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DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

2. Des interactions didactiques en classe de langue

2.2. Caractéristiques typologiques des échanges langagiers en classe

2.2.3. Organisation de la parole et de la communication

La manière dont la parole et la communication s’organisent dans la classe sont elles aussi très caractéristiques. Le cadre participatif, qui renvoie aux rapports de place, à la spécificités des rôles interactionnels des participants, mais aussi aux modes de circulation de la parole, est fortement déterminé par le contexte de la classe35.

35 On distingue ainsi habituellement (Cambra Giné 2003 : 72) :

- le cadre de participation qui renvoie à «la façon dont s’organise la scène de l’interlocution, aussi bien par rapport à la prise de parole et les transitions, que le comportement des interlocuteurs et les rôles communicatifs qu’ils assument dans la gestion de l’interaction» ;

- et les rôles interlocutifs qui «sont plus mobiles et peuvent varier selon les configurations interlocutives particulières qui se nouent et se dénouent au fil de la classe, et font partie du contexte localement construit. Qui regarde qui ? qui écoute qui, qui s’adresse à qui, quand, comment, pour combien de temps ? Qui prend ou cède l’initiative d’entrer en scène ?».

On a affaire, dans la classe, à un polylogue - on parle aussi d’interaction « pluri locuteurs » (Cambra Giné 2003 : 72). Mais, notamment dans des configurations centrées sur l’enseignant, on peut aussi considérer la classe comme une forme d’échanges dyadiques, où dialoguent deux instances de participants : «une entité individuelle, le professeur, et une entité collective, le groupe d’apprenants, pris comme un ensemble d’interlocuteurs ou auditoire» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 84, à la suite de Schegloff). Ces deux instances sont susceptibles de se diffracter, se démultiplier, se fragmenter, l’enseignant pouvant s’adresser au groupe entier, mais aussi à des sous groupes, voire à des apprenants de manière individuelle - et les apprenants pouvant de leur côté tisser des relations interindividuelles. Au- delà même de la variation due à la configuration pédagogique (travail en groupes versus travail magistral par exemple), on a une une «variation permanente de la constellation de participants» (Cambra Giné 2003 : 73). Le format de réception est lui aussi marqué par certaines particularités : le contrat didactique fait que par exemple si l’enseignant s’adresse à un apprenant en particulier, ses réponses sont susceptibles de concerner tous les apprenants qui se trouvent donc en position de locuteurs ratifiés36 (Bouchard 2005, Coste 2002 : 16).

L’organisation des tours de parole est marquée quant à elle par la place prépondérante de l’enseignant qui occupe généralement le devant de la scène et joue un rôle crucial dans l’allocation des tours : il sélectionne généralement le next speaker, est prioritaire lorsqu’il s’agit de prendre la parole, peut interrompre le discours des élèves sans nécessairement attenter à leur face37.

Les réponses des étudiants sont quant à elles fréquemment simultanées (chorales). Elle peuvent être précédées d’une demande de prise de parole (verbale ou non verbale).

On repère aussi des formats interactionnels propres à la communication didactique : «la classe de langue est un lieu d’échanges sociaux où le statut des participants génère des comportements types» (Cicurel 1990 : 22). Même si des possibilités d’écart, de renégociation in situ de ce schéma sont toujours possibles, il est présent en arrière-plan, et on peut supposer qu’il est intégré par les interactants. Parmi ces routines communicationnelles qui caractérisent la circulation de la parole au sein de la classe, on retiendra notamment :

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la récurrence d’échanges à structure ternaire : IRE (initiative, réponse évaluation)38

36 Cf. la distinction établie par C. Kerbrat-Orecchioni (1990 et 1995) qui définit une hiérarchie de destinataires dans les plurilogues :

1/ les destinataires ratifiés ou officiels, qui peuvent être directs ou indirects

2/ les récepteurs ou allocutaires extérieurs au groupe : témoins ou épieurs (parmi lesquels les observateurs, chercheur et stagiaires).

37 «Le discours didactique présente la caractéristique d’être un discours qui avale la parole de l’autre. Le professeur est linguaphage, il provoque la parole, il la canalise, il l’arrête ou la reprend pour continuer à susciter une autre parole ou pour alimenter son discours pédagogique» (Cicurel 1990 : 54).

