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1.3 «Contacts de cultures» : une définition repensée de l’interculturel

2. Représentations et stéréotypes : circulation et reconfiguration dans les interactions

2.1. Un essai de définition

2.1.4. Fonction des représentations

Les représentations et les stéréotypes sont appelés à remplir plusieurs fonctions. Nous en retiendrons ici trois : cognitive, pratique, identitaire.

a. Fonction cognitive

Les représentations apparaissent tout d’abord comme «une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée» et servent à appréhender le monde environnant, à lui attribuer un sens»96 (Jodelet 1991 : 51).

Elles fonctionnent comme un système d’interprétation, conditionnent et déterminent notre rapport aux autres et au monde (Jodelet 1991 : 36).

96 B. Py les envisage comme «des segments de trajectoires cognitives qui prendraient leur source dans des préconstruits culturels (au sens de Grize 1990) et parcourraient les étapes suivantes : «évidences (croyances précritiques), convictions (croyances explicitées),

représentations (croyances élaborées dans et par le débat, la confrontation et l’argumentation), connaissances encyclopédiques voire scientifiques (représentations restructurées par des processus de prise d’information et de réflexion critique)» (Py 2004 : 14-15).

«La fonction première de la construction d’une représentation sociale est de faire face à un élément nouveau : c’est une façon d’identifier les problèmes, d’interpréter la réalité de prendre position et de s’adapter, donc de maîtriser et de résoudre les questions posées par la vie de tous les jours.» (Cambra Giné 2003 : 212)

Les représentations (et a fortiori les stéréotypes) se caractérisent par une certaine fonctionnalité : simples et efficaces elles sont «prêtes à l’emploi» et «immédiatement disponibles». Elles permettent d’«attribuer, de manière économique et automatique, un sens évident à des événements de prime abord déconcertants» (Oesch-Serra et Py 2004 : 59). Ceux-ci sont interprétés à l’aune des représentations préexistantes : B. Py et C. Oesch-Serra montrent par exemple dans leurs travaux le rôle que jouent les représentations et les stéréotypes pour le migrant qui «doit reconstruire très rapidement un ensemble d’évidences, de schèmes d’interprétation automatisés, qui lui permettent de se débrouiller tant bien que mal dans son nouvel environnement» (Oesch-Serra et Py 2004 : 31).

En offrant de la sorte une médiation de la réalité elles contribuent à la (re) construire : L’image de la réalité qu’elles constituent est partie prenante de cette même réalité ; c’est ce que pose P. Bourdieu lorsqu’il écrit qu’il faut «inclure dans le réel la représentation du réel ou plus exactement la lutte des représentations au sens d’images mentales, mais aussi de manifestations sociales destinées à manipuler les images mentales» (Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, 1982, cité par Boyer 2003 : 42). Les représentations sont le monde et pas seulement son reflet. La réalité sociale s’élabore donc en partie grâce aux et dans les représentations : on peut ainsi parler de leur «efficacité sociale» (par ex. Abric 2007).

Les représentations sociales peuvent aussi être envisagées comme «tout un ensemble de savoirs et de savoir-faire sans lesquels aucune communication n’est envisageable» (Vion 2000 : 83). Dans les conversations - même les plus quotidiennes - elles tiennent lieu de présupposés, de préalables, qui n’ont pas à être formulés car ils sont supposés partagés par ceux qui participent aux échanges. R. Vion cite l’exemple du court dialogue suivant :

A/ prendrez-vous du café

B/ Merci, je ne bois jamais d’excitant

On voit bien que la réponse de B n’est compréhensible que si l’on postule chez les deux interlocuteurs l’existence de connaissances, de représentations communes (i.e. le café considéré comme une boisson excitante).

R. Vion met ainsi les représentations au rang des «savoirs communs partagés», notion que l’on trouve chez les linguistes et les pragmaticiens (Grice, Sperber et Wilson) et qui renvoie à «tous les savoirs de nature encyclopédique qui constituent le fondement culturel d’une communauté» (Vion 2000 : 83). Une partie est consciente, et peut faire l’objet d’un apprentissage, une autre ne parvient même pas «à la conscience des individus ou de la collectivité» (Vion 2000 : 84).

Les représentations apparaissent ici comme un savoir implicite et partagé au sein d’une même société, d’une même culture. B. Py souligne que l’évidence de ces présupposés «repose /.../ sur une infrastructure culturelle» :

«Reconstruire les présupposés nécessaires, présupposés dont l’évidence repose notamment sur une infrastructure culturelle. Ces RS font partie des connaissances et des croyances indispensables à la vie sociale (et notamment à la communication) c’est-à-dire de la culture.» (Py 2004 : 8)

b. Visée pratique

Les représentations ont aussi une visée pratique, puisqu’elles servent «à agir sur le monde et sur les autres». Ces schématisations sociales du réel fournissent un cadre à l”action des sujets et contribuent à la déterminer (H. Boyer parle de «guidage» de l’action, 2003 : 90). Elles peuvent ainsi décider de la conduite (de l’attitude) des individus qui ne réagissent pas la plupart du temps «en fonction de la situation objective à laquelle ils /sont/ confrontés mais à partir de la représentation de cette situation» (Abric, Coopération, compétition et représentations sociales, 1987, cité par Vion 2000 : 86).

