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H Lefebvre : le projet avorté du Traité du matérialisme dialectique (1946-1947)

Brève remarque sur un chaînon essentiel : l’intervention de Lénine

I. Matérialismes dialectiques et rationalisme à la française

3. H Lefebvre : le projet avorté du Traité du matérialisme dialectique (1946-1947)

a. Orientation générale

H. Lefebvre élabore sa perspective philosophique, dès les années 1930, selon un double angle qui va l’opposer au régime de pensée du diamat : d’une part il s’intéresse de près aux manuscrits du jeune Marx – celui qui est qualifié d’idéaliste et rejeté par le diamat en cours d’instauration – et introduit en France les cahiers philosophiques de Lénine, sous l’angle de l’aphorisme suivant de Lénine qu’il réutilisera souvent :

« On ne peut comprendre le Capital de Marx et en particulier son premier chapitre sans avoir étudié et compris toute la logique de Hegel. Donc, pas un marxiste n’a compris Marx un demi-siècle après lui »1

Il en tire un profond intérêt pour la Science de la logique, et va vite assumer un certain hégélianisme, tout en s’ouvrant à des pensées « non orthodoxes » : que ce soient celles des épistémologues français non marxistes ou celle de Nietzsche. Il tire de cette assise théorique la prééminence du concept de praxis, qui est tout sauf en vogue dans le champ des intellectuels communistes d’alors :

« La praxis est le point de départ et le point d’arrivée du matérialisme dialectique. Ce mot désigne philosophiquement ce que le sens commun appelle : "la vie réelle", cette vie qui est à la fois plus prosaïque et plus dramatique que celle de l’esprit spéculatif. Le but du matérialisme dialectique n’est autre que l’expression lucide de la praxis, du contenu réel de la vie – et corrélativement la transformation de la Praxis actuelle en une pratique sociale consciente, cohérente et libre. Le but théorique et le but pratique – la connaissance et l’action créatrice – sont inséparables. »2

Cette perspective est bien sûr immédiatement en décalage profond par rapport à l’économisme alors dominant dans les traductions théoriques des impulsions lancées par la IIIème Internationale : ce qui est important, c’est que c’est du point de vue de cette praxis qu’il articule son néo-hégélianisme et l’objectif d’une méthodologie matérialiste des sciences, en s’opposant au régime théorique qui s’est ancré dans la dialectique de la nature alors dogmatisée :

« Lorsque ce livre fut écrit, voici bientôt vingt-cinq ans [1940], le marxisme officiel ou "institutionnel" dérivait déjà vers une philosophie systématique de la nature. Au nom des "sciences positives", et notamment de la physique, on tendait à considérer la philosophie comme un cadre pour rassembler les résultats de ces sciences et pour obtenir un tableau définitif du monde. Dans les milieux dirigeants, on voulait ainsi fusionner la philosophie avec les sciences naturelles en "fondant" la méthode dialectique sur la dialectique dans la nature. »3

Cependant,

1

Lénine 1938, p. 175, repris par exemple en exergue de Lefebvre 1947, p. 7.

2 Lefebvre 1940, I.

« La thèse de la dialectique dans la nature peut parfaitement se soutenir et s’accepter. L’inadmissible, c’est de lui donner une importance énorme et d’en faire le critère et le fondement de la pensée dialectique »1

Une certaine universalisation des lois de la dialectique à la nature n’est donc pas en soi impensable – et on sait que Marx lui-même a accompagné et soutenu les travaux d’Engels sur les sciences de la nature2. Cette ouverture révèle un réel anti-dogmatisme, dont on va voir maintenant les traits positifs concernant l’épistémologie des sciences et en particulier des mathématiques.

L’ouvrage qui intéresse en priorité ici est Méthodologie des sciences3

, écrit en 1945-46, imprimé en 1947 mais immédiatement censuré et laissé dans les tiroirs. Les susdites orientations de Lefebvre ne pouvaient convenir à l’orientation générale du Parti. Rémi Hess, qui préface l’ouvrage, parle à juste titre du « projet avorté » du Traité du matérialisme

dialectique : Méthodologie des sciences était en effet le second volet du Traité envisagé, « A

la lumière du matérialisme dialectique », consistant à articuler les méthodes spécialisées des diverses sciences (mathématiques, sciences expérimentales, sciences de l’homme) à la méthode dialectique générale exposée dans Logique formelle et logique dialectique4, qui est pour cette raison indispensable à l’intelligence de l’ouvrage. L’étude, dans ses ouvrages postérieurs, qu’il offre des les relations entre logique(s), mathématique(s) et dialectique reprendra sans changement les éléments qui vont suivre5.

