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LA LECTURE DES TEXTES LITTÉRAIRES, MÉDIATIONS CULTURELLES ET

J.- L Dufays (1994) décrit ainsi les savoirs qui «sont nécessaires pour pouvoir lire» et que l’on acquiert en lisant Ces codes du lecteur peuvent se subdiviser en stéréotypes et en

1.3.2. Lecture, culture : la question de l’horizon d’attente

Le décalage entre codes de l’énonciation et codes de la réception ne doit cependant pas être pensé uniquement en terme de lacunes qu’il est nécessaire de combler ou de malentendus qu’il faudrait lever. Le décrochage entre production et réception implique aussi que le lecteur se réapproprie le texte, le réinterprète à l’aune des systèmes de référence et des systèmes de valeur qui sont les siens :

«Le rapport du lecteur au texte est toujours à la fois réceptif et actif. Le lecteur ne peut retirer une expérience de sa lecture qu’en confrontant sa vision du monde à celle impliquée par le texte.» (Iser 1985)

Nous envisageons maintenant l’autre mouvement constitutif de la lecture, celui du lecteur vers le texte.

a. La lecture : une pratique culturellement déterminée

Tout d’abord, les théories de la lecture mettent en évidence le fait que la lecture est un acte historiquement et culturellement déterminé, qu’elle ne doit et ne peut donc être envisagée sur un plan uniquement subjectif et individuel. Le sujet lecteur qui y est engagé est un être de culture, dont les goûts, les valeurs, les jugements, les manières de lire etc. sont étroitement liés à son inscription dans une culture donnée, le contexte socio-culturel dans lequel il évolue :

«Si chaque lecteur est libre de lire à sa guise, la lecture ne se réduit pas pour autant à un phénomène purement subjectif. Le choix que chaque lecteur peut faire entre des points de vue interprétatifs divers est en effet limité /.../ : il est obligé de puiser ses pôles de références parmi des connaissances qu’il partage plus ou moins largement avec les autres lecteurs de son époque et de sa culture.» (Dufays 1994 : 71)

S’expliquent ainsi le fait que l’oeuvre puisse être reçue de manière variable d’un contexte à l’autre et que l’on puise observer une «relative convergence» entre «les réceptions développées à l’intérieur de chaque horizon historico-culturel» (Dufays 1994 : 71). Le concept d’horizon d’attente met bien en évidence cette dimension collective de la lecture : la réception d’un texte est le partage d’un certain nombre d’effets communs à un groupe humain donné, de «l’horizon d’une expérience esthétique intersubjective préalable» (Jauss 2001 : 49). L’horizon d’attente du premier lectorat correspond au «système de références objectivement formulable /.../ pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît» (Jauss 2001 : 49). H.-R. Jauss identifie trois facteurs principaux qui peuvent définir cet horizon : «l’expérience préalable que le public a du genre dont l’oeuvre relève, la forme et la thématique d’œuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne» (2001 : 49).

On peut aussi, avec J.-L. Dufays, y ajouter «les connaissances relatives à la situation et aux événements sociaux, économiques, politiques et culturels contemporains de la

réception» (Dufays 1994 : 119). Il définit ainsi l’horizon d’attente, de manière large, comme : «l’ensemble des compétences qui sont maîtrisées par un public de lecteurs donné, c’est-à- dire comme la doxa de ce public, le savoir collectif stabilisé qui génère l’attente non seulement des formes esthétiques connues, mais aussi de contenus linguistiques, référentiels /.../ et axiologiques» (ibid.).

