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Thèses centrales de la seconde remarque de l'édition de

II. La teneur conceptuelle du calcul infinitésimal

4. Thèses centrales de la seconde remarque de l'édition de

En débutant la seconde remarque, Hegel synthétise de façon étonnante la méthode du calcul différentiel avant de s'intéresser à ses fondements et à ses notions ambiguës. Et pour tout dire, cela prend un air simpliste, mais finalement la remarque n'est pas fausse, et cela montre que Hegel a pris un certain recul par rapport aux version antérieures

« Toute la méthode du calcul différentiel est résumée dans la proposition selon laquelle

1 ( ) ( )

n n f x i f x

dx nx p

i

  

   , c'est-à-dire égal au coefficient du premier membre du binôme x + d, x + i développé selon les puissances de dx ou de i. On n'a besoin d'apprendre rien de plus » ; « en peu de temps, peut-être en une demi-heure [...], on peut posséder toute la théorie. »3 Ceci signifie que la maîtrise opératoire du calcul différentiel acquise est loin d’assurer la compréhension des enjeux de cette maîtrise, ce qui nécessite une intervention philosophique conséquente.

a. La teneur conceptuelle de la relation-de-puissance

Hegel alors accorde à nouveau, très logiquement, une puissance conceptuelle supérieure à la forme potentielle f(x) = xm, et par là, au développement de Taylor. Il avait déjà reconnu la

1

Hegel 1812a p. 273-4.

2 Hegel 1812a p. 275. 3 Hegel 1832a p. 301.

supériorité à la détermination potentielle1, et la reconnaissance d'un infini en acte dans l'usage du développement de (x + dx)n est au fondement de ce choix, parce que, rappelons-le, dans ce développement chacun des membres est déterminé par la forme de la puissance.

C'est donc de nouveau dans le cadre lagrangien de la théorie des séries que Hegel se place, où il oppose la généralité formelle et superficielle de la "mauvaise" forme sérielle

(a + b + c + d + …)n à la généralité véritable, expressive d'un infini en acte, de (x + dx)n. Cette théorie a donc pour objet des nombres, les sommes, et se fonde sur les types d'élévation à la puissance qui en sont au fondement. Elle a alors à étudier les valeurs-limites de ces sommes, quelles que soient les fonctions développables en série considérées (exponentielle, logarithme, trigonométriques, potentielle). Hegel veut ainsi exposer la loi de formation des

séries de fonctions analytiques2, sur la base de l’équivalence entre analyticité et

« développabilité » en série de Taylor, ce développement étant pour lui seulement un moyen

de calcul de la dérivée d’une fonction. Or, on l'a vu, la relation entre une primitive et sa

dérivée est intégralement présente dans la relation entre un coefficient et le coefficient du membre suivant de la série : pour Hegel le calcul différentiel se résume à cette relation, comme l'indique la citation ouvrant la seconde remarque.

Mais dès 1812, le chapitre suivant la Remarque, « La relation quantitative », tout cela était bien clarifié, reprenant celle-là à un niveau de généralité supérieur. Si la relation directe (où l'on a

1

x c

yavec c constant), et la relation inversée (

1

x

cy) sont conceptuellement limitées, la

relation-de-puissance elle manifeste clairement sa conceptualité. En effet, dans y² = x (tiré de 1

x

yy), la nature qualitative de la relation devient visible : l'unité variable y est en même

temps le « nombre-nombré » (variable) de fois que y est contenu dans x. Dans cette élévation au carré, (où l'on peut se ramener à l'addition), l'unité et le nombre-nombré sont identiques. L'exposant ici exprime donc une égalité à soi-même de y par la médiation d'une altérité qui n'est d'autre que ce y lui-même : d'où pour Hegel la nature véritablement qualitative de cette « auto-production » du quantum, via l'identité de l'identité et de la différence à soi. Voilà la raison pour laquelle la première puissance exprime déjà tout le contenu conceptuel de la série d'une fonction potentielle, les puissances successives se contentant de répéter cette même opération.