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la présence de questions de classe, «fausses» questions de l’enseignant destinées à vérifier que les apprenants ont bien fait / bien compris

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des modes de sollicitation spécifiques (questions à la cantonade par exemple)

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le non-respect de certaines règles de politesse : les dénégations habituellement formulées lors de la formulation d’un compliment par exemple (Kerbrat-Orecchioni 1992 : 239) sont habituellement absentes après qu’un enseignant aura complimenté un apprenant (Cicurel, 1992 citée par Bigot 2002 : 70), de la même manière, l’interruption d’un étudiant n’est pas nécessairement suivie d’une réparation.

Le format de l’activité, l’organisation de la classe (travail en grands groupes, sous la conduite de l’enseignant en plus petits groupes autonomes) fait néanmoins varier grandement les caractéristiques de la circulation de la parole. Au sein de notre corpus, par exemple, on voit très nettement ces variations au fil des séquences du cours, qui correspondent à des modes de travail très différentes :

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des séquences où les étudiants travaillent en petits groupes, et où la parole circule entre trois ou quatre étudiants, sans régulation extérieure ;

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des séquences où l’enseignant se joint à ces petits groupes, pour suivre leurs échanges, apporter des précisions, des compléments ;

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enfin, des séquences où la classe se réorganise selon un schéma frontal, autour de l’enseignant qui détient alors de manière privilégiée la parole.

Enfin, même si cela n’est pas directement notre propos, on peut aussi penser qu’une partie des réactions des étudiants dépend aussi d’habitus culturels forgés dans un contexte particulier : la fréquence des réponses chorales, des interventions en écho, dans notre corpus enregistré en Algérie pourrait être analysée en ce sens.

L’asymétrie de la relation enseignant / apprenants détermine la répartition des rôles interactionnels qui leur sont impartis.

L’enseignant a ainsi des fonctions privilégiées39 dont découlent des comportements communicatifs spécifiques :

«Si l’on considère les obligations, / droits de l’enseignant, on constate que dans tout cours de langue, il lui revient de favoriser la production en langue étrangère des apprenants, d’assurer l’intercompréhension des membres du groupe, la compréhension des diverses productions langagières et de donner une norme.» (Cicurel 1990 : 23)

Pour L. Dabène (1983), il est «vecteur d’information», «meneur de jeu» et «évaluateur». P. Charaudeau (1993) insiste sur les rôles de «présentation», «explication» et «description» qu’il doit assumer.

39 Dont la parenté peut être soulignée avec celui de conférencier qu’E. Goffman a analysé (sujet occupant la scène, marques vestimentaires et comportementales spécifiques, utilisation de textes, représentation se soldant par plus ou moins de succès devant un auditoire ...).

On observe donc que l’enseignant transmet des savoirs, gère le déroulement de l’interaction (notamment en ouvrant, clôturant les échanges, en distribuant la parole), expose la planification des activités (annonce ce qui va être fait, fait référence à ce qui a été fait), hiérarchise les informations, se fait comprendre et fait comprendre, évalue, maintient l’attention des étudiants.

L’interactant étudiant voit lui aussi certains rôles lui échoir de manière préférentielle : «il se doit de produire du langage, de montrer qu’il sait parler, qu’il a acquis des connaissances langagières, et qu’il les teste dans son activité discursive. il lui incombe de se soumettre aux règles du rituel pédagogique sous peine de «sanctions» (Lauga-Hamid dans Dabène 1990 : 56)

L’organisation globale des interactions didactiques est soumise à des régularités repérables. Contrairement à ce qui est de mise dans d’autres contextes, l’ouverture et la clôture ne sont pas laissées à l’appréciation des interactants, elle ne sont pas (ou très peu) négociables. La parole de l’enseignant a valeur performative pour décréter que le cours commence ou est terminé, bien qu’elle soit aussi contrainte par le planning de la formation, cadre temporel qui détermine le début et la fin de chaque cours. La structure tout entière de l’interaction est elle aussi en partie prévisible - s’y succèdent différents types de séquences pour la description desquelles différents modèles hiérarchiques de l’analyse du discours didactique - que nous examinerons ultérieurement - ont été proposés. Au-delà de leur variété, ils visent à mettre à jour la structure sous-jacente de tout cours.

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