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le locuteur L, qui se pose comme celui qui assumera la responsabilité de l’acte de langage Pour reprendre ce même exemple du formulaire, il est celui qui appose son nom

DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

2/ le locuteur L, qui se pose comme celui qui assumera la responsabilité de l’acte de langage Pour reprendre ce même exemple du formulaire, il est celui qui appose son nom

sous la formule «je soussigné» et à qui l’administration pourra dire : «vous nous avez envoyé un papier où vous autorisiez votre fils à ... » (Ducrot 1984 : 194), même si ce n’est pas effectivement lui qui tenait le stylo. Il apparaît donc comme un «être de discours» (Ducrot 1984 : 199) qui est censé assumer le contenu de l’énoncé.21

3/ l’énonciateur : renvoie quant à lui aux «êtres qui sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue des mots précis» ; s’ils «parlent, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles» (Ducrot 1984 : 204). Ainsi, dans une phrase comme : «ah je suis un imbécile et bien tu vas voir» - la première proposition est attribuable à un interlocuteur tiers - et c’est à ces propos qui lui sont attribués que réagit le locuteur.

La pluralité des voix qui se fait entendre s’articule aussi à une pluralité des points de vue, l’énonciateur pouvant s’associer - ou prendre plus ou moins de distance - avec les propos qui se mêlent au sien. Ainsi, pour J. Moeschler et A. Auchlin, la notion de polyphonie implique non seulement «le fait qu’un énoncé puisse faire entendre plusieurs voix différentes, distinctes de celle de l’auteur de l’énoncé» mais aussi «le fait que tout énoncé

20 Ces phénomènes d’ «hétérogéneité montrée» constituent un lieu d’affirmation du sujet parlant : «le sujet parlant, en montrant les zones d'hétérogénéité de son discours, revendique en quelque sorte la paternité du reste de son propos» : «le sujet s'évertue, en désignant l'autre, localisé, à conforter le statut de l'un. C'est en ce sens que l'hétérogénéité montrée peut être considérée comme un mode de dénégation, dans le discours, de l'hétérogénéité constitutive qui, elle, relève de l'autre dans l'un»(Authier-Revuz 1982 : 145).

21 Autre exemple, tiré de notre expérience personnelle : lors d’une soutenance de thèse à laquelle un des membre du jury (A) n’avait pu assister, un autre membre du jury (B) a lu le compte rendu de l’absent. (B) pouvait être défini comme le sujet parlant, (A) comme le locuteur. Si le texte de (B) avait comporté une formulation telles que «certains penseront que cette hypothèse est discutable, mais ...» : c’est alors l’énonciateur qui se serait vu attribuer la proposition «cette hypothèse est discutable».

consiste en une mise en scène d’instances énonciatives distinctes, auxquelles le locuteur peut se présenter comme associé ou non» (Moeschler et Auchlin 2005 : 145). Nous verrons que la notion de positionnement énonciatif nous permettra d’aborder ce jeu énonciatif de la multiplicité des points de vue.

Ces théories de la polyphonie énonciative nous intéresseront à de nombreux plans dans nos analyses :

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d’une part : les échanges «autour» du texte littéraire sont fondamentalement des discours polyphoniques, tissant les voix des commentateurs du texte à celle(s) du texte lui-même (cf. infra chap. 9) ;

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d’autre part, la dimension interculturelle de ces échanges se manifeste elle aussi par des croisements, des emprunts de voix, des positionnements énonciatifs complexes, manifestations de la subjectivité des locuteurs, des différentes facettes de leur identité, de la circulation et de la co-construction des représentations dans le discours.

d. Nouvelles conceptions social / sujet

Les travaux interactionnistes conduisent aussi à revisiter les places respectives du social et du sujet et à les considérer comme «deux phases mutuellement constitutives d’une même réalité» (Rivière 2006 : 121).

Une réhabilitation du social : la place du contexte

La perspective interactionniste va de pair avec une nouvelle prise en compte des contextes spécifiques des énoncés - contextes qui étaient pour le moins «négligés» dans les approches structurales ou génératives.