Dans la relation-de-puissance donc, le x et le y sont conceptuellement déterminés. On a affaire ici à une détermination-de-grandeur qui est moment d'une relation qualitative3. Or on est ici arrivé à la dernière détermination du quantum comme tel : il se détermine lui-même

comme quelque chose de relationnel-qualitatif. Cette unité de la quantité et la qualité implique

le passage à la mesure : « la vérité du quantum est d'être mesure »4, mesure entendue comme quantum par quoi le quantum est qualitativement ce qu'il est. Autrement dit, la moment spéculatif assurant la transition de la quantité à la mesure est celui lors duquel, la qualité étant réintroduite dans la quantité via l'infini mathématique, le quantum se détermine \ comme

1 Cf. le point étudié dans le § 13 ci-dessus.

2 Ce qui est tout à fait dans l'esprit du 18ème siècle : on analyse des objets et leurs propriétés sans se préoccuper

des problèmes d'existence, autrement dit, même si ces objets n'existent pas : attitude typique d'Euler par exemple. C'est Weierstrass qui précise définitivement ce qu'est une fonction analytique. Une fonction f U:  £ £ (U ouvert) est dite analytique (ou holomorphe) dans U si elle est développable en série entière au voisinage de tout a U, c'est-à-dire s’il existe une série entière dont la somme égale f(z) dans un disque de centre a et de rayon r, telle que

0 ( ) n n n f z a z a  

 soit £ -dérivable terme à terme. Ce « disque » est le cercle de convergence muni d’une origine (a ici), et de rayon de convergence r : on dit alors qu’une série

n n

a x

converge pour xr , pour x¡ ou £ . Ce qui est important ici, c’est la réciproque de ce théorème : la £ -dérivabilité (holomorphie) en un point implique l’analyticité.

3

La troisième Remarque de Hegel 1832a s’occupe de préciser cette notion de « détermination-de-grandeur », mais n’apporte pas d’éléments vraiment neufs pour ce passage.

qualité, tout en étant quantum, c'est-à-dire hors de l'unilatéralité de chacune des déterminations quantitative et qualitative.

Il est donc tout à fait logique de voir, dans la seconde remarque de 1832, un examen conceptuel de la mécanique et de la physique mathématique de Kepler à Newton, que l'on trouve déjà dans la partie sur la mesure1, ainsi que dans la Philosophie de la Nature dans l’Encyclopédie2

, comme on le verra plus bas. b. De nouveau le quotient différentiel

De façon explicite on voit alors Hegel s'opposer à l'idée lagrangienne selon laquelle l'opération de dérivation, passage d'une primitive à sa dérivée, est un simple passage d'un équation f x( ) y xn à une autre équation dy nxn 1dx

dx

 . Cette dernière expression est

superficiellement une équation, comme on l'a vu : c'est en réalité une relation qualitative

insécable, irréductible à un simple résultat algébrique. Pour autant, on le voit refuser l'idée que le passage à la limite soit une stratégie valable : c'est pourtant celle de Cauchy (qu'il ne cite pas cependant). L'écart à la théorie newtonienne déjà saluée se montre dans le fait que, par cet usage des limites, le quotient se trouve « coupé », les différentielles sont détachées, ce qui entrave la manifestation du qualitatif ; en second lieu, c'est un infini potentiel qui sourd dans cette approche par les limites. Or pour Hegel, on sait que dans (x + dx)n c'est l'infini actuel qui se manifeste.