L’« impressionnisme »6

qui caractérise Méthodologie des sciences traduit d’abord un rejet des systèmes clos, et son ouverture théorique, étonnante dans le contexte, est la clé de l’exposé7. D’abord, sur la base d’une critique virulente des unilatéralités théoriques du néo-

positivisme du Cercle de Vienne, il dialogue longuement avec les pensées dialectisantes non- marxiennes de l’époque : celles de Bachelard, Gonseth, Lautman, Canguilhem, la revue

Dialectica fondée en 1946, etc. Ensuite il défend avec force la thèse de la relativité essentielle

des modes théoriques d’exposition, fondée sur la conscience du fait qu’une théorie (en particulier scientifique) est toujours un complexe d’idées, dont la production est à réinscrire dans la praxis sociale qui en est la nécessaire origine, raison pour laquelle toute théorie est

unité de théorie et de pratique.

« Contre l’empirisme logique (spécialement visé dans le présent ouvrage), le dialecticien matérialiste, seul conséquent, seul dialecticien, continue à critiquer le formalisme et à montrer le primat du contenu, dont toute forme n’est que l’expression abstraite et momentanée. Mais contre les pseudo-dialecticiens, il prend la défense de la forme, et montre l’unité de la pensée dialectique, ainsi que la méthode, à partir de la logique générale. Il conteste la dispersion de la dialectique en “des” dialectiques dépourvues de rapport avec la forme générale de l’abstraction, donc inévitablement confuses et subjectives »8

Le ton est donné, bien révélateur de l’époque comme on l’a vu précédemment, et le programme consiste à réinvestir ce qui était déjà central dans Le matérialisme dialectique (1940)9 : si l’encyclopédie hégélienne est l’exposé (rejetant les ancrages transcendantal et réaliste) des déterminations progressives de l’Idée du point de vue de cette Idée même, ce qui pose problème n’est pas l’aspect mystificateur de cet « idéalisme », mais la prétention essentielle d’un individu fini d’exposer l’Idée totale de l’expérience humaine, et la clôture du système qui s’ensuit.

1 Lefebvre 1940, Avant-Propos (1965) p. 8. 2 Cf. Lefebvre 1940 p. 102-3. 3 Lefebvre 1945-46.

4 Lefebvre 1947, Editions Sociales 1982, 3è éd. avec une nouvelle préface.

5 Ainsi Lefebvre 1986, D. « Le (la) logique – (Le) La logico-mathématique », p. 59-74. 6 Entendre une certaine imprécision qui laisse assez souvent le lecteur sur sa faim. 7

(Introduction, Ch. I et Conclusion).

8 Lefebvre 1945-46 p. 3-4. 9 Lefebvre 1940.

D’où le paradoxe apparent affectant l’entreprise de Lefebvre : il rejette le systématisme et la position de la dialectique comme une méthode a priori homogénéisant illégitimement les objets divers du savoirs (rejet radicalisé à partir de 1970 avec la posture du Manifeste

différentialiste), mais traduit cette critique en une aspiration par essence systématisante, dont

le Traité devait être l’agent : la constitution pratico-théorique de l’Idée absolue. Il réaffirme ainsi que la dichotomie sujet/objet n’est qu’un moment abstrait dont la sursomption consistera en l’exposé progressif des médiations entre les deux instances, exposé qui ainsi se fait, est la constitution même dans sa forme de l’Idée (son contenu étant infini). Celle-ci, sommet de la logique dialectique concrète, est le savoir complet du réel mais par principe un horizon régulateur puisque le processus humain de sa constitution est ouvert à son historicité (ce qui redonne sens à la présence spectrale de l’infini dans le fini exposée dans la Science de la

logique). Le moteur de sa constitution, c’est le travail par lequel l’homme constitue d’une part

l’Idée de la nature via l’organisation des sciences spécialisées (la tendance à la spécialisation – dans la production de l’Idée partielle d’un objet ou d’une classe d’objets considérée – est toujours en même temps exigence d’unification), et d’autre part l’Idée de lui-même, comme connaissant et maîtrisant socialement la nature par la première Idée. La logique dialectique concrète (complémentaire de la logique formelle des sciences hypothético-déductives) est alors théorie des relations immédiates, médiates et contradictoires différentielles qui rendent possibles les objectivations propres à chaque science et leur articulation1. Contre la clôture Lefebvre affirme corrélativement la relativité du commencement épistémologique (il critique ainsi l’abus de la démarche axiomatique dans l’empirisme logique), et par là invite le lecteur à ne pas absolutiser la forme associée à la visée pédagogique et persuasive de son exposé.

