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DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

3. Interagir « autour » du texte littéraire en classe de langue Dans ce dernier point de notre chapitre, nous revenons sur le type particulier

3.1. Quelques croisements

3.1.1. Le texte littéraire : l’interaction représentée

Le plus souvent, c’est comme réservoir d’exemples que le texte littéraire est sollicité dans les travaux interactionnistes. Dialogues romanesques, échanges théâtraux voisinent ainsi avec des conversations authentiques recueillies dans les médias ou le quotidien et servent à illustrer le mode de fonctionnement des interactions. Bien évidemment, ces interactions littéraires ne sont pas «authentiques». Elles ne retranscrivent pas (le plus

48 A. Trévise (1979) évoque la présence simultanée de deux énonciations : la première, où apprenants et enseignants sont les véritables énonciateurs, la seconde où ils sont des simulateurs.

souvent du moins) des interactions qui auraient effectivement eu lieu. Elles témoignent aussi d’un travail d’écriture complexe, pour rendre à l’écrit les spécificités de l’oral, pour passer d’un code sémiotique à une autre. Néanmoins, le texte littéraire reste une forme de médiation qui, par la représentation élaborée des interactions qu’il offre, permet de mettre en exergue certaines de leurs caractéristiques :

«Le dialogue romanesque /.../ ne peut être tenu pour un reflet de l’interaction authentique. Mais on peut dire aussi qu’à travers les transformations, les réductions, les opérations de condensation et de “ reséquentialisation“ qu’il met en oeuvre, il offre ce que l’on peut assimiler à une forme particulière d’analyse, fondée sur la sélection et la stylisation de phénomènes ou de moments d’interaction.» (Mitterand 1998 : 112)

Ainsi, dans Le Discours en interaction (2009), C. Kerbrat-Orecchioni prend ses exemples dans des corpus authentiques (corpus recueillis par des étudiants et /ou dans le cadre de programmes de recherches, interactions recueillies dans les médias ...).49 Mais elle va aussi les chercher dans des textes littéraires. Sont ainsi cités de nombreuses pièces : Molière (Le Mariage forcé, Le Misanthrope, Le Malade imaginaire), E. Rostand (Cyrano de Bergerac), Sartre (Huis clos), Marivaux (Le Jeu de l’amour et du hasard, La Surprise de l’amour), Musset (Un Caprice), G. Bourdet (Attention au travail) ... mais aussi quelques dialogues romanesques (extraits de : Alice au pays des merveilles de L. Carroll, de L’Appareil photo de J.-P. Toussaint, Entre la mort et la vie d’Apoukhtine ). Parmi ces extraits, certains sont d’ailleurs choisis car ils thématisent la question de la communication et explicitent certaines des règles qui la régissent.

Dans cette perspective, certaines propositions didactiques suggèrent d’ailleurs d’utiliser le texte littéraire dans la classe de langue comme un document ethnographique qui peut permettre aux apprenants de prendre connaissance, comme dans un miroir grossissant, du fonctionnement des conversations quotidiennes qu’ils doivent connaître et appliquer pour communiquer de manière pertinente (par ex. Louis 2009). Le manuel Littérature en dialogue (Baraona 2005) exploite d’ailleurs cet aspect des textes littéraires, en proposant à ses utilisateurs de travailler à partir de dialogues littéraires (extraits de pièce de théâtre, de romans, notamment).

Une autre voie possible pour explorer ce lien entre textes littéraires et interactions est de chercher à analyser comment fonctionne la représentation littéraire des conversations, représentation qui est aussi le plus souvent déterminée par les codes propres à une époque, une esthétique. V. Traverso ou F. Cicurel ont par exemple effectué des recherches en ce sens50, recherches qui s’inscrivent plutôt dans le domaine de l’analyse des interactions. Mais

49 Elle en forge aussi quelques-uns.

50 À la fin de son précis sur L’Analyse des conversations, ou encore la conférence «Les usages de la langue parlée dans le corpus littéraire : de l’écrit à l’oral et de l’oral à l’écrit» donnée dans le cadre des Rencontres jeunes chercheurs de l’Ecole Doctorale « Langage et langues » (ED 268, Université Paris III) en 2010.

de nombreux autres travaux, plus nettement ancrés dans le champ littéraire,51 s’intéressent aussi à cette question, en s’interrogeant notamment sur le fonctionnement des dialogues théâtraux. On peut aussi penser au parcours de recherche de C. Kerbrat-Orecchioni, qui, a consacré plusieurs articles à la question du dialogue théâtral52 dans le même temps où elle s’intéressait aux conversations «ordinaires».

3.1.2. Texte littéraire / interactions : homologies

Les réflexions menées autour de la classe de langue s’intéressent elles aussi au lien entre interactions et textes littéraires. Tout d’abord, on constate que les modèles d’interactions proposés aux apprenants (dialogues supports de leçons) ont souvent été plus proches des conversations «littéraires» (au sens de : représentées dans les textes littéraires) que des conversations réelles. Même si les approches communicatives ont contribué à faire entrer des formes d’oral un peu plus authentiques dans la classe, un grand nombre de documents oraux restent « nettoyés » de nombreuses scories propres à l’oral. Et surtout, de nombreux manuels continuent à présenter de petits sketches, des histoires scénarisées qui présentent certaines similitudes avec des modèles littéraires.53

On peut aussi souligner avec F. Cicurel la dimension profondément fictionnelle de la classe de langue, où les échanges se font en vertu d’un pacte de fiction : elle est « un lieu de fictionnalisation » où le contact avec la langue est en partie « d’ordre imaginaire » (Cicurel 1991 : 247). À l’instar du texte littéraire, elle est le lieu d’une élocution feinte, au sens où l’entend J. Searle :

«Il existe ainsi dans la classe quelque chose de comparable au texte littéraire, un ordre de l‘imaginaire connecté au réel, manifesté par des phénomènes énonciatifs de pseudo référence.» (Cicurel et Blondel 1996 : 81)

Les apprenants deviennent les personnages de petites fictions, plus ou moins développées, le temps d’une explication linguistique, d’un jeu de rôle, d’une simulation globale, la classe de langue développant chez ses participants une dimension de théâtralisation dans l’apprentissage de la langue.

51Par exemple :

- pour le roman : F. Berthelot, Parole et dialogue dans le roman, Paris, Nathan, 2001, S. Dürrer, Le

dialogue dans le roman, Paris, Nathan, 1999, H. Mitterand, « Dialogue et littérarité romanesque », in

P. R. Léon et P. Petron (éd.), Le dialogue, Ottawa, Marcel Didier, 1985, p. 141-154 ;

- et pour le théâtre : P. Larthomas, Le Langage dramatique, Paris, P.U.F., 1972 et A. Ubersfeld, Le

dialogue de théâtre. Lire le théâtre III, Paris, Belin, 1996.

52 1983 : – « Quelques aspects du fonctionnement du dialogue théâtral », in P. Léon et P. Pétron (éds) Le dialogue , Ottawa : Didier, 133-140, – « Pour une approche pragmatique du dialogue théâtral »,

Enjeux 5 : 7-26 et Pratiques 41 : 46-62.

– « Le dialogue théâtral », in Mélanges de langues et littérature française offerts à Pierre Larthomas , Paris : collection de l'ENSJF n° 26, 235-249.

3.2. Lecture du texte littéraire et analyse d’interactions,

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