Ces deux problèmes, révélant la pensée de la relation qualitative comme relation de quantités dernières séparables, exprime la domination de la représentation d'entendement, non expurgée d'éléments non rigoureux, inexacte, sur la saisie conceptuelle d'une part. Donc Hegel s'oppose ici explicitement autant à l'un, Lagrange, qu'à l'autre implicitement, Cauchy. Contre les deux mathématiciens, Hegel rejette l'idée que le quotient différentiel soit un quotient

quantitatif (de même que l'idée que la notion d'incrément soit indispensable) ; mais d'autre

part, il vise là, dans cette stagnation dans le quantitatif, la tentation de la réification des procédés opératoires en objets existant comme tels alors que ce ne sont que des fictions mathématiques. Danger du « piège de la grammaire » comme dira Nietzsche avant les anglo- saxons, qui consiste à croire à l'existence de choses figées derrières les symboles, danger que le rasoir d'Ockham avait déjà pour rôle d'évacuer.

Sous la forme du rejet des entités suspectes que sont les infinitésimaux on voit la spéculation hégélienne récuser l'apparence de rigueur et les créations d'être dues à la pensée d'entendement, formaliste et figée ici, au profit de la compréhension du processus conceptuel sous-jacent à ce calcul, mais que ce calcul ne peut saisir et comprendre. De même, s'il faut garder la limite, il va falloir la penser véritablement en repartant de la conceptualisation de l'infini mathématique : en fait, Hegel ne se limite pas ici à la filiation Newton-Euler-Lagrange dans laquelle ce dernier resterait un sommet indépassable, comme le dit Desanti3. Certes, Desanti note justement que l'effort de rigueur et l'examen contemporain des conditions de convergence des séries ne retient pas l'attention du philosophe, mais il semble excessif de nier sa connaissance de Cauchy : c'est la thèse d'A. Lacroix4, selon laquelle si Hegel a longuement et explicitement parlé des bienfaits de la théorie de Lagrange, il montre implicitement dans l'édition de 1831-1832 qu'il a travaillé les thèses de Cauchy, par l'intermédiaire d'un travail des thèses d'un mathématicien de ses contemporains, Dirksen. On peut donc reconnaître une parenté d'ambition entre Hegel et Lagrange autant que Cauchy, malgré l'éloignement évident des types et cadres de leur discours : dans tous ces cas il convient de mettre au clair, pour la combattre, l'opacité de la stratégie obscure des infinitésimaux. Néanmoins Hegel s'est de fait opposé autant à l'un qu'à l'autre, tout en mesurant l'avancée opérée par Cauchy et la critique par celui-ci de Lagrange. Ce que Hegel rejetterait semble-t-il chez Cauchy, c'est son usage subreptice du mauvais infini quantitatif.

1 Hegel 1812d, [352] et suiv. 2

Notamment la longue note du § 270.

3 Desanti 1975 p. 55. 4 Lacroix 1996 p. 140-2.

Lorsque l'on fait le bilan des études effectuées, récurrentes, dans les remarques comme dans les chapitres exposant plus généralement le devenir du concept il apparaît bien que Hegel, s'il n'est pas bien sûr mathématicien mais philosophe, n'opère pas cette critique seulement « de loin » : son propos est nuancé et informé de l’histoire et des techniques mathématiques qu’il interroge conceptuellement, ce qui mérite d’être reconnu. Certaines lectures, par exemple celle des artifices de calculs de Newton, sont certes discutables dans la mesure où elles semblent injustes, même si elles sont techniquement défendables : mon idée n’est pas de présenter un Hegel « tout blanc », le négatif du « tout noir » encore trop dominant, mais d’insister sur le fait qu’il a dit beaucoup sur des questions fondamentales de philosophie mathématique en s’appuyant sur les méthodes ou mathématiques existantes, et même que sont propos, sans prendre une forme mathématique déterminée, est, concernant sa détermination du continu géométrique et le rapport de celle-ci à la théorie des cardinaux, tout à fait affine à ce qui sera conceptuellement et mathématiquement aux repris dans la seconde moitié du 19ème siècle. Et il se trouve que son discours sur la géométrie est tout à fait instructif dans ce qu’il contient de proche de certains grandes innovations qui ont concouru à la révolution géométrique du 19ème siècle : ce qu’il faut étudier maintenant.

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