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La place du matérialisme a Divergences

Brève remarque sur un chaînon essentiel : l’intervention de Lénine

I. Matérialismes dialectiques et rationalisme à la française

3. La place du matérialisme a Divergences

On peut noter deux types de divergence entres les deux ouvrages : l’une méthodologique, l’autre conceptuelle. Le quasi-ouvrage de L. Sève est un panorama historico-théorique au spectre étendu, sur les thématiques abordées, et les points de vue sous lesquels celles-ci le sont : H. Atlan, P. Jaeglé, G. Cohen-Tannoudji, J.-L Massera, mobilisent à titres divers traditions marxiste et non-marxiste, en présentant et développant le plus souvent quelques philosophèmes (ainsi celui d’horizon de réalité chez G. Cohen-Tannoudji, repris à F. Gonseth2) sur des questions localisées. Mais la nature des contributions, comme celle de L. Sève, est surtout programmatique. Est-ce à regretter3 ? Dans la mesure ou l’ouvrage d’E. Bitsakis s’efforce lui de concrétiser ce programme, à l’instar du reste de son œuvre, on peut de nouveau insister sur la complémentarité entre les ouvrages. Lire celui de L. Sève comme contextualisation instruite au problème de la dialectique de la nature, puis celui d’E. Bitsakis comme réalisation régionale approfondie (en physique théorique) de ce programme et donnant rétroactivement sens et intelligibilité à celui-ci, me semble de bon aloi.

Mais au-delà de cette différence de nature des ouvrages, une divergence conceptuelle se manifeste, sur laquelle d’ailleurs E. Bitsakis revient régulièrement, précisément contre L. Sève : alors que le premier défend une thèse strictement matérialiste, le second, malgré ses affirmations, semble résoudre la matérialité fondamentale en un système de relations relevant d’abord de la pensée discursive, sur un mode assez hégélien, en somme.

b. Aséité de la nature et objectivité de la connaissance

Le matérialisme strict d’E. Bitsakis se traduit par l’alliance d’un principe d’objectivité et d’un principe d’aséité4

de la nature : la réalité existe en soi, elle est inengendrée (c’était déjà

1 Bitsakis 2001, p. 368-9.

2 Cf. par exemple Cohen-Tannoudji 1990. 3

C’est en tous cas une critique générale qu’A. Tosel formule à l’égard du propos de L. Sève, de façon ponctuelle mais répétée par exemple dans Tosel 1994, notamment en Introduction et dans l’Epilogue.

une thèse d’Engels), et indépendante par rapport au sujet (aséité), et, contre l’idée kantienne d’un en soi inconnaissable, en droit exhaustivement connaissable (objectivité), quoiqu’en fait cette objectivité ne soit qu’ontique, c'est-à-dire qu’en l’absence de « réalité ultime », cette exhaustivité est impossible. On retrouve ici bien les deux thèses de Lénine, qui lui-même reprenait Engels : la thèse d’existence et la thèse d’objectivité, rappelées au début du présent chapitre.

L’objectivité de la connaissance est relative aux déterminations historiques et expérimentales dans et par lesquelles elle se produit, et ne peut préjuger de son objet, lequel dévoile sa complexité à chaque innovation technique, et par là sa résistance, presque érectible en indépassable, aux prétentions objectivantes totalisantes. Cet « en soi » de la nature est l’objet « pour nous » de la recherche scientifique : d’où l’appellation « réalisme scientifique » qu’E. Bitsakis donne à son dispositif théorique. Et l’aspect apparemment naïf de ce réalisme ne doit pas tromper : il repose, comme dirait Russell, sur un « solide sens du réel ». « Acceptons donc, en accord avec le sens commun et la science, que la matière existe », est une décision théorique fondamentale, hautement philosophique1, qui reconduit le rejet

léninien du phénoménisme machien à propension idéaliste : c’est une thèse, dont la nature reconduit explicitement la fonction interventionniste dévolue par Lénine à la philosophie. Il n’est pas étonnant que l’on puisse en même temps faire relever cette décision de la « doctrine préalable » gonsethienne, ou de l’idéologie auto-critiquée orientant le discours quasi-

philosophique (au sens précisé plus haut des concepts ainsi qualifiés) : en effet cette thèse est

censée retrouver le sens commun. Il reste que la fonction de cette thèse est d’abord de donner un point d’appui tout à fait fondamental contre l’accusation de relativisme ou d’idéalisme à laquelle une dialectique non dogmatique de la nature ne manquerait pas devoir faire face.

