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DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

2. Des interactions didactiques en classe de langue

2.2. Caractéristiques typologiques des échanges langagiers en classe

2.2.2. Dimension contractuelle, asymétrique, rituelle

La première caractéristique de ces interactions est le projet commun que partagent les acteurs de la classe : l’enseignant a pour mission d’enseigner des savoirs et savoir-faire liés à un domaine précis (une langue dans le cas de la classe de langue), de leur côté, les apprenants ont pour mission d’apprendre.

La finalité des interactions de classe est donc principalement externe, au sens où «elles font l’objet d’un véritable enjeu pouvant s’exprimer en terme de gains ou de pertes» (Vion 2000 : 127). Elles sont orientées vers « la recherche de la connaissance », mais leur finalité peut aussi se traduire en termes «de modifications dans l’ordre du réel» (ibid.). Elles ont une première finalité : communiquer dans la classe selon des modalités et avec des objectifs à court terme précis (réaliser un exercice, mener à bien un jeu de rôle...). Mais par ce biais, il s’agit aussi pour les apprenants d’acquérir une compétence en langue cible, (et pour les enseignants de la leur faire acquérir), seconde finalité à laquelle la première est subordonnée.

Ces objectifs propres aux échanges dans la classe font l’objet d’une entente tacite entre ses participants, similaire à un contrat31 qui serait établi entre les différentes parties

30 Voir aussi : Coste (2002 : 10), Gajo et Mondada (2000 : 52).

31 Le terme de contrat est utilisé de manière large par Krafft et Dausendschön Gay «pour décrire les mécanismes de l’organisation globale des interactions sociales : les interactants se mettent d’accord sur ce qu’ils vont faire dans la suite (collaborer pour arriver à un résultat connu, se parler pour ménager la relation sociale etc.), sur l’objet des modalités de l’interaction, sur les activités préférentielles ou dyspréférentielles ; de par la conclusion du contrat ils définissent aussi sa portée ; le contrat restera en vigueur jusqu’à ce qu’il soit rempli, renégocié ou dissous» (Krafft et Dausendschön Gay 1994 : 144 note 15).

impliquées. La dimension contractuelle de la classe (et notamment de la classe de langue) est récurrente dans de nombreux travaux.32 On retiendra la définition suivante :

«Les processus de scolarisation relèvent /.../ de pratiques par lesquelles les enseignants organisent l’ordre de la classe, proposent et négocient avec les élèves des activités structurées et intelligibles, dans lesquelles l’enjeu est autant l’acquisition d’un savoir académique que celle d’un savoir-faire qui constitue l’essentiel du métier d’élève” reposant sur la compétence à agir de façon adéquate dans le contexte de la classe.» (Mondada 1995b : 58)

Ce « contrat » qui lie les acteurs de la classe peut être décliné de différentes manières : M. Cambra Giné parle même d’un « cumul de contrats » et distingue :

- En premier lieu, le contrat pédagogique, ou contrat d’apprentissage. Il est lié au contexte dans lequel les interactions didactiques se déroulent (cadre scolaire, centre de formation etc...) et « engage professeur et élèves dans une situation éducative institutionnelle » (Cambra Giné 2003 : 145). Les deux parties doivent adopter des conduites qui correspondent à ce que l’institution attend d’eux :

«Le devoir de l’enseignant est de transmettre des savoirs et des savoir-faire qu’il détient, tandis que le devoir de l’apprenant est de les faire siens et de montrer ses prestations langagières en répondant aux questions et en intervenant lorsqu’il est sollicité.» (ibid. : 84)

- Le second type de contrat est de nature didactique. Ce concept de contrat didactique, importé du domaine de la didactique des mathématiques33, renvoie à un ensemble d’attentes relatives au savoir entre professeur et élèves. Dans la classe de langue, par exemple, l’enseignant se sent «responsable de rendre possible l’acquisition de la L2 par les autres participants» (Pallotti 2002 : 176), les élèves, eux, se posent comme «candidat/s/ à l’apprentissage» (Bange 1992) et les deux parties adoptent un comportement en conséquence, entrant dans des dynamiques d’échanges qui cherchent la «maximisation des processus acquisitionnels de l’apprenant» (Pallotti 2002 : 176).

En dehors de la classe, les échanges exolingues comportent d’ailleurs parfois des traces de ce contrat didactique, lorsqu’un locuteur non expert sollicite et / ou accepte le guidage d’un locuteur expert.

- Enfin, ce contrat didactique implique aussi un contrat de parole et de communication. Des conventions régissent la nature et le déroulement des interactions : «parlez, parlez de, parlez mieux, parlez encore, parlez comme, ne parlez plus» (Cicurel 1992, citée par Rivière 2006 : 141).

