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DYNAMIQUES (INTER)CULTURELLES DANS LES INTERACTIONS

1. Culture, cultures

1.2. De la culture à la culturalité, vers une anthropologie de la relation

1.2.1. Des entités plurielles

Le premier constat sur lequel se fonde cette approche renouvelée est que les cultures sont toujours des entités plurielles.

On peut tout d’abord constater, avec L. Porcher, que «toute société est liée à une culture d’ensemble, qui la caractérise et qui est elle-même le résultat de très nombreuses cultures plus petites, plus sectorisées». Il mentionne ainsi : les cultures sexuelles (que nous appellerons de préférence «genrées»), générationnelles, professionnelles, régionales, religieuses, étrangères (au sens de cultures «migratoires»), qui contribuent toutes à définir «les appartenances des individus, c’est-à-dire les héritages partagés dont ceux-ci sont les produits et qui constituent une partie de leur identité»(Porcher 1995 : 55).

Mais ces différentes cultures ne sont pas des ensembles clos, simplement juxtaposés les uns à côté des autres. Nous mettrons ici l’accent sur le fait qu’elles sont, pour reprendre le mot de M. Serres, irrémédiablement «métissées, tigrées, tatouées, arlequinées» (Serres 1991 : 11). Il est difficile, voire impossible de les délimiter comme des ensembles distincts78. Nos sociétés contemporaines sont tout particulièrement révélatrices de cet état de fait : les cultures s’y entrecroisent, s’y entremêlent, dans un processus incessant d’influences réciproques, d’emprunts, d’accommodations et de «bricolages» en tout genre, composant ainsi «une réalité sociale et culturelle polychrome, labile et mouvante» (Abdallah-Pretceille 2008b : 52).

77 Il s’ancre dans les réflexions relatives à l‘interculturel, prenant sa source dans des travaux associés aux post colonial studies, comme ceux d’A. Appadurai ou H. Bhabha dans le champ anglo-saxon. En France, des travaux d’obédience diverses se situent dans ces perspectives. Nos propres lectures se situent dans le domaine de la pédagogie interculturelles (E.-M. Lipianski, M. Abdallah-Pretceille), lesquels font aussi référence à d’autres domaines de recherches (littérature : E. Glissant, psychologie sociale : G. Vinsonneau, anthropologie : J.-L. Amselle...). Nous nous appuyons aussi sur un ensemble de travaux qui établissent une critique de la notion d’«interculturel» - notamment ceux de F. Dervin. 78 «La notion de culture pure n'a pas vraiment de sens» écrit par exemple L. Porcher (2004).

Les individus sont eux aussi, à leur échelle, confrontés à une diversité des références culturelles : «plus aucun individu ne se situe dans un cadre culturel unique» (M. Abdallah- Pretceille 2005 : 37). Nous sommes soumis à des socialisations multiples, parfois contradictoires, qui font de nous des hommes et des femmes «pluriels» (Lahire 1998). Qui plus est, les sociétés contemporaines valorisent l’autonomie des individus : moins fixement assignés à leur(s) groupe(s) d’origine, ils ont une plus grande latitude que dans les univers traditionnels pour développer des appartenances actives : M. Abdallah-Pretceille évoque sur ce point une «personnalisation de plus en plus forte des comportements et des conduites» et une «individualisation des références» (2008b : 52).79

Dans cette perspective, enfin, l’accent est mis sur la dimension processuelle et relationnelle des cultures. Elles cessent d’être essentialisées, perçues comme des réalités objectives qui existeraient «en dehors des individus qui les portent et les actualisent» ou «en dehors des discours et des propos tenus sur elles». Elles sont avant tout «le résultat d’une activité langagière et sociale» (Abdallah-Pretceille 2005 : 37) :

