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Quel regard sur les échanges langagiers en classe (de langue) ?

DES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE Dans ce premier chapitre, nous positionnons notre travail dans le champ des études

2. Des interactions didactiques en classe de langue

2.1. Quel regard sur les échanges langagiers en classe (de langue) ?

Les interactions que nous avons recueillies peuvent être qualifiées d’interactions didactiques, si l’on entend par là «les interactions langagières qui sont orientées par la visée d’un apprentissage quelconque» (Halté 2008 : 62).

Notre travail s’inscrit ainsi dans le domaine, très large au demeurant, de l’étude des interactions verbales en contexte scolaire. Ce courant d’analyse, qui se propose de mettre en évidence les caractéristiques propres à ce type d’interactions, a progressivement émergé à partir des années 70. Il trouve sa source26 dans des recherches en psychologie cognitive qui mettent en évidence le rôle des interactions dans la construction des savoirs, dans la didactique et l’analyse des pratiques enseignantes, mais aussi, bien évidemment, dans les travaux de la pragmatique et de la linguistique interactionnelle évoqués supra. Il correspond, comme le met en évidence F. Cicurel (2002a) à une modification du regard porté sur la classe et les échanges qui s’y déroulent. On en est progressivement venu à considérer la classe non plus comme lieu de «réalisation d’une méthodologie idéale», mais comme le lieu d’observation des échanges effectifs entre les différents participants (Cicurel 2002a) ; on est

25 Comme cela s’est parfois fait avec les concepts de la linguistique structurale : R. Vion (2000) cite l’exemple du «triangle culinaire» que C. Lévi-Strauss, nomme par analogie au triangle phonologique de Jakobson - sans qu’il y ait pour autant correspondance profonde entre les deux.

26 Pour une présentation détaillée de la genèse de ce courant : cf. V. Bigot (2002 : 50 et sq.) qui se livre à un «balisage» détaillé de ce champ de recherche qu’est l’analyse des interactions verbales en milieu scolaire.

aussi passé d’une attention quasi exclusivement portée à la pratique enseignante27 à la prise en considération de la dynamique des échanges entre l’enseignant et les apprenants, entre les apprenants eux-mêmes. Bref, la classe y est envisagée comme «un lieu socialisé, où s’établit un échange actif entre des partenaires ayant leur place dans l’interaction» (Cicurel 2002a).

L’oral et les interactions langagières dans la classe peuvent néanmoins être abordées de différentes manières. Si l’on se réfère à la classification établie par E. Nonnon (1999), ainsi qu’à celle de J.-F. Halté (2008 : 67 sq.) qui reprend et complète la précédente, on voit que l’on peut dégager trois grands types d’approches :

- La première envisage la classe - et les échanges qui y ont cours - comme un espace où se (co)construit la réalité sociale. Pour E. Nonnon, ce « premier contexte de questionnement » est :

«celui du fonctionnement de la classe et de l’école comme un lieu social où la circulation de la parole est inséparable des représentations réciproques, des relations de pouvoir, des habitus et des appartenances culturelles : il correspond à la dimension identitaire, relationnelle, sociale de l’enseignement. Le terme oral signifie ici l’ensemble des interactions verbales par lesquelles se mettent en place la communauté scolaire, les rapports au savoir et les contrats didactiques, les relations d’identification, d’affiliation ou de rejet, c’est-à-dire l’ensemble des conditions qui rendent possibles les apprentissages spécifiques.» (Nonnon 1999 : 91 )

L’établissement scolaire et la classe sont ici considérés comme des institutions sociales : on s’intéresse à «la communication-en-général» et aux «apprentissages incidents» (Halté 2008 : 67). Les travaux qui se rattachent à ce type d’approche s’ancrent plutôt du côté de l’ethnographie de la communication, de la micro-sociologie.

Il s’agit ainsi d’envisager la classe «comme lieu de parole et de socialisation» (Cicurel 2002a : 4) - et de voir ce qui en fait, à ce titre, la spécificité. C’est en ce sens que V. Bigot parle ici d’une approche «typologique» (2002 : 67) des approches des échanges langagiers dans la classe : les travaux qui s’inscrivent dans ce premier ensemble essaient de comprendre ce qui caractérise les discours et interactions produits dans la classe, en ayant notamment recours à «une démarche comparative qui consiste à comparer ce qui se passe dans la classe à ce qui se passe dans d’autres situations (ibid.).