Les horizons d’attente nouveaux qui se succèdent au fur et à mesure de la diffusion de l’oeuvre auprès de publics auxquels elle n’était pas initialement destinée sont autant de cadres qui conditionnent les lectures individuelles, déterminent à la fois la pluralité des interprétations et leur relative homogénéité au sein d’un même contexte. Ainsi, pour A. Rouxel, si on lit différemment selon les siècles :

«Cela tient à l’historicité même de la représentation /.../ la fiction implique un champ référentiel dont certains éléments ne sont plus perceptibles au lecteur d’aujourd’hui. Or l’une des propriétés du textes littéraires est de susciter dans des contextes historiques différents, des champs référentiels nouveaux. Le lecteur s’approprie le texte en l’inscrivant dans un nouveau champ référentiel défini par ses propres références culturelles.» (Rouxel 2002)

SI H.-R. Jauss met l’accent sur la dimension historique - la succession dans le temps de différentes générations de lecteurs - on peut aussi estimer que des critères relevant de la géographie, de la langue, du genre, des appartenances sociales etc. peuvent être envisagés pour distinguer différents horizons d’attente.

Les théories de la lecture envisagent donc un lecteur qui a un «ici et maintenant», dont les codes (la compétence) s’inscrivent dans un temps et un espace donné - ce qui affecte la réception du texte dans tous ses aspects - la conception même de la littérature (qu’est-ce qui est littéraire et ne l’est pas ?), les pratiques de lecture (Manguel 2000), la signification conférée à l’oeuvre et l’interprétation qui en est donnée. À tous les niveaux, la lecture apparaît ainsi comme un acte social, mettant en jeu des compétences inscrites dans une époque et un milieu social déterminés.

b. Codes de l’énonciation vs codes de la réception

On peut ainsi classer les différents types de codes sollicités lors de la réception d’un texte en fonction d’un autre critère - temporel celui-ci. Ils s’ancrent en effet à différents moments de la vie de l’oeuvre et de sa lecture et s’étagent chronologiquement. Ainsi, dans le modèle de J.-L. Dufays (1994), Une première opposition binaire permet de distinguer les codes de l’énonciation et ceux de la réception. Les premiers, qui correspondent à l’horizon d’attente initial, associent «des stéréotypes communs aux différents auteurs ayant vécu dans le même contexte» et «des systèmes de référence relatifs à la biographie et aux expériences spécifiques de chaque auteur». Les seconds sont ceux «qui appartiennent à la culture contemporaine» (des lecteurs) et correspondent aux horizons d’attente des lectorats successifs. S’y ajoutent aussi une troisième catégorie, des codes «qui ont été associés au texte au cours de ses lectures successives» et concernent plus particulièrement les textes «renommés du passé» dont lecture se fait aussi à travers le filtre d’autres réceptions

(lectures du grand public ou des critiques) qui ont connu une certaine fortune et viennent inévitablement s’inscrire en surimpression de toute lecture (il cite pour exemple le «mythe Rimbaud» qui influence toute lecture contemporaine de son oeuvre).

Enfin, le modèle de J.-L. Dufays comporte un dernier type de codes : des codes t r a n s h i s t o r i q u e s o u t r a n s c u l t u r e l s q u i « a s s u r e n t u n e p e r m a n e n c e d e l a communication» (1994 : 113) et sont communs aux deux horizons.

Toute lecture est une combinaison (une confrontation) entre ces différents codes, à proportion plus ou mois grande car la «fusion des horizons» postulée par les théoriciens de la réception ne se réalise pas toujours.

La lecture scolaire se caractérise généralement par un intérêt particulier pour les codes de l’énonciation : resituer l’oeuvre dans son contexte historique et culturel y apparaît comme une priorité. Elle est souvent du côté d’une stratégie interprétative générative qui met l’accent sur les codes d’énonciation (versus une stratégie interprétative actualisante qui met l’accent sur ceux de réception). On peut aussi penser que l’école, parmi les codes de la réception, porte attention à la découverte des lectures successives de l’oeuvre - de par l’importance accordée dans le cadre scolaire aux travaux critiques sur les oeuvres (dans cette optique, lire une oeuvre, c’est aussi prendre connaissance des discours critiques tenus sur elle à travers le temps).

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