Ce cadre général présupposé2, Méthodologie des sciences livre des indications méthodologiques (souvent trop générales). Un travail encyclopédique (pas seulement de systématisation de faits, mais aussi et surtout de constitution de catégories) conscient du fonctionnement holistique des modèles théoriques est à mener par des équipes spécialisées en lesquelles doit être présent un dialecticien « spécialiste » en théorie de la connaissance (on dirait un « épistémologue organique »), apte à thématiser et à rendre raison de la mobilité historique et psycho-sociale des concepts. Lefebvre insiste alors (en le disant plus qu’en le faisant en détail, mais c’est à nous de reprendre le flambeau) sur l’évidente nécessité de confronter ce dispositif général aux épistémologies constituées des sciences particulières3 afin de montrer leurs opérativités respectives et, plus radicalement, le fait qu’ils forment les moments mutuellement féconds d’un même procès.

b. La « dialectisation » du moment logico-mathématique

Lefebvre, de même que Hegel, n’envisage absolument pas le rejet des principes analytiques d’identité et de contradiction qui fondent les méthodes de la logique (ou des logiques) et des mathématiques : son objectif est leur « dialectisation »4. Dans la mesure où toute action a « sa » logique, c'est-à-dire un ensemble complexe de règles d’inférences mobilisées implicitement ou explicitement à partir de principes, sa thématisation autonome – et plurielle – comme forme séparée de ce qu’elle investit, pour être légitime, ne rend pas raison de tous ses caractères : comme théorie et pratique de la cohérence, elle est « en proie » à la dialectique, puisque, relativement à cette cohérence, elle peut rencontrer des contradictions, structurelles ou diachroniques, dès qu’elle n’est plus purement formelle. Concrètement la positivité de la logique rencontre nécessairement, hors de cette formalité, la négativité de la dialectique, laquelle peut et doit s’exposer, comme logique concrète et non abstraite-formelle, à partir de la première, comme sa différenciation qualitative et retour réflexif sur ces conditions de possibilité et ses limites opératoires. Ce cadre est éminemment hégélien ; et

1 Lefebvre 1945-46 Ch.

II, « Relations et classifications des sciences ».

2 Lefebvre 1945-46, Introduction, Conclusion p. 175-6. 3

Les chapitres III à VII ainsi que la bibliographie portent sur les questions propres aux divers champs scientifiques de l’époque.

c’est dans le champ mathématique que cette dialectisation est érigée par Lefebvre en principe d’intelligibilité, essentiellement au sujet du processus historique de transformation des théories, et du processus de « l’invention » mathématique, en tant qu’ils révèlent une dimension qualitative que le plan quantitatif occulte traditionnellement.

Le processus de l’invention mathématique repose, dans ses strates fondamentales, sur l’existence d’une abstraction procédant par degré, qui n’est pas une abstraction empiriste1

, mais une « abstraction dialectique »2 dont la particularité est qu’elle manifeste le contenu en le

réduisant, et le ressaisissant ensuite selon telle ou telle propriété. Le commencement logique

(par opposition, ou indépendamment du point de départ historique) du logique formel et du mathématique est la négation-réduction de son contenu : Lefebvre renvoie ici à Kant, et à la conjonction, dans l’institution du nombre entier, d’une analyticité première : celle qui traduit la réduction de tout élément réel individuable à « l’entité 1 », à l’unité, et d’une synthéticité seconde : l’opération rationnelle de regroupement en un tout d’occurrences distinctes de l’unité. Le choix de cet exemple a une double fonction. D’abord rappeler que l’arithmétique pratique, celle du dénombrement, est commencement historique de la mathématique : le nombre est d’abord immergé dans le contenu, c'est-à-dire indissociable de ce qu’il nombre, le système décimal correspond à une première abstraction à partir de la possession de dix doigts. Mais l’arithmétique constitue également son commencement logique : manifestement Lefebvre a en tête la perspective de l’arithmétisation de l’analyse, et son ancrage finitiste, au- delà du fait que Kant et Hegel aient traité du nombre, au moins en partie, selon cette perspective.