- La seconde approche se situe au niveau «des apprentissages de toutes disciplines» et l’oral y est invoqué «comme un médiateur privilégié de la construction de connaissances et de démarches intellectuelles» (Nonnon 1999 : 90). La perspective qui domine ici est celle de questions liées à l’acquisition apprentissage - et les travaux sont plutôt le fait de psycholinguistes et de psychologues. On s’intéresse au rôle de l’oral et des échanges langagiers dans la structuration des apprentissages (V. Rivière parle de l’oral «pour

apprendre» 2006 : 68), au «rôle de la verbalisation et des interactions dans la construction des savoirs et savoir-faire» (Halté 2008 : 68).28

- Au troisième niveau, la question de l’oral «renvoie à l‘acquisition de compétences langagières spécifiques». On se place ici sur le terrain d’une didactique de l’oral (d’un « oral à apprendre » pour reprendre la formule de Rivière 2006 : 68). Il s’agit à la fois d’analyser les spécificités de genres oraux, et de modéliser leur apprentissage à travers des démarches d’enseignement. J.-F. Halté évoque ici des préoccupations relatives aux «savoirs linguistiques et discursifs spécifiques» à l’oral (2008 : 69). On peut prendre comme exemple des travaux comme ceux de B. Schneuwly et J. Dolz (1998), qui s’intéressent aux genres du débat ou de l’exposé oral.

Nous laisserons ici de côté la troisième position, qui ne correspond pas à nos propres questionnements, même si on observe dans notre corpus que le travail mené autour des textes littéraires est effectivement pour certains enseignants l’occasion de travailler des genres oraux, comme le débat collectif ou plus nettement encore l’exposé29.

Notre travail s’ancre de manière évidente dans le premier ensemble de travaux. En effet, nous souhaitons étudier la dynamique des échanges conduits autour du texte littéraire en classe de langue, afin d’y examiner comment, à l’occasion de cette lecture collective, circulent des savoirs et des représentations sur la culture (les cultures) des apprenants, la culture (les cultures) mises en textes, et se construisent les positionnements identitaires des apprenants (et de l’enseignant).

La seconde perspective correspond aussi à certaines de nos interrogations, puisque les échanges menés autour de l’oeuvre sont aussi le lieu dans lequel / par lequel se (co)

28 Dans la cartographie des différents travaux relatifs aux interactions verbales en classe de langue qu’elle établit, V. Bigot montre que les frontières entre la première et la seconde perspective peuvent être moins nettes qu’il n’y paraît au premier abord : ainsi, dans le premier type de questionnement, la question de la transmission de savoir et de savoir-faire est présente, attendu qu’elle

«constitue l’enjeu premier de la communication didactique, et, partant, joue un rôle fondamental dans son développement» (Bigot 2002 : 53). Cependant, «ni l’évaluation des modes de transmission, ni la compréhension des modes d’appropriation dans l’interaction» (ibid.) n’y sont réellement questionnés. Par ailleurs, il s’agit aussi d’un partage des champs de recherche entre différentes équipes et traditions universitaires : elle oppose ainsi d’une part une approche acquisitionniste, développée en Suisse, qui se situe dans un positionnement ethnométhodologique affirmé, et manifeste une «grande prudence» vis-à-vis de toute théorisation forte, et d’autre part une approche discursive- interactionnelle, qui s’est développée en France, mais aussi au Canada, et réunit des travaux plus divers, qui trouvent leur ancrage du côté de la linguistique et de l’analyse du discours (par ex. : Cicurel 1985, Germain 1993, Dabène 1984, Boissat 1991).

Il reste que, comme elle l’observe, certains travaux, ceux de L. Gajo et L. Mondada par exemple, se situent bien à la confluence de ces deux approches distinguées par E. Nonnon - comme on le voit lorsqu’ils écrivent : «nous aimerions décrire le territoire scolaire par rapport à ses principes récurrents, à des spécificités /../ il devrait permettre d’une part de revenir de façon plus nuancée sur la question de la plasticité contextuelle et de la variété des contextes à l’école, et, d’autre part, de mieux comprendre le positionnement des élèves et des enseignants dans les interactions en classe» (Gajo et Mondada 2000, cités par Bigot 2002 : 54).

29 Cela apparaît clairement dans la séquence de cours de P-Isabelle que nous avons suivie : chaque étude d’un roman ou d’une oeuvre littéraire est l’occasion de plusieurs exposés, dont la méthodologie a été posée en amont des cours.

construit sa signification, et se (co) construisent des savoirs et des représentations - dont certains sont en lien avec la culture sous toutes ses formes, comme nous l’avons précédemment évoqué. Il n’en reste pas moins que notre objet premier n’est pas de comprendre et d’évaluer quels sont les savoirs (sur le texte, la littérature, la culture...) acquis dans et par l’interaction - ni quels sont les modes de cette acquisition.

Nous verrons aussi que certains des échanges que nous avons recueillis sont le lieu de négociations relatives à la nature même de ce qui doit en être l’objet d’acquisition : ces cours ont-ils pour visée des savoirs ou des savoir-faire sur la langue ? Sur la littérature ? Sur la culture ? Nous retrouverons dans la dynamique même des échanges les tensions propres au traitement du texte littéraire en classe de FLE que nous allons évoquer, avec une perspective méthodologique, dans la deuxième partie de notre travail.

2.2. Caractéristiques typologiques des échanges langagiers en

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