Les modalités de ces contrats restent généralement implicites. À certaines occasions, néanmoins, elles peuvent être explicitées, renégociées, discutées : le contrat est «silencieux mais pas muet» dit V. Rivière (2006 : 142). Les ouvertures de séquences pédagogiques sont par exemple des moments clés où ses termes sont clairement signifiés par l’enseignant (qui

32 Cf. Pallotti (2002) et Moore et Simon (2002).

33 Où il a été forgé à l’occasion de recherches menées par G. Brousseau sur un cas singulier (Gaël) élève rencontrant des difficultés particulières en mathématiques.

peut même demander aux étudiants de le ratifier). Il peut aussi, à certains moments, s’avérer nécessaire de le redéfinir, voire de le renégocier, lorsqu’il est enfreint, mal compris, contesté.

Ainsi, une partie du contrat préexiste à l’interaction de classe, et naît des attentes et des représentations réciproques que le contexte fait naître.34 Mais il est aussi forgé au cours de l’histoire interactionnelle, dans la dynamique des échanges et l’accomplissement local des rôles.

Un des clauses récurrentes des contrats établis dans une classe de langue concerne le statut que peut y prendre la langue maternelle (contrat codique). Dans notre corpus, on voit ainsi une enseignante, P-Jennifer, rappeler à plusieurs reprises le bannissement de cette langue de la classe. À l’ouverture de la séquence, elle signifie par exemple aux apprenants qu’ils ne devront en aucun cas annoter l’exemplaire du livre étudié dans une autre langue que le français. Et dans la séquence suivante, on la voit être obligée de rappeler cette règle, lorsqu’une étudiante, qui ne parvient pas à trouver un mot en français (un terme pour qualifier le personnage de la nouvelle), propose son équivalent en chinois. Néanmoins, on voit que cette règle est de facto assouplie, P-Jennifer étant amenée à accepter la collaboration qui se met en place entre les étudiants pour aider E-An à trouver le mot juste en français :

590 E-An parce que c’est tout à fait in- l’inverse donc ++ elle est *[ ʧœ ]* (éclat de rire général)

591 P-Jennifer alors en français + elle est comment ↑

592 E-Tatiana (rires) non

593 E-An c’est hmm

594 E-Mi Sook capricieuse

595 E-An non

596 P-Jennifer capricieuse ↑

597 E-Tatiana quelqu’un a compris le chinois qu’est-ce qu’il voulait dire + peut être que vous avez solution parce qu’elle comprend elle comprend quand même (plus bas) elles comprennent *[ ʧœ ]* ++

598 P-Jennifer (ton agacé) en français / essayez d’expliquer / OUI elle a changé / enfin elle a

changé ↓ / oui d’accord mai::s ++

599 E-An pour exemple / par exemple / quand les gens/ quand les gens traitent les gens riches euh

600 E-Mi Sook &AH oui ↑ / on a déjà appris ça / euh 601 E-Tatiana c’est pas discrimination c’est ça ↑

602 E-An euh / communication dans cours communication

603 P-Jennifer alors

Nous observerons aussi, en lien plus spécifique avec notre problématique, que le contrat fixant les objectifs assignés à la lecture du texte littéraire est à certaines occasions le lieu de nombreuses négociations / redéfinitions : lorsque par exemple, dans le cours de P- Béatrice, la finalité qu’elle assigne au texte littéraire (travail du lexique, de champs lexicaux)

34 «Une part majeure sinon la totalité de la définition de la relation enseignant / apprenant est en effet préconstruite et tenue pour acquise par les partenaires avant même que ceux-ci ne s’engagent dans une interaction-classe. Ils sont liés par un contrat de devoir et de droits réciproques qui suscite chez l’un comme chez les autre un certain nombre d’attentes et de représentations» (Boissat 1991 : 263).

semble aller à l’encontre des attentes des élèves eux-mêmes, on assiste de la part des étudiants à une tentative (vaine) d’en renégocier les termes (cf. chap. 10 pour des analyses plus détaillées de ces négociations).