«La parole est un processus de communication à étudier dans son contexte social à la manière des ethnographes /.../ Une communauté linguistique se définit non par une compétence linguistique idéale mais par une compétence communicative qui associe les ressources verbales de cette communauté et les règles d’interaction et de communication.» (Hymes The Ethnography of speaking, 1962, cité par Kerbrat Orecchioni 1990 : 59)

Le modèle SPEAKING de D. Hymes, qui permet d’objectiver les différentes composantes d’une situation de communication, souligne par exemple la place accordée au contexte22 dans cette nouvelle représentation de la communication. Les «normes communicatives» et les «pratiques discursives» y sont ainsi envisagées «toujours dans leur relation au cadre et au site dans lequel elles s’inscrivent» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 59). La signification des échanges ne peut être définie en dehors du contexte dans lequel elle s’inscrit.

Il est difficile de déterminer jusqu’où s’étendent les «tentacules du contexte» (Bigot 2002 : 21)

«Concrètement, cela voudrait dire qu’aucune collection finie de données ne conférerait une absence complète d’ambiguïté à quelque élément pris en son sein. Quelle que soit l’ampleur de la définition du « contexte », il pourrait toujours y avoir des

contextes plus vastes dont la connaissance renverserait ou modifierait notre compréhension d’items particuliers.» (Bateson 1971, cité par Winkin 2001: 127)

Il peut être vu comme préexistant à la communication et la déterminant, ou bien comme construit dans et par les échanges eux-mêmes.

Nous nous situons dans une perspective qui pose « l’importance du contexte » et reconnaît que «l’activité langagière est un phénomène social à double titre : elle est déterminée par le contexte social, et c’est en soi une pratique sociale»(Maingueneau 2002 : 136).

En outre, toute interrogation sur la dimension culturelle des échanges nous ramène à la définition du contexte (cf. infra chap. 2, pp. 85-91).

De la subjectivité à l’intersubjectivité : sujet social

Cette place accordée au contexte, à la dimension sociale affecte la conception du sujet. » Est battue en brèche la «théorie mentaliste» (Vion 2000 : 21) selon laquelle la communication «se trouve appréhendée comme l’expression individuelle d’une volonté consciente».23 Des travaux comme ceux du cercle de Bakhtine «/inversent/ la vapeur» entre intérieur et extérieur. entre expression et activité mentale, On pose que c’est la première qui modèle la seconde :

«Le centre nerveux de toute énonciation, de toute expression, n’est pas intérieur, mais extérieur : il est situé dans le milieu social qui entoure l’individu.» (Bakhtine cité par Vion 2000 : 26)

Tout un pan des sciences humaines (E. Goffman, G.-H. Mead, l’école de Chicago, A. Schütz et la phénoménologie) met en évidence la dimension sociale du moi et fait passer au second plan sa dimension psychologique. Le «soi» n’est plus une substance singulière mais une structure sociale qui résulte des interactions, de l’interrelation entre sujets. La communication est prise en compte dans sa dimension intersubjective :

«Les sciences humaines semblent désormais travailler avec un sujet social ou avec un individu socialisé et n’opèrent donc plus à partir du sujet “psychologique” ou “individuel”. L’interaction constitue dès lors une dimension permanente de l’humain de sorte qu’un individu, une institution, une communauté, une culture s’élaborent à travers une interactivité incessante, qui sans s’y limiter, implique l’ordre du langage.» (Vion 2000 : 19)

23 V. Rivière file la métaphore de l’orchestre et évoque au sujet de cette représentation de la communication un membre de l’orchestre qui se contenterait d’élaborer sa partition «dans sa tête avant de la jouer, sans forcément tenir compte de ses pairs» - ce solipsisme mettrait en péril le principe même de la communication.

e. L’élaboration du sens

Le sens du message : produit d’un travail conjoint

Autre changement d’importance dont sont porteurs les travaux interactionnistes : la manière de concevoir le «sens» du message et sa circulation. L’interaction verbale «ne saurait être réduite à la stricte transmission et réception d’une information» (Vasseur 2005 : 155).

Le sens n’est plus extérieur à l’interaction elle-même, attendant d’être «/extrait/ de l’enveloppe signifiante où il se trouverait sagement enclos» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 28). Il n’est pas non plus projet et produit de L1, et sa compréhension n’est plus simple restitution d’un message encodé au préalable.

Certes, bien évidemment, des règles linguistiques «préexistent à l’échange et le sens ne naît pas ex nihilo, mais la clé qui permet de décoder le message est, en partie du moins, construite dans le déroulement de l’interaction» (ibid.) et naît de ce « travail collaboratif » (ibid.) dans lequel sont engagés les interlocuteurs. Il doit être reconstruit «au terme d’un calcul interprétatif complexe» (ibid.).