«Ancrée dans une histoire, dans un contexte, dans une relation, la culture est un lieu de mise en scène de soi et des autres. Elle se joue des enfermements et des catégorisations. Les caractéristiques dites culturelles expriment une relation inter- individuelle ou inter-groupale, elles expriment une relation, une situation. /.../ Il n’y a pas d’autonomie de la culture par rapport à ses conditions d’énonciation et de production. Le “fictionnel” et la subjectivité sont, en réalité, les registres d’expression de la culture et le “faux en écriture culturelle” affleure en permanence.» (Abdallah-Pretceille 2008b : 53)

Les cultures sont donc liées à un contexte, une relation, une interaction. Elles ne sont plus des données : mais des (re)constructions permanentes, des «créations continues» (Schnappe cité par Abdallah-Pretceille 2005 : 19) puisqu’elles sont le produit de transactions permanentes. Elles sont vues comme un processus, une dynamique et non pas comme un produit fini.

Cette conception de la culture va de pair avec une redéfinition des rapports entre culture et identité : l’identité des individus n’est plus à considérer, dans cette perspective, comme le produit de leur appartenance culturelle. C’est à l’inverse les cultures qui doivent être pensées comme l’une des ressources possibles de l’identité (des identités) :

«On comprend aujourd’hui la culture aussi bien comme un produit que comme une ressource ou un potentiel à l’origine du développement identitaire des acteurs sociaux.» (Vinsonneau 2002 : 9)

C’est ce qu’exprime par exemple la métaphore du «branchement» qu’emploie J.-L. Amselle. Il a substitué cette expression à celle de «logique métisse» qu’il employait dans ses premiers travaux pour rendre compte de la «grande fluidité des identités» qui prévalait en Afrique à l’époque précoloniale (cadre géographique et historique sur lequel portent ses recherches). En effet, à ses yeux, parler de «logique métisse» introduit, en fin de compte, un biais :

«Cette notion de “logique métisse“ a connu beaucoup de succès, mais elle a souvent été galvaudée. C’est une notion ambiguë. Elle repose sur des fondements biologiques : pour métisser il faut d’abord isoler des lignées pures. Raisonner ainsi dans le domaine culturel est dangereux dans la mesure où cela induit un paradoxe : le métissage reproduit ce que l’on veut dénoncer.» (Amselle 2006 : sp)

Il préfère donc employer la notion de branchement qui est une notion plus neutre :

«L’identité se définit par le fait de se brancher sur un réseau qui existe déjà. Vous avez à disposition un éventail de labels identitaires et vous piochez dedans pour vous fabriquer une identité. Il existe alors une grande latitude dans le choix des items identitaires que vous allez recombiner pour vous constituer une identité propre.» (ibid.)

Dans ses travaux, M. Abdallah-Pretceille propose d’ailleurs d’utiliser le terme de «culturalité» plutôt que celui de culture pour rendre compte de cette nouvelle perpective :

«Le concept de culture est devenu inopérant pour rendre compte des mutations actuelles. La notion de culturalité permet, par contre, de concevoir les phénomènes culturels à partir des dynamiques, des transformations, des métissages et des manipulations. La notion de “culturalité” renvoie au fait que les cultures sont de plus en plus mouvantes, labiles, tigrées et alvéolaires. Ce sont des fragments qu’il convient d’apprendre à repérer et à analyser.» (Abdallah-Pretceille 2003 : 16)

Sans reprendre systématiquement ce terme de culturalité, nous souscrirons clairement dans notre recherche à cette «pensée complexe /.../ qui suit les chemins de traverse, les interstices, les diagonales de la communication et de la culture, qui marque le passage d’une analyse en termes de structures et d’états à celle de processus complexes et aléatoires» (ibid.).

Les analyses des interactions constituant notre corpus s’inscriront quant à elles directement dans cette conception dynamique et processuelle de la culture et des identités. Nous nous y intéresserons en effet à la manière dont les appartenances culturelles des étudiants et de leurs enseignants sont convoquées, (co) construites, (re)définies, aux stratégies identitaires déployées au cours des échanges, et non à la manière dont des appartenances culturelles prédéterminées conditionneraient les lectures et les interprétations des textes.

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