Autre caractéristique, la communication en classe est, par définition asymétrique. M. Cambra Giné évoque :

«une interaction asymétrique ou inégalitaire où un participant fort, détenteur du savoir et du pouvoir, est investi de droits et d’obligations professionnelles, où les rapports de place sont institutionnellement et culturellement établis, les élèves n’ayant pas certains droits, comme par exemple celui de prendre l’initiative des activités, des ouvertures, ni des clôtures.» (Cambra Giné 2003 : 70)

Les relations qui s’établissent entre les participants sont inégales ; leurs statuts et rôles y sont bien différenciés. Comme le rappellent D. Moore et D.-L. Simon, le contrat didactique «fixe certains droits et obligations. Il positionne les acteurs sur un axe expert-non expert, selon une distribution surtout verticale du savoir, qui ordonne les orientations des prises de parole et le contrôle du discours» (Moore et Simon 2002 : 123). Il y a aussi une relative symétrie entre les apprenants eux-mêmes.

Cette asymétrie des compétences reste néanmoins à relativiser dans la classe de langue où la grande diversité des thèmes abordés fait que les apprenants peuvent, dans certains domaines de compétence, se révéler plus performants que l’enseignant lui-même. C’est notamment le cas des échanges menés «autour» des textes littéraires. On peut penser au cas (qui ne se présente pas dans notre propre corpus) où un étudiant aguerri à l’analyse littéraire se trouverait face à un enseignant de langue lui-même plutôt mal à l’aise face à ce type de texte. Mais les enseignants peuvent aussi ne pas connaître très bien l’univers dans lequel se déroule le texte ; l’encyclopédie de l’enseignant-lecteur s’avérer moins fournie, ou moins adaptée que celle de l’étudiant lecteur, ce qui donne lieu à d’éventuels renversements des rôles d’expert et de non-experts. Nous verrons plus précisément dans notre corpus que la lecture de textes littéraires francophones, qui se déroulent dans des contextes souvent peu familiers à des enseignants «hexagonaux», provoquent fréquemment de telles redistributions.

Une autre notion est nécessaire pour décrire les spécificités de la classe de langue (et de tout autre classe) : celle de rituel. La communication en classe de langue, si elle est naturelle, n’en est pas moins extrêmement ritualisée (Coste 1984) et présente un certain nombre d’éléments invariants. Les échanges qui s’y déroulent sont en partie codifiés, routinisés et le cours peut être vu comme un scénario dont les interactants connaissent une grande partie du script :

«Pour définir comme “classe” une rencontre entre des personnes ayant pour objet l’apprentissage d’une L2, des rituels particuliers semblent nécessaires, qui séparent cet événement du cours normal des autres événements : par exemple des comportements stéréotypés spéciaux en ouverture et en clôture de la rencontre, des dispositions spatiales constantes ou du moins récurrentes, l”usage systématique de certaines routines interactives, la présence d’une étiquette pour définir tel ou tel événement communicationnel.» (Pallotti 2002 : 175)

Ces caractéristiques de la classe (visée didactique, dimension rituelle, asymétrie) se manifestent ainsi à différents niveaux.

- L’organisation spatiale de la classe, tout d’abord : même si la disposition des tables et des chaises peut varier, il n’en reste pas moins que la place occupée par l’enseignant reste souvent «une zone qui concentre la direction des regards et des échanges et renforce le caractère hiérarchique des relations» (Cambra Giné 2003 : 74). Les places respectives des uns et des autres dans la classe sont relativement fixes, traduisent (et déterminent) celles qui sont occupées dans l’interaction. Tout changement de place est généralement codifié, et correspond à une finalité (nouvelle phase dans une activité, qui modifie elle aussi le cadre participatif : passage d’un étudiant au tableau par exemple). À l’exception des cours donnés par P-Annie, dans lesquels les apprenants travaillent en petits groupes parmi lesquels circule l’enseignante, nous avons ainsi observé des classes dans laquelle la disposition spatiale restait frontale (l’enseignant à côté du tableau, face à ses étudiants) - faisant écho à une circulation de la parole où dominait souvent celle du maître.

- On observe aussi que le contrat didactique (au sens large) se marque aussi par une clôture spatiale rituelle de la classe : le cours se déroule le plus souvent portes closes, dans un espace ainsi précisément circonscrit. On pourra ainsi se reporter dans notre corpus à toutes les séquences parenthétiques initiées par une ouverture intempestive de la porte de la salle de classe (courant d’air, personne se trompant de salle) dont on voit bien qu’elles marquent bien la nécessité d’une réparation par rapport à un ordre symbolique établi (excuses, humour).

- Cette relative fixité se retrouve aussi sur le plan temporel. Les rencontres entre l’enseignant et les élèves ne sont pas ponctuelles et se font généralement à heures fixes, selon un planning régulier et prédéterminé, qui est souvent rappelé à plusieurs reprises aux cours des échanges (rappel de la périodicité des cours lors de la première séance, du prochain «rendez-vous» dans chaque séquence de clôture).

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