«L'interaction pouvant alors être définie comme le lieu d’une activité de production du sens, activité qui implique la mise en oeuvre de négociations explicites ou implicites, qui peuvent aboutir, ou échouer.» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 28-29)

Est ici battue en brèche une conception classique du langage qui se bornerait à représenter passivement le monde, à être un simple outil de communication véhiculant une expérience qui existerait en dehors de lui. Au contraire, le langage est vu comme participant activement à la construction de significations, qui n’existent pas en dehors de lui, ni en dehors du travail mutuel des sujets engagés dans la communication. De la même manière, il n’est pas non plus projet du seul locuteur qui le mûrit en son for intérieur :

«L’élaboration verbale du sens /.../ n’est pas une simple “mise en mots“, même si les premiers contacts dans la langue étrangère tendent à entretenir cette conception du langage comme transparent et homologique de la réalité évoquée, unité par unité.» (Vasseur 2005 : 155)

Ces conceptions interactionnistes postulent qu’il n’y a pas de «message tout fait X. Il se forme dans le processus de communication entre A et B. Ensuite il n’est pas transmis par l’un à l’autre, mais construit entre eux, comme un pont idéologique, il est construit dans le processus de leur interaction» (Todorov cité par Maingueneau 1991 : 154).

On peut rapprocher cela des travaux de M. Bakhtine, pour qui la compréhension est une forme de dialogue : elle «n’est pas dans le mot ni dans l’âme du locuteur, non plus que dans l’âme de l’interlocuteur /.../ elle est à l’énonciation ce que la réplique est à la réplique dans le dialogue. Comprendre, c’est opposer à la parole du locuteur une contre- parole» (Bakhtine 1977 : 146 - 64).

Intercompréhension et contextualisation

Les travaux interactionnistes mettent en évidence que le travail d’interprétation que doivent accomplir les interactants ne porte pas seulement sur des significations linguistiques. Ils doivent aussi interpréter de manière pertinente la situation et l’activité qu’ils sont en train d’accomplir de manière conjointe.

«Cette interprétation constitue l’occupation constante des interactants qui confrontent, comparent, ajustent leurs discours dans une co-interprétation qui se forme tout au long du dialogue.» (Vasseur 2005 : 155)

Ce processus d’intercompréhension est particulièrement important dans le cas d‘interactions interlingues comme celles de notre corpus (cf. infra p. 59-61) ; il s’effectue par de nombreux moyens, notamment via le travail que J. Gumperz a nommé contextualisation (1989).

Il implique aussi que la communication est le lieu où circule, se co-construit de manière incessante un ensemble de représentations - de soi, de l’autre, du contexte. Ces éléments participent notamment à la constitution de ce que M.-T. Vasseur nomme « imaginaire dialogique » (2005) : «cet ensemble d’“idées“ que chacun de nous se fait intuitivement quant au fonctionnement de son interlocuteur dans le dialogue qu’ils construisent ensemble» et qui englobe :

«- l’image que chaque locuteur se fait de l’autre - l’image qu’il se fait de la tâche

- l’image qu’il se fait de la situation

- enfin l’image qu’il se fait de ce que l’on peut faire avec le langage.» (Vasseur 2005 : 106)

Pour conclure et synthétiser notre propos, nous pouvons revenir sur cette définition de l’interaction donnée par M. Cambra Giné : l’interaction est «événement communicatif mutuellement construit par les acteurs». De plus :

«par l’interaction chacun apprend et produit des conduites sociales acceptées par la communauté et attribue un sens culturel aux pratiques langagières. Les interactants sont co responsables de la construction et la négociation du sens ; ils se font une représentation de la situation de développement des attentes quant au type d’interaction à laquelle ils participent , aux finalités des interlocuteurs, à leurs rôles interactionnels et leur positionnements sociaux respectifs.» (Cambra Giné 2003 : 69)

Ainsi, dès à présent nous pouvons retenir quelques-uns des points qui, dans ces travaux interactionnistes, seront particulièrement utiles à nos travaux :

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la conception de la construction du sens comme un travail conjoint - et la place donnée à la négociation du sens, puisque toute interaction « autour » de textes littéraires consiste à co-construire le sens de ce texte ;

