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La dialectique face à l’épistémologie des sciences de la nature

Brève remarque sur un chaînon essentiel : l’intervention de Lénine

II. Vers une pratique théorique de l’épistémologie et de l’histoire des

2. La dialectique face à l’épistémologie des sciences de la nature

L’article de 1949 Matérialisme et révolution et l’introduction de la Critique de la raison

dialectique essentiellement, on l’a vu, procèdent à une critique en règle de la nouvelle

métaphysique véhiculée par le diamat et la dialectique de la nature. Sartre en tire une thèse importante, mais diversement problématique, la non-scientificité de la dialectique

a. Quelle incompatibilité de la science et de la dialectique ?

On peut lire en creux dans Matérialisme et révolution, première manifestation de la critique sartrienne des inco-errances de la scolastique marxiste des années 1940, ou « néo- marxisme stalinien », qu’il ne confond aucunement avec les pensées des fondateurs3 – si ce n’est que, comme beaucoup à l’époque, il n’a des manuscrits d’Engels que leur version compilée dogmatisée – des éléments d’une doctrine différenciée de l’objectivité scientifique, insistant sur le fait que le point faible du marxisme est sa théorie de la connaissance : il rejette ainsi en 1949 l’opposition science bourgeoise / science prolétarienne4

, mais plus généralement, expose, à partir des limites de la position du matérialisme dialectique, une conception de la méthode scientifique, qui articule un concept d’objectivité avec une acception assez commune de la raison analytique motrice de la science.

1

Sartre 1957 p. 69.

2 Cf. Sartre 1960 p. 293-4 pour quelques remarques sur la « signification » et son rapport à la matière ouvrée. Où

l’on voit une convergence profonde avec l’étude matérialiste et non dogmatique du signe comme « réfraction de l’être » social qu’opère Bakhtine dans Le marxisme et la philosophie du langage en 1929-30 (traduit en français seulement en 1977).

3 Sartre 1949 p. 81, 85 note.

L’objectivité ne peut s’entendre comme simple qualité passive de l’objet regardé, ni comme valeur absolue d’un regard dépouillé de ses faiblesses subjectives. Dans la suite de la déconstruction de la métaphysique qu’est le matérialisme du diamat, il tire d’abord la leçon cohérente du point de vue matérialiste : l’homme, puisqu’il est produit d’un univers qu’il ne connaît que très partiellement, ne peut à la fois être en lui et hors de lui, donc ne peut instituer un schème universel de rationalité sans excéder les possibilités et critères scientifiques exigibles de sa justification. Par principe la seule position défendable, c’est qu’un type de rationalité qui a fait ses preuves est local, probabilitaire ou « statistique »1 : telle rationalité peut très bien n’être valable que pour un certain ordre de grandeur, et être inexistante en-deça ou au-delà de telle limite. La mécanique des particules élémentaire, par exemple, n’est pas la mécanique newtonienne. Ce caractère régional et hypothétique (et non apodictique) implique d’emblée le rejet d’une conception universelle de « la » rationalité scientifique, ce qui était déjà la position bachelardienne.

L’opposition qu’il reconduit, dans la lignée de Hegel et Marx, entre raison analytique et raison dialectique, est assortie de deux traits fort distincts : le premier, c’est l’opposition radicale de la méthode quantitative, réductionniste, et en extériorité de la méthode scientifique, à la méthode ressaisissant le qualitatif dans ses formes variées, synthétique et anti-réductionniste (totalisante) de la dialectique. Mais, alors qu’on aurait pu s’y attendre, ce n’est aucunement au profit de la seconde qu’il maintient cette opposition : son but est déjà en 1946 de déconstruire le diamat, et en premier lieu d’en détruire les prétentions à la scientificité. L’univers de la science, c’est le quantitatif : l’extériorité mutuelle des unités numériques co-présentes par l’acte d’agrégation, dans le nombre qu’elles forment2 (approche directement reprise de Hegel), l’effort de réduction du vivant au physico-chimique), témoignent de la spécificité de l’analyse qui réduit le complexe au simple, et en cela, est le

contraire de la dialectique, qui affirme l’irréductibilité du supérieur à l’inférieur3. Les lois de la physique, comme celle de l’attraction universelle, sont des relations externes, rapports

formels quantifiables, ici des modifications dans la direction et la vitesse de leurs

mouvements.