Une définition mathématique, par exemple celle du nombre entier, est par essence

génétique et cela même dans un système axiomatique, dans la mesure où elle renvoie à des

processus antérieurs qui se ramènent à des suites d’annulations de contenus : il y a certes une

indépendance des éléments formalisés intégrés dans le régime démonstratif (et axiomatique

en particulier), mais cette indépendance du logico-mathématique à l’égard des contenus dont il provient est relative. Le but est de retrouver ce que l’on connaît déjà des notions et objets mathématiques ainsi formalisés : les entiers des théories de Cantor, Dedekind, Frege, etc. doivent bien évidemment correspondre à ceux de la pratique quotidienne du dénombrement de tout un chacun. Mais, et l’exemple du nombre est frappant, cette abstraction est justement ce qui permet d’aboutir aux véritables notions premières, celles qui vont ensuite servir de point de départ à un exposé réorganisé, par exemple axiomatique.3

Cette abstraction dialectique, concept très proche de l’abstraction réfléchissante de Piaget, révèle par surcroît une dimension qualitative : et Lefebvre de renvoyer à l’argument que tire Kant4, contre Leibniz, du paradoxe des objets symétriques, à savoir, l’irréductibilité des propriétés d’un configuration géométrique à des relations purement logiques et intellectuelles, et la nécessité de la médiation par une instance qualitativement différente de l’entendement, la sensibilité pure. La propriété d’être premier, l’ordinalité (contrairement à la cardinalité) sont par exemple pour Lefebvre des propriétés discriminantes des entiers irréductibles à des

propriétés quantitatives. Les mathématiques sont ainsi fondamentalement unité de qualité et

de quantité, ainsi que la mesure l’impliquait chez Hegel, mais aussi ainsi que la définition cartésienne de la mathesis universalis comme science de l’ordre et de la mesure le suggérait – et sur ce point Lefebvre reconduit le verdict engelsien selon lequel c’est Descartes5

qui a véritablement reconnu le premier la profondeur dialectique des mathématiques.

1 Sur l’abstraction mathématique Lefebvre 1946-47, II, § 4-5 p. 57-60. 2

Lefebvre 1946-47 p. 59.

3

De même un opérateur mathématique, opération abstraite qui consiste, à partir d’une forme identitaire initiale, à produire de nouvelle formes, est le produit d’une abstraction qui a dégagé la forme d’une pratique concrète. Le propos de Lefebvre ici, à peu de choses près, est celui que tenait Marx à propos du « retour de méthode » et du jeu entre les approches algébrique et différentielle du calcul infinitésimal : cf. chap. II, section 2-4 du présent travail.

4 Lefebvre 1945-46 p. 53. 5 Lefebvre 1945-46 p. 55.

Mais l’appréhension des traits propres du processus temporel des mathématiques implique également une conceptualisation dialectique : les apories, contradictions, paradoxes d’une théorie, qu’ils soient ponctuels, comme ce qui est révélé dans le pythagorisme par l’existence du « nombre incommensurable », c'est-à-dire du nombre qui n’est pas un nombre, ou structurelles, comme les paradoxes de l’infini (des infiniment petits, qui sont et ne sont pas en même temps, comme des infiniment grands, paradoxes que l’opposition dénombrable / non- dénombrable a permis de formaliser), exigent résolution1, c'est-à-dire suscitent par essence un

élargissement théorique réglé : en l’occurrence, pour le premier exemple, l’extension du

concept de nombre au-delà de la propriété d’être un rapport d’entier2. Ainsi, exactement comme le disait Hegel du moment de l’entendement, le régime du logico-mathématique

« ne vaut que par le mouvement rationnel (dialectique) qui l’entraîne et le féconde »3 La formalisation vient toujours après coup : « l’homo logicus » est une fiction, le caractère formel des démonstrations ne doit pas faire oublier que les axiomes et règles d’inférence d’un système axiomatique donné reposent sur un mouvement plus fondamental.