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le déterminisme réciproque du social / et du sujet, qui se définissent mutuellement, dans et par l’interaction - ce qui implique de rejeter une définition de la culture (et de l’identité culturelle) comme des éléments pré-définis de manière immuable ;

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le «fonds» d’imaginaire sur lequel se déroule toute interaction où circulent de nombreuses images (de soi, de l’autre, du contexte etc. ...), représentations qui sont elles aussi fortement liées à la dimension sociale / culturelle de la communication.

f. Des principes méthodologiques communs : une démarche empirique, plurielle et syncrétique

Nous pouvons pour finir mentionner les convergences méthodologiques des études interactionnistes. Comme nous l’évoquerons plus en détail dans notre seconde partie, étudier «le langage tel que l’emploient les locuteurs natifs communiquant entre eux dans la vie quotidienne» (Labov 1976 : 259) implique d’accorder toute son importance au travail de terrain, aux données brutes : c’est ce que souligne par exemple W. Labov, lorsqu’il qualifie de «dernier des paumés» le linguiste qui «n’étudie que ses propres intuitions, produisant à la fois données et théories d’une langue abstraite de tout contexte social» (Labov 1978 : 220 cité par Kerbrat-Orecchioni 1990 : 50). La perspective adoptée est donc empirique. Les interactionnistes adoptent aussi préférentiellement des démarches inductives (data first) ; le recueil des données n’y est pas destiné à valider une hypothèse préalable mais joue un rôle central dans l’émergence d’hypothèses de recherches.

La question du recueil des données est elle-même problématisée : C Kerbrat- Orecchioni cite ainsi ce mot de B. Latour pour qui il ne peut y avoir dans ce domaine de données, mais des « obtenues » (2009 : 26). Est ainsi envisagé le «paradoxe de l’observateur», qui ne peut s’extraire du cadre qu’il étudie, et sur lequel sa présence a nécessairement des répercussions (cf. infra chap. 6, pp. 299-302).

Enfin, nombre de ces études (dont la nôtre) s’orientent vers une démarche plus qualitative que quantitative, accordant une place de choix à l’observation micro des données recueillies.24

Sur un autre plan, ces travaux adoptent généralement une approche éclectique et ne sauraient être rattachés à une seule discipline, un seul courant scientifique. Non seulement, en effet, comme nous l’avons exposé, la linguistique interactionnelle est née à la croisée de différents domaines de recherches, mais elle est aussi - d’un point de vue synchronique - résolument intégrative. Le métissage théorique qu’on y observe n’est pas «un luxe» mais une réelle nécessité (Kerbrat-Orecchioni), celle de se situer dans une approche pluridisciplinaire de la communication humaine.

«S’agissant d’apprécier le rôle que joue le langage dans l’ensemble des processus de communication, le linguiste ne peut être absent d’un débat qui ne saurait se limiter aux apports de sa seule discipline. Ce débat, qui concerne la place du langage dans la construction des valeurs culturelles, la structuration de la vie sociale, ou l’édification de la personnalité, ne saurait rester sans incidence sur la théorie et les méthodes de la linguistique, surtout si elle entend s’intéresser à la communication.» (Vion 2000 : 11)

24 Pour une présentation plus détaillée de la manière dont nous nous inscrivons dans ce type de démarche ethnographique, cf. chap. 6, pp. 285-296.

De surcroît, il ne s’agit pas d’importer, de manière applicationniste, tel ou tel concept d’un domaine vers un autre25 : ainsi, pour R. Vion (2000 : 17), «à l’emprunt gadget des époques antérieures succède la discussion généralisée». Nous nous rangeons donc, à l’instar de C. Kerbrat-Orecchioni « dans le camp de la complémentarité » :

«Le discours en interaction est un objet complexe, comportant différents “niveaux”, “plans” ou “modules”. Pour en rendre compte de façon satisfaisante, on doit donc se “bricoler” une boîte à outils diversifiée /.../. En d’autres termes, il s’agit de revendiquer l’éclectisme ou le syncrétisme méthodologique, c‘est-à-dire le recours contrôlé à des approches différentes mais complémentaires.» (Kerbrat-Orecchioni 2009 : 21-22)

Et ce d’autant plus que notre travail emprunte aussi les voies des travaux sur la lecture et la réception du texte littéraire (cf. chapitre 3).

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