Ce rôle de la représentation est à mettre en relation avec l’évaluation qui lui est le plus souvent associée : un «contenu normatif» l’oriente alors «soit dans le sens d’une stigmatisation, c’est-à-dire d’une appréciation négative, d’un rejet, et, s’agissant d’un individu ou d’un groupe, en fin de compte, d’une discrimination» (Boyer 2003 : 42). La représentation sociale a par voie de conséquence un aspect prescriptif : «elle définit ce qui est licite, tolérable ou inacceptable dans un contexte social donné» (Boyer 2003 : 16).

c. Fonction identitaire

Un autre grand type de fonction des représentations qui nous intéresse tout particulièrement ici est d’ordre identitaire :

«Les représentations ont aussi pour fonction de situer les individus et les groupes dans le champ social…(elles permettent) l'élaboration d'une identité sociale et personnelle gratifiante, c'est-à-dire compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés.» (Mugny et Carugati, L’Intelligence au

pluriel : les représentations sociales de l’intelligence et de son développement, cité par

Abric 1994 : 16)

Parmi les représentations qui ont un fort rôle identitaire, bien évidemment, on pense en premier lieu aux images qui circulent dans la communication, des acteurs en présence des protagonistes de la communication elle-même, images de soi (et de l’autre) sur lesquelles nous reviendrons plus en détail dans la section suivante, consacrée à la question de l’identité.

Mais on peut aussi estimer que, de manière plus large, toutes les représentations qui circulent dans la communication sont le lieu et le moyen de partage de références communes et assurent ainsi «un consensus social autour d’un ensemble de convictions qui servent de référence et de modèle culturel à ses membres» (Oechs-Serra et Py 2004 : 49). Elles permettent aux membres d’un même groupe, qui partagent les mêmes références, de communiquer et de se comprendre. Sans pour autant être acceptées par tous les membres

du groupe, elles sont connues et identifiables par tous. C’est la différence que B. Py pose entre accès et adhésion aux RS :

«La communication au sein d’une communauté culturelle présuppose l’accès à un répertoire de RS (accès qui permet une interprétation relativement univoque de certains énoncés mais pas nécessairement une adhésion à ces mêmes RS.» (Py 2004 : 10)

C’est pourquoi les représentations (et les stéréotypes) sont, comme nous l’avons évoqué, souvent formulés sur un mode implicite ; les interlocuteurs comptent sur la mémoire culturelle (sociale) collective des uns et des autres pour les réactiver. Elles définissent ce que D. Dagenais et D. Moore (2004 : 35) nomment le «vécu collectif» d’un groupe. Ainsi, par exemple, lorsqu’il parle de communauté linguistique, W. Labov la définit non comme une communauté dans laquelle est parlée la même langue mais où sont partagées les mêmes normes langagières (i.e. les mêmes représentations) :

«Il serait faux de concevoir la communauté linguistique comme un ensemble de locuteurs employant les mêmes formes. On la décrit mieux comme étant un groupe qui partage les mêmes normes quant à la langue.» (Labov 1976 : 228)

Ces éléments en partage qui circulent au sein d’un groupe social contribuent à forger son identité, à lui donner son unité et sa cohérence. Ils jouent un rôle dans la reconnaissance mutuelle de ses membres, dans sa structuration et sa cohésion, dans la délimitation de la frontière entre nous et les autres :

«De manière générale, les stéréotypes permettent de baliser le champ des connaissances partagées par les participants /.../ la formule stéréotypée qui fait partie du savoir commun d’une communauté donnée fonctionne ainsi comme un indice qui signale une double relation : celle qui rattache l’individu à un groupe donné et celle qui distingue celui-ci d’autres groupes sociaux.» (Oesch-Serra et Py 2004 : 229)

En investissant de la sorte d’une signification déterminée les objets du monde, les représentations, expriment et contribuent à constituer tout à la fois l’identité sociale et culturelle d’un groupe donné.

L’interprétation appropriée des énoncés lors d’un échange communicatif (voire simplement dans une situation donnée : B. Py donne pour exemple le fait de traverser une rue dans un endroit très fréquenté) implique de :

«/reconstruire/ les présupposés nécessaires, présupposés dont l’évidence repose notamment sur une infrastructure culturelle. Ces RS font partie des connaissances et des croyances indispensables à la vie sociale (et notamment à la communication) c’est-à-dire de la culture.» (Py 2004 : 8)

En somme, identifiés, acceptés ou même mis à distance les représentations et les stéréotypes sont ainsi susceptibles d’être des ressources particulièrement riches pour mener à bien les stratégies identitaires. Identifier, accepter ou même mettre à distance telle ou telle image de soi, de l’autre, telle ou telle valeur ou savoir partagé peut traduire la volonté de se rapprocher ou de s’éloigner d’un groupe donné. On comprend aussi dès lors le besoin des interlocuteurs de perpétuer les représentations, de leur assurer une certaine permanence (quitte parfois à faire céder le réel devant sa représentation) : l’enjeu est ici la permanence du groupe, la délimitation des frontières du groupe, sa permanence, son homogénéité (Py

2004), d’où la tendance des RS à se perpétuer : même lorsqu’elle sont mises en contradiction par l’expérience des sujets elles sont modifiées, amendées plutôt qu’abandonnées :

«Les membres d’une communauté culturelle trouvent un intérêt certain à la stabilité des RS. Une déstabilisation générale des RS rendrait en effet aléatoire toutes les interprétations qui interviennent dans le cadre des interactions sociales et elle fragiliserait ainsi l’action collective et la communication.» (Py 2004 : 9)

2.2. Construction (inter)discursive des représentations

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