelle, nous devenons «des êtres tissés de fils de toutes les couleurs» (Maalouf 1998 : 137) :

«La multiplication des contacts et des échanges pulvérise la notion d’appartenance au profit d’une multipolarisation des références. Plus aucun individu ne vit dans un seul cadre, les emprunts, provisoires ou non, structurent désormais les constructions identitaires.» (Abdallah-Pretceille 2006 : 39)

Cette société de la diversité, où se côtoient et s’entremêlent plusieurs cultures, religions, visions du monde, offre une multiplicité des groupes d’appartenances pour un même individu et des modèles d’identification bien plus nombreux que dans des sociétés traditionnelles. Elle laisse aussi la porte ouverte à toutes sortes de créations et de bricolages

identitaires (Kauffman 2004) : chacun accommodant de manière spécifique la pluralité de référence qui sont les siennes. G. Vinsonneau parle même, à cet égard, des «aléas des créations identitaires» (Vinsonneau 2002 : 6) dans les sociétés contemporaines.

3.5. Une approche relationnelle et communicationnelle de

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