On notera cependant une tension interne au propos. A plusieurs reprises est rappelée une thèse qui aurait selon moi mérité clarifications : celle de l’historicité des lois de la nature. E. Bitsakis écrit par exemple dans son chapitre final : il y a « des lois de la nature, c'est-à-dire des relations internes nécessaires et génétiques entre les causes et le phénomène. La loi est l’expression formelle des processus qui déterminent l’apparition du nouveau. La physique et la cosmologie ont démontré l’historicité des lois de la nature, du point de vue ontologique. En effet, les formes de la matière fondamentales, ainsi que les formes plus complexes macroscopiques, ont une histoire. Corrélativement, les lois de la nature ne sont pas éternelles, mais historiques. Or, l’historicité concerne l’autre aspect aussi : l’aspect gnoséologique. »2

Ce dernier point est une thèse classique, puisque l’expression de ces lois est relative à la connaissance historico-socialement disponible. En revanche, dire que les formes de la matière

ont une histoire n’équivaut nullement à dire que les lois sont historiques : l’intervention de la contingence et du hasard dans l’actualisation nécessairement légale du possible (par exemple

pour l’évolution des espèces et les phénomènes de mutations) n’est pas le signe d’une

historicité de la loi, mais bien plutôt de la complexité et de la multiplicité des facteurs déterminant cette « apparition du nouveau ». Il y a là selon moi au mieux une ambiguïté,

sinon une thèse méritant un arsenal théorique particulièrement solide sur ce point, comprenant notamment une explicitation de ce concept d’histoire, catégorie philosophique et quasi-philosophique dont la compréhension (intension) devrait être ici spécifiée.

Ce réalisme scientifique d’E. Bitsakis, fondé sur le matérialisme dialectique, sans réduire la réalité à un ensemble de « choses » ou phénomènes unitaires prédicables d’attributs variés (sur le mode aristotélicien, périmé ici, substance-prédicat), permet de ne pas dissoudre les entités (des particules élémentaire aux molécules, jusqu’aux corps organisés, inertes ou

1

Cf. également Geymonat 1972, p. 11-2, où, de même, réalisme scientifique et historicité gnoséologique sont

principiellement associés, Quiniou 1987, p. 9 et 22 notamment, où leurs statuts sont radicalisés (« le seul présupposé de la physique scientifique – ou, si l’on préfère, sa seule implication – c’est l’affirmation de l’objectivité de son objet : l’existence d’une nature matérielle inanimée distincte du sujet connaissant et s’offrant à la connaissance dans un procès indéfini », Préface, p. 9) et la problématique de leur articulation longuement étudiée au ch. I.

vivants) dans un ensemble de relations au statut par définition par trop opaque. Et le propos de Sève reconduit depuis un certain temps cette ambiguïté, de son Introduction à la philosophie

marxiste au texte de l’ouvrage qui intéresse : ainsi, « Penser de façon dialectique, c’est opérer

d’emblée un renversement radical de cette relation entre chose et rapport, c’est poser le rapport comme premier et comme constitutif de la chose »1. A quoi E. Bitsakis répond, discutant cette thèse, que « les rapports entre les parties constitutives de la chose se réalisent grâce aux interactions physiques, agents matériels, dont la source est la chose, et qui sont, en même temps, constitutifs de la chose. Support matériel, interactions internes et externes et rapports constituent la chose. Tous ces aspects sont inséparables », mais pour autant du point de vue du physicien qui est aussi celui de l’honnête homme et qui doit être celui du philosophe, « la chose, ici présente, est constituée d’éléments de réalité : masse, charge, énergie, spin, etc., qui ne sont pas de simples rapports mais des aspects d’une matérialité, d’un "fond" matériel, source des rapports »2.

Matérialisme spontané et posé, E. Bitsakis montre bien la pertinence et l’actualité de la critique léninienne des tentatives de dématérialisation de la matière : ce n’est pas parce qu’elle se « dérobe » qu’elle n’existe pas. Ainsi s’il y a coupure idéologique entre la doctrine spontanée et le discours épistémologique et scientifique, elle ne prend pas place à ce niveau, mais bien dans l’articulation et l’usage, radicalement distincts d’un mode naïf d’analyse, des concepts quasi-philosophiques, ainsi qu’on le précise plus bas.

