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Origine et nature de l'abstraction mathématique a Le concept de grandeur et les axiomes

Remarques préliminaires

I. La place des mathématiques dans la dialectique de la nature

2. Origine et nature de l'abstraction mathématique a Le concept de grandeur et les axiomes

Très classiquement Engels définit les mathématiques comme la science des grandeurs : le concept de grandeur est central, et son analyse doit amener à trouver ses déterminations axiomatiques comme des déterminations nécessaires (puisque le but est de saisir la nature des choses) qui soient démontrables dialectiquement, non de façon tautologique. Les axiomes traditionnels ajoutés extérieurement, donc de façon accidentelle, aux grandeurs en elles- mêmes mal définies, forment donc une mauvaise approche : ces « déterminations initiales de la pensée mathématique » que sont les axiomes impliquent un travail sur le concept de grandeur, et de multiples exemples vont montrer comment pour Engels l'organisation générale des mathématiques (post-cartésiennes) supposent et mobilisent une dialectique de la

grandeur, qui va faire intervenir constamment les trois « lois de la dialectique ».

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Engels 1883 p. 214. Cf. Engels 1872, IV p. 60-2.

2 Engels 1875, Préface de 1885, p. 40. Je souligne (citation déjà utilisée en exergue de la section). 3 Labérenne 1948 p. 380.

Mathématiques post-cartésiennes parce qu'Engels fait – logiquement – remonter à Descartes le règne moderne de la dialectique en mathématiques. Avec lui, la science des grandeurs constantes s'élève en celle des grandeurs variables, par lesquelles ce sont les processus

mêmes et non plus simplement les états qui peuvent être mathématisés, ou plutôt dont on peut

montrer mathématiquement le caractère dialectique :

« La grandeur variable de Descartes a marqué un tournant en mathématiques. C'est avec elle que le mouvement et la dialectique sont entrés dans la mathématique et que devinrent tout de

suite indispensable le calcul différentiel et intégral. »1

Attribuant à Dühring un « manque total d'intelligence de la nature de la dialectique » parce que celui-ci la tient pour un « instrument de pure démonstration » (on peut ici parler de « dialectisation » subjective purement heuristique, dans laquelle toute contradiction est contre- raison), Engels expose comme suit les rapports entre logique formelle, mathématiques élémentaires et modernes, et dialectique : la dialectique est à la logique formelle ce que les mathématiques du calcul différentiel et infinitésimal sont aux mathématiques élémentaires, cela du point de vue de la méthode comme de l'ampleur :

« Les mathématiques élémentaires, les mathématiques des grandeurs constantes, se meuvent, du moins dans l'ensemble, à l'intérieur de la logique formelle ; les mathématiques des

grandeurs variables, dont le calcul infinitésimal forme la partie la plus importante, ne sont essentiellement que l'application de la dialectique à des rapports mathématiques ».2

L'image d'Epinal de la dialectique naturelle est celle du grain d'orge : le grain en tant que tel est nié lors de la germination dont le résultat, la plante, produira à son tour des grains d'orge qui mûriront après qu'elle ne meure, c'est-à-dire qu'elle ne soit à son tour niée, et ainsi de suite. Cette dialectique s'illustre de façon identique et avec le même statut même en mathématiques.

b. Du fétichisme des objets mathématiques

Comme les objets mathématiques sont un produit de la pensée, et que la pensée subjective reflète le règne objectif de la dialectique naturelle, Engels peut dire :

« Donc avant que Dühring ne chasse la négation de la dialectique et de la pensée, il sera obligé de la chasser de la nature et de l'histoire et d'inventer des mathématiques où   a a ne soit pas = a², et où l'une des racines carrées de a² ne soit pas –a. »3

Il y a toujours pour lui un préalable sensible ou naturel aux abstractions en particulier mathématiques: souci matérialiste connu, par lequel sont dérivées toutes théories scientifiques de la production matérielle4. Si l'objet mathématique abstrait paraît mystérieux, c'est parce qu'il n'est pas réinscrit dans son processus d'élaboration, pas reconduit à la praxis concrète et scientifique : de même que dans le fétichisme de la marchandise, où l'on oublie que derrière l'argent qui sert à faire circuler les choses il y a les rapports sociaux entre les hommes, on oublie que derrière l'objet mathématique, de ce fait réifié et pensé comme une création imaginaire incompréhensible, il y a un travail d'abstraction spontané ou méthodique. Ils sont un reflet subjectif de la réalité objective, destiné à des applications pratiques. Dit en sens inverse, les prototypes des notions mathématiques existent dans le monde réel, et cela vaut en

particulier pour les infinis mathématiques et les différentielles.

« … les grandeurs employées dans le calcul infinitésimal, différentielles et infinis de différents degrés… Pour toutes ces grandeurs imaginaires, la nature offre des modèles. »5

1 Engels 1875 p. 379.

2 Engels 1883 p. 264. Je précise que c’est Engels lui-même qui souligne, dans ces deux derniers extraits. 3

Engels 1875 p. 378-9.

4 Engels 1883 p. 272-8. 5 Engels 1883 p. 273.

Une racine négative, par exemple les racines imaginaires du type de 1 (tirée de

2

1

i   ), n'a pas par définition de sens réel prise en soi isolément, mais peut exprimer, dans la solidarité d'une équation de physique, le sens contraire d'un mouvement positif. Engels insiste très souvent sur la continuité des formes de spatialité telles que la perception sensible les appréhende, que les conditions terrestres permettent de les saisir in concreto avant de les transformer in abstracto. Les résultats de la géométrie, qui

« ne sont pas autre chose que les propriétés naturelles des lignes, surfaces et corps différents, ou de leurs combinaisons, qui, pour la plupart, se présentaient déjà dans la nature bien avant que les hommes ne fussent là »1

Mais le terrain véritable des mathématiques et de leur dialecticité, pour Engels, c’est celui de l’infini.

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