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Rappel sur le continu

III. Hegel et les transformations fondatrices de la géométrie au 19 ème siècle

5. Rappel sur le continu

Une autre leçon à tirer de tout ceci, c’est que le rapport au continu mathématique est ici de nouveau enrichi.2 Soit il est présupposé et limité, dans ce qui est exigé de lui, à la dénombrabilité dense, soit il échappe par définition à l’entendement, et n’intervient que dans la dimension qualitative de l’engendrement des objets et des dimensions. Penser le continu, c’est devoir accéder à l’infini véritable et qualitatif du concept, qui n’est pas formalisable ou

mathématisable : le continu est alors non pas l’impensé, mais la hantise (au sens où Sartre dit

que l’infini « hante » le fini dans la Doctrine de l’être) et le spectre du concept dans la rationalité mathématique, et en ce sens n’est pas un objet mathématique3 ou mathématiquement déterminable dans sa plénitude. La continuité est égalité-à-soi-même de l’Aussersichsein (par l’accent sur cette « égalité » le concept est surtout antagonique au morcellement d’un espace « ensemblisé » comme espacement), unité de l’extériorité (points discrets) et de la non-extériorité (c’est l’aspect d’un « seul tenant »), et comme telle, montre

1 Il reformule ainsi la notion de courbure d’une surface que Riemann généralisera aux variétés n-dimensionnelles

en 1854 dans Sur les hypothèses qui servent de fondement à la géométrie. La classification des courbures en constantes et non constantes, négatives, positives ou nulles, et la généralisation de la notion de distance entre deux points quelconques d’une surface quelconque à dimensions quelconques, permettent notamment d’organiser de façon systématique les géométries non-euclidiennes.

2 Cf. 1812a p. 170. 3

Bachelard 1927 développe la même idée. La thèse selon laquelle le continu est un non-objet est ardemment défendue par un des chefs de file de du constructivisme mathématique contemporain, Solomon Feferman : cf. Feferman 1998.

que réduire l’espace à un ensemble de points ne peut épuiser logiquement son concept1

. Ce qui ressort de tout cela, c’est que le concept spéculatif de continu retrouve pleinement le seul concept mathématique en vigueur à l’époque de Hegel (plus précisément, le continu n’est pas

un problème fondamental encore à cette époque, et donc ses concepts sont la plupart du temps

implicites), et que ce qui est à penser logiquement en lui et qui excède cette mathématisation

de fait est ce par quoi l’on peut tirer Hegel vers la seconde partie du 19ème siècle, où justement, les innovations théoriques des mathématiciens mêmes vont aussi (et surtout) se produire à un niveau d’abstraction et de spéculation proprement philosophique.

On peut ainsi dire qu'Hegel est, non pas dans l'« esprit du temps » en son sens, mais à divers titres dans « l'air du temps », quoique dans ses termes, les éléments véritablement conceptuels du discours mathématique (le « mouvement » générateur de différences spatiales qualitatives, l'hiatus entre fini et infini quantitatif, les infinitésimaux) l’excèdent comme tel. Tout ce qui est lié à l'infini et au continu excède le spatial au sens large, le mathématique en particulier2, perspective que le 19ème siècle va au contraire tendre à récuser, en réinjectant les susdites innovations théoriques dans le registre scientifique lui-même. A cet égard, Hegel n’aurait sûrement pas manquer de saluer la puissance et la fécondité du philosopher relativement à la connaissance positive, dans la mesure où, pour lui, c’est le concept lui-même qui porte l’infinité (le concept est actuellement infini), et cela seul qui permet de penser un concept mathématique minimal de l’infini (comme maîtrise définie d’un indéfini potentiel) – thèse constituant ce que P. Raymond qualifie l’« intervention épistémologique »3 de Hegel.

Vers la mécanique

Dans l’ensemble l'espace reste le plus souvent assez violemment rejeté dans la poubelle des abstractions mortes, quoique la négativité assure la dialectique de la spatialité, et ensuite et corrélativement, le lien entre cette dialectique et la réintroduction d’un penser substantiel en géométrie puis en physique. Notons d'abord que l'évolution de 1809 à 1822 a déjà conduit à un remaniement significatif : les mathématiques sont incapables de penser la négativité du temps, ainsi la section de la Naturphilosophie sur l'espace et temps qui avait pour titre en 1809 « La Mathématique »4 s'intitule en 1822 (et en 1830) « La Mécanique ». Ce qui tendrait à éloigner la géométrie, partie de la mathématique, de la mécanique. Or la quantification de la réalité est aussi importante, du point de vue de l'indispensable intellection discursive de celle- ci, que l'appréhension de ce qui relève en elle du qualitatif : comment comprendre alors la géométrisation de la nature ? Quel est en détail le lien entre Concept, espace pré-géométrique et espace-logique, formalisme mathématique, empirie ?

On va maintenant voir que derrière la critique connue de la scientificité newtonienne, Hegel repense la mécanique par le biais de la dialectique espace-temps-matière-mouvement (matière et mouvement étant l’existence réalisée-posée des concepts d’espace et de temps, la

concept de matière étant ainsi assez éloignée de sa représentation d’entendement), ce qui se

traduira par la pensée à nouveau frais des lois de cette mécanique. Présupposant les attendus conceptuels des analyses du calcul différentiel et de l’espace de la géométrie, on verra qu’ici la mathématique concourt à et épouse le concept et révèle une fécondité suggérant la possibilité d’une mathématique authentiquement spéculative.

1 Hegel 1812 a, p. 18, 194, Hegel 1822 § 10.

2 Cet aspect est réinscrit dans l'analyse extrêmement détaillée des rapports entre infini, continu et espace dans

Salanskis 1991 p. 206-7.

3 Raymond & Alii 1976 p. 100. Cf. aussi Raymond 1978 p. 75-9 et 128. 4 C’est la Propédeutique philosophique : Hegel 1809-1811, § 99-109.

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