Il reste que L. Sève, comme le reconnaît E. Bitsakis juste après cette remarque, défend bien globalement une position matérialiste-dialecticienne (ne serait-ce qu’historiquement on s’étonnerait vivement du contraire !) : « comprendre que l’objectivité des choses puisse être restituée par une subjective dialectique des concepts… n’est pensable qu’à la lumière d’un matérialisme intégral où les processus cognitifs – contenus objectifs aussi bien qu’activités subjectives du connaître – sont reconnus comme originairement naturels en eux-mêmes et le demeurant jusque sous leurs plus complexes formes historico-culturelles. »3

c. Refondation du matérialisme et « reflet »

C’est là que L. Sève et E. Bitsakis se retrouvent, en des termes différents. La refondation matérialiste de (la) dialectique(s) de la nature doit s’intéresser vivement à la nature de cette restitution dialectique par concepts des formes dialectiques des phénomènes réels. Mais là où classiquement L. Sève, reprenant le schème d’Engels, parle d’analogie entre l’objective dialecticité du penser subjectif et la dialecticité naturelle, insistant sur la variété des formes de la dialectique, E. Bitsakis parle de morphisme entre réalité, éléments de réalité et processus, et représentation conceptuelle, signalant par là un – involontaire ? – emprunt à l’épistémologie génétique de Piaget. C’est sur ce point que les développements d’E. Bitsakis sur la reprise par Lénine de la catégorie marxo-engelsienne de reflet4 prennent leur importance, et méritent confrontation avec la nébuleuse des très dynamiques sciences cognitives et de la philosophie

1 Sève 1980, p. 69. En Sève 1998, p. 42, L. Sève, au cours de son exposé sur Hegel, distingue mal ce qu’il cite de

ce qu’il se réapproprie de lui, lorsqu’il écrit « Dans le rapport des deux contraires se font face le positif – l’immédiat qui en soi est déjà la contradiction, et le négatif – le médiatisé – par qui le contradiction est posée comme telle. Ces deux termes ne sont rien en dehors de leur relation. Point crucial pour la philosophie : toute chose a pour fond un rapport, et le rapport, un procès, dont la chose est la sédimentation ». Tentation idéaliste d’un processualisme ou d’un quasi-énergétisme foncier de la nature ? Ce serait bien trop fort. N’oublions pas que L. Sève est bien sur le même front qu’E. Bitsakis, malgré ce que celui-ci peut en dire et même s’il a raison de noter l’ambiguïté sur une question aussi fondamentale. Cf. Bitsakis 2001 p. 369.

2 Bitsakis 2001 p. 368-9. 3

Sève 1998, p. 74.

4

Bitsakis 2001 p. 263-7. Lire aussi, outre bien sûr Lénine 1908, ouvrage de combat, certes, mais qui pense l’inflexion des principes philosophiques matérialistes et dialectiques en principes politiquement (comme scientifiquement) opératoires, ou du moins en ménage déjà de façon essentielle la possibilité de la pensée de

cette inflexion (sur le mode de la médiation catégorielle analysée plus haut), les contributions de CERM 1974,

par exemple Sève 1974, J.-P. Cotten, « Quelques réflexions sur la catégorie d’essence chez Lénine », p. 269-85, J.-C. Michea « Sur la "science de la pensée" », 571-85, et Jaeglé 1977. Cf. également à Quiniou 1987, ch. I en particulier sur la question du reflet, et plus généralement sur celle de la refondation du matérialisme.

de l’esprit : l’établissement d’une adéquation structurelle, « morphique » entre pensée et réalité convoque l’examen des modalités neurologiques et psychologiques de genèse de cette adéquation. D’où l’exigence d’une double étude, synchronique et diachronique, de la relation cerveau/pensée, et plus généralement, de la catégorie philosophique de matière1.