« Il est d’ailleurs rigoureusement impossible d’exprimer le rapport qualitatif de causalité dans le langage mathématique. La plupart des lois physiques ont tout simplement la forme de fonctions du typeyf x( ). D’autres établissent des constantes numériques ; d’autres nous donnent les phases de phénomènes irréversibles mais sans qu’on puisse dire que l’une de ces phases soit cause de la suivante… Le matérialiste, déçu parce qu’il y a trop peu dans la science pour étayer ses explications causales, se retourne donc vers la dialectique. Mais il y a trop dans la dialectique… »4

De même, quand le biologiste parle de synthèse, ce n’est aucunement au sens hégélien du terme, mais au sens de l’agrégat, de la recollection en un tout d’éléments distincts : la synthèse qu’est le nombre, n’est qu’une synthèse analytique, et non totalisante ou dialectique5

. De façon générale, la recherche scientifique ne recherche aucunement à montrer un passage de la quantité à la qualité : elle cherche à réduire la qualité6, par exemple sensible :

scientifiquement parlant, l’intensité d’un son ou d’une lumière n’est ainsi qu’un rapport

mathématique. Or cette méthode, c’est l’expression d’une coupure épistémologie réussie,

puisque par là sont radicalement différenciés l’univers scientifique et l’univers du réalisme naïf et de la sensation pure, c'est-à-dire ceux d’un empirisme non questionné. La science n’est pas empiriste : elle est faite de concepts7. On en arrive à une distinction aux conséquences

1

Sartre 1949 p. 86.

2

Sartre 1949 p. 88.

3 Même dans le déterminisme économique du diamat, reste présente l’idée d’une certaine indépendance des

superstructures à l’égard des infrastructures.

4 Sartre 1949 p. 95. 5

Sartre 1949 p. 88.

6 Sartre 1949 p. 91. 7 Sartre 1949 p. 92-3.

paradoxales : les définitions respectives de la science et de la dialectique sont mutuellement exclusives.

« La science est faite de concepts, au sens hégélien du terme. La dialectique en son essence est au contraire le jeu des notions. On sait que la notion, pour Hegel, organise et fond ensemble les concepts dans l’unité organique et vivante de la réalité concrète. La terre, la Renaissance, la Colonisation au 19ème siècle, le Nazisme sont l’objet de notions ; l’être, la lumière, l’énergie sont des concepts abstraits. L’enrichissement dialectique réside dans le passage de l’abstrait au concret, c'est-à-dire des concepts élémentaires, à des notions de plus en plus riches. Ainsi le mouvement de la dialectique est en sens inverse de celui de la science »1

Ce passage, d’abord, est remarquablement inégal ! A partir de cette acception des « notions », qui sont en fait les mises en relation dialectiques des catégories d’entendement ici nommées « concepts », il met sur le même plan « l’être » et l’énergie, au sens où l’être est le point de départ le plus abstrait et le plus incomplet de la Science de la logique, mais on ne peut vraiment pas dire que, dans le régime de pensée scientifique ainsi qu’il le décrit, ce soit le même type d’abstraction qui caractérise l’énergie. Mais ce qui est frappant, c’est que ce qu’il décrit comme non-scientifique, c’est la méthode du passage de l’abstrait au concret, dont on a vu précédemment, et sans revenir sur les difficultés exégétiques, qu’elle est la marque de la scientificité supérieure, chez Hegel comme chez Marx. Mon hypothèse est, de nouveau, que c’est le contexte intellectuel de l’article qui rend raison de ce retournement de situation : le diamat ne doit plus prétendre être science, et ce qui reste en lui de riche et de porteur d’intelligibilité, la dialectique, n’est pas trace ou critère de scientificité.