« … x+ 5 = 0, contradiction et même absurdité pour un algébriste du 16ème siècle. Pour résoudre la contradiction, il faut inventer une nouvelle espèce de nombre, le nombre algébrique proprement dit. Le mathématicien se trouve donc amené à démentir, à nier toutes les règles du nombre arithmétique, puis à les établir sur un plan nouveau, à un degré supérieur, révisées et

approfondies en fonction de la nouvelle définition du nombre (négation de la négation). »4

« … si les propriétés des nombres algébriques peuvent être étudiées et démontrées analytiquement… la notion génératrice, celle de nombre algébrique, a été obtenue

dialectiquement. Et tout le traitement formel ou analytique de cette notion constitue précisément

une "analyse" du contenu ainsi introduit. »5

Sont d’abord précisés ici le sens de « l’abstraction dialectique », et le statut de moment du régime hypothético-déductif, donc la légitimité et le caractère indispensable de sa rigueur

scientifique. Mais ce qui est frappant, tout particulièrement dans la première de ces deux

citations très représentatives, c’est d’abord que la négation, et la négation de la négation, sont ici le fait du mathématicien, donc extérieurs au champ mathématique même, ce qui correspond parfaitement à l’extériorité bachelardienne du « non », dans sa « Philosophie du non », relativement à ce qui est nié. Ensuite, le processus qu’il décrit a été, selon une signification tout à fait comparable, déterminé comme articulation entre paradigme et surtout

thématisation chez Cavaillès : rajouter l’expression de « négation de négation » apporte-t-il

vraiment quelque chose, à ce niveau de généralité, conceptuellement parlant ? Ce n’est pas évident. Et l’on va voir dans l’instant en quoi ceci est paradoxal.

De façon générale, ce qui est qualifié de « dialectique » dans les processus mathématiques n’est rien de technique : c’est tout ce qui nourrit, encadre, dynamise et finalise le registre logico-analytique qui en est justiciable, les mathématiques étant, à cause de leur essentielle dimension qualitative d’une part, à cause de l’impossibilité d’évacuer la présence non formalisable de contenus, irréductible à la logique (c’est le sens de son anti-logicisme). Deux éléments s’imposent à titre de conclusion : d’une part, le caractère très généraliste des rapports dialectique/mathématique qu’il expose le rend, paradoxalement, assez proche des

1 Lefebvre 1945-46 p. 55-6. 2

Mais les nombres complexes sont justiciables d’une analyse comparable. De même, Lefebvre évoque les paradoxes de l’élément premier du continu mathématique : le point est et n’est pas ligne, les deux n’existent qu’en tant que flux du premier, la variétés des objectivations permettant, dans un système hypothético-déductif donné, de parler « du » point ou de « la » ligne. Le fait de supposer connu l’inconnu pour résoudre à la façon cartésienne un système d’équations linéaires, ou encore de tenter une démonstration par l’absurde, en posant ce que l’on intentionne faux comme vrai, sont des marques d’un processus dialectique. On peut quand même est relativement dubitatif sur la précision du terme ainsi utilisé. Cf. Lefebvre 1945-46, II en général sur ces questions.

3

Lefebvre 1945-46 p. 57.

4 Lefebvre 1945-46, II-7, « La dialectique dans les découvertes mathématiques » p. 65. 5 Lefebvre 1945-46 p. 73.

dialecticiens non marxistes, si l’on retient la critique qu’il fait de leurs « dialectiques » : ainsi les remarques de Bachelard sur le « jeu dialectique » amenant aux géométrie non-euclidiennes « …ne sont pas inexactes. Mais le terme "dialectique" s’emploie plus d’une fois dans l’ouvrage de M. Bachelard dans un sens extrêmement vague… Mais le terme a philosophiquement un sens à la fois beaucoup plus étendu et beaucoup plus précis.

De même, M. Gonseth dans ses ouvrages souvent remarquables sur la pensée mathématique, emploie fréquemment le mot "dialectique", mais d’une façon désespérante par son vague. » S’agissant de l’exigence gonsethienne d’un « modèle authentique d’une méthode pour

diriger l’esprit dans la pratique de quelque dialectique »1

, elle « exprime une aspiration très juste ; mais ignore-t-il que ce "modèle authentique" existe dans l’œuvre de Hegel et de ses continuateurs ? » 2

L’évaluation de Lefebvre est tout à fait pertinente, on le montrera dans le chapitre III, mais d’une certaine façon, il me semble que son propos est également justiciable de cette évaluation. On notera au passage que si le champ marxien a parfois eu tendance a oublier ce qui se disait en dehors lui, réciproquement, les épistémologues non marxistes ne se sont pas non très souvent penchés sur ce qui n’était pas, dans l’espace français, de leur tradition. Ce

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