Le reflet n’est pas mécanique, même pour Lénine : les concepts sont les produit les plus abstraits d’un organe cérébral extrêmement élaboré, phylogénétiquement et ontogénétiquement pluri-déterminé par facteurs génétiques et sociaux. C’est parce qu’il y a, en un sens ou un autre, reflet, qu’il y a simultanément possibilité de connaissance, et possibilité d’erreur, les deux témoignant d’une non-immédiateté du processus représentatif. C’est ce processus, étudié par Wallon, Vygotski, l’épistémologie génétique piagétienne, et les sciences cognitives aujourd’hui, que déjà Lénine savait complexe et relevant de registres théoriques différenciés : s’il y a relation génétique, il y aussi différence, non pas ontologique, mais ontique et gnoséologique entre réel et pensée. Tout sauf empiriste2, il affirmait clairement – pleinement suivi par E. Bitsakis sur ce point – que se rapprocher de la réalité objective ne signifiait pas « coller » aux données sensorielles, mais bien aller du concret à l’abstrait, et construire conceptuellement, c'est-à-dire abstraitement, le concret-pensé le mieux à même d’appréhender le réel – selon la leçon de Marx. Le reflet, catégorie philosophique hautement dynamique, désigne bien, outre qu’il synthétise le primat anti-idéaliste de la matière sur la pensée, comme le résumait D. Lecourt3, « une pratique (active) d’appropriation du monde extérieur par la pensée », un reflet « sans miroir » au sens où il ne s’effectue que dans un « procès historique d’acquisition des connaissances »4.

Bilan et ouverture : deux classes d’enjeux pour le marxisme a. Les enjeux du chantier internes au marxisme

L’enjeu du chantier de la dialectique de la nature est d’abord la capacité du marxisme actuel à prendre sérieusement en charge le problème des modes d’objectivation à l’œuvre dans les sciences de la matière, à penser leurs concepts sans les inféoder indûment à un corpus confortable puisque stérilisant. Du point de vue de marxisme même il faudrait pour puiser aussi dans les corpus dialectiques non marxistes, comme y invite L. Sève et les autres auteurs de l’ouvrage qu’il a coordonné, et non se limiter à la tradition marxiste comme le fait E. Bitsakis. Ceci révèle, et ce n’est pas le moindre des mérites d’E. Bitsakis de le rappeler et de l’étudier en profondeur, contrairement cette fois au propos spectral et encore généraliste de L. Sève, l’exigence de re-fondation du matérialisme dialectique comme tel : ce qui implique notamment de confronter et de mobiliser les travaux actuels en psychologie et sciences cognitives. La connaissance précise des mécanisme neuro-physiologiques d’émergence de la pensée, notamment discursive, et son interprétation, donneraient les moyens de rénover les concepts et donc les problématiques centrales liés à la thèse très complexe, déjà chez Lénine, du reflet. D’où une double entreprise : (1) se donner les moyens théoriques d’un matérialisme et d’une psychologie dialectiques authentiques, qui d’une part donneraient véritablement consistance à la critique légitimement, mais trop confortablement réitérée, du dualisme sujet- objet, et qui d’autre part et corrélativement, réactiverait l’étude de l’idéalité de la connaissance comme forme symbolique de la matérialité. (2) Reconduire, par extension, la scientificité produite par une pensée nécessairement collective, au critère de la pratique

sociale, historiquement déterminée et idéologiquement sur-déterminée.

Autrement dit, le chantier de la dialectique de la nature excède les enjeux purement épistémologiques : il concerne l’ensemble des domaines « du » marxisme, même si en lui il est parfois perçu comme suranné :

1 Cf. Quiniou 1987, p. 47-51. 2 Cf. Verret 1967, p. 130. 3

Lecourt 1973, p. 43.

4 Ibid., p. 47. Geymonat 1972, 1976 rappellent aussi les enjeux et l’importance de cette catégorie flexible de

« … la thématique de la "dialectique de la nature"… n’est plus susceptible que du type d’attention qu’on est en droit d’accorder à des spéculations périmées », même s’il « n’est pas sans intérêt de faire l’histoire d’une spéculation périmée, ne serait-ce que parce qu’on a toutes les chances d’y trouver les raison qui l’on rendue caduque », d’ailleurs « être "contre" la dialectique de la nature est un topos qui risque finalement d’être aussi creux que celui qui correspond au fait d’être "pour" ».1

Pour l’instant cette dialectique « ne casse pas de briques » : une telle remise en chantier exigera(it) beaucoup. Au-delà des querelles d’école, à l’égard desquelles on confond encore bien souvent remémoration et commémoration, toute défense d’un nouveau passage au

concept impliquerait au minimum une édition critique des manuscrits constituant la