On retombe ainsi sur l’ambiguïté déjà évoquée dans la critique de la dialectique de la nature, de la notion marxiste de vérité, et sa traduction politico-idéologique : cette ambiguïté,

« rien ne la montre mieux que l’ambivalence de l’attitude communiste en face du savant : les communistes se réclament de lui, exploitent ses découvertes, font de sa pensée le seul type de connaissance valable ; mais leur défiance envers lui ne désarme pas. En tant qu’ils s’appuient sur la notion rigoureusement scientifique d’objectivité ils ont besoin de son esprit critique, de son goût de la recherche et de la contestation, de sa lucidité qui refuse le principe d’autorité et qui recourt perpétuellement à l’expérience ou l’évidence rationnelle. Mais ils se méfient de ces mêmes vertus dans la mesure où ils sont des croyants et où la science remet en question toutes les croyances : s’il apporte ses qualités scientifiques dans le parti, s’il réclame le droit d’examiner les principes, le savant devient un "intellectuel" et on oppose alors à sa dangereuse liberté d’esprit, expression de sa relative indépendance matérielle, la foi du militant ouvrier qui, par sa situation même, a besoin de croire aux directives de ses chefs. [Ici Sartre introduit en note] Pour finir, comme on voit dans l’affaire Lyssenko, le savant qui, tout à l’heure, fondait la politique marxiste en garantissant le matérialisme doit se subordonner dans ses recherches aux exigences de cette politique. Il y a cercle vicieux »2

On retrouve le retournement déjà maintes fois rappelé : c’est l’esprit de la science qui est

matérialiste, pas le marxisme de 1949. Ainsi,

« Revenons donc à la science, qui, du moins, bourgeoise ou non, a fait ses preuves »3 b. L’intelligibilité dialectique de la démonstration mathématique

Sartre a donc une conception très classique du régime de fonctionnement propre de la science : c’est celui de la rationalité analytique, hypothético-déductive et quantitative. Mais, comme on l’a vu plus haut, dans le champ anthropologique en général, cette rationalité analytique, entre 1946 et 1960, va se faire structuraliste : là réinscrire le moment de la structure dans le mouvement dialectique de l’institution des traits récurrents, pratico-inertes, qu’elle formalise, fait partie du processus d’intelligibilité proprement scientifique. D’ailleurs, plus généralement, la Critique va affiner cette conception très standard de la science : d’une

1

Sartre 1949 p. 93.

2 Sartre 1949 p. 105. 3 Sartre 1949 p. 93.

part en thématisant le fait que toute expérience scientifique est un fait de culture, une lecture orientée d’un réel visé, non porteur par soi de l’objectivité attendue1, renvoyant à l’existence

de relations d’intériorité entre les savoirs positifs à première vue disparates, thèse de type holiste instituant implicitement l’impossibilité d’un critère purement interne de démarcation du scientifique et du non-scientifique.

« L’hypothèse du physicien avant d’être confirmée par l’expérience, est, elle aussi, un déchiffrement de l’expérience ; elle rejette l’empirisme, tout simplement parce qu’il est muet »2

Sartre prend ici mieux la mesure de la complexité du processus scientifique, et c’est ainsi qu’il retrouve des éléments déjà présents dans les épistémologies dialectisantes non marxistes sur le « psychologie » de la démonstration mathématique : en premier lieu, tout en maintenant le régime scientifique dans le mécanisme qui règne dans ses phases formalisées/axiomatisées, le sens de son mécanisme ne se saisit que par un procès qui le dépasse.

« Comprendre une démonstration mathématique ou une preuve expérimentale, c’est comprendre la démarche même de la pensée et son orientation. Autrement dit, c’est, à la fois, saisir la nécessité analytique des calculs (comme systèmes d’égalités – donc comme réduction du changement à zéro) et l’orientation synthétique de ces équivalences vers l’établissement d’une connaissance nouvelle. En effet, même si quelque démonstration rigoureuse parvient à réduire le neuf à l’ancien, l’apparition d’une connaissance prouvée là où il n’y avait qu’une hypothèse vague et, en tous cas, sans vérité, doit apparaître comme une nouveauté irréductible dans l’ordre du Savoir et ses applications pratiques. Et, s’il n’y avait pas une intelligibilité entière de cette irréductibilité, il ne pourrait y avoir ni conscience du but ni saisie du cheminement progressif de la démonstration (chez le savant qui invente l’expérience ou chez l’étudiant qui en écoute l’exposé). Ainsi, la science naturelle a la structure même de la machine : une pensée totalisatrice la gouverne, l’enrichit, invente ses applications et, en même temps, l’unité de son mouvement, (qui est accumulation) totalise pour l’homme des ensembles et des systèmes d’ordre mécanique. »3

La démonstration géométrique de l’existence