« Dialectique de la nature », en tant que premier pas officiel, et symbolique, de ce passage à l’acte. Les indications d’A. Tosel2

notamment sont fort porteuses, puisqu’il elles insistent sur les modalités de la construction différenciée de l’objectivité scientifique articulée à une philosophie de la praxis en et par laquelle cette objectivité serait pensée dans les termes de son

immanence aux pratiques théoriques (plutôt qu’en termes classiquement matérialistes ainsi

que Sève et Bitsakis ou encore L. Geymonat, y invitent). Mais dans la conclusion de ce travail je me permets de livrer un certain nombre de thèses à l’appui de ce passage au concept.

b. L’enjeu du marxisme révélé par ce chantier

On a vu plus haut l’injonction paradoxale qui traverse les soubassements essentiels des thèses de Sève et de Bitsakis. La dialectique de la nature doit être désontologisée, pour éviter qu’elle ne redevienne métaphysique dogmatique, et simultanément, elle doit avoir une fonction normative dans l’examen des procès d’objectivation scientifique, fonction normative fondée sur sa solidarité avec un matérialisme fondationnel, posé par les deux thèses d’existence et d’objectivité reprises à Engels et Lénine. Elle continue donc d’osciller entre métaphore heuristique et connaissance objective relevant d’un registre autre que celui des sciences positives. On le voit, cette injonction paradoxale ne fait que révéler une nouvelle fois l’ambiguïté structurelle de la prétention du marxisme à la scientificité. Il y a deux éléments distincts, me semble-t-il, qui sont maintenant nécessaires à une formulation du problème qui donne la possibilité d’avancer dans son règlement.

Le premier élément consiste à rappeler une spécificité majeure du marxisme, la nouveauté du critère de la pratique, et d’y associer le statut de la philosophie comme intervention, production de thèses. La dialectique de la nature, comme ensemble de schèmes conceptuels, philosophiques et quasi-philosophiques (pour reprendre les termes de Bitsakis), devient alors un ensemble de thèses qu’on ne va pas chercher à prouver, mais dont on évaluera progressivement la vraisemblance et la pertinence en fonction de sa confrontation avec les

concepts des sciences positives. Autrement dit, en y allant à grands traits, le paradoxe n’est ici

paradoxe que du point de vue idéaliste qui fait fi de ce critère de la pratique : la légitimité de la dialectique de la nature tient à son efficacité possible, non à sa confrontation à un critère objectif de validité autre que l’effet de sens qu’elle peut produire en se confrontant aux sciences.

Le second élément, fondé sur le premier, consiste à préciser en détail le lieu opératoire et les modalités propres de cette confrontation des schèmes et catégories dialectiques aux concepts scientifiques. Ceci revient à approfondir les relations que Bitsakis étudie entre les trois instances théoriques des catégories philosophiques, quasi-philosophiques, et des concepts scientifiques. La thèse de Bitsakis, comme on l’a vu, consiste à dire qu’il y a besoin de concepts médiateurs entre les catégories philosophiques, radicalement extérieures aux

1 Ceci résumé le recul, le rejet clair mais critique qu’opère P. Macherey en 1997 de ses propres thèse de 1982

(lesquelles constituent l’entrée « Dialectique de la nature » de Bensussan & Labica 1985). Suite à cette citation vient l’idée selon laquelle être marxiste aujourd’hui, plus généralement, « ce serait comprendre qu’il n’est plus possible de l’être de la même manière et chercher à en renouveler de fond en comble la perspective » (p. 138)…

sciences par principe, et les concepts scientifiques. Il faut selon lui donner les moyens à certaines thèses philosophiques de pouvoir questionner les concepts scientifiques dans ce qu’ils ont d’explicite et d’implicite (de « philosophiquement spontané » dirait Althusser). C’est à ce niveau intermédiaire (celui des conditions de la commensurabilité entre philosophie générale et concepts scientifiques) que les catégories dialectiques comme telles sont

opérantes.

Une dialectique de la nature n’est pas un discours scientifique1

, mais un type d’intervention

sur le discours scientifique, type d’intervention qui vise à infléchir et nourrir la sémantique et

l’usage des concepts scientifiques mêmes. Bien évidemment, l’assomption de la relativité des concepts, quasi-concepts, et catégories, aux conditions historico-sociales est nécessaire : ils ne sont pas a priori, mais engagés diachroniquement dans le processus historique idéologiquement orienté (plus que déterminé) par lequel philosophie et science(s) pensent le réel via les connaissances sectorielles déjà acquises (même si elles sont transitoires). La dialectique de la nature alors, comme on l’a dit, devient un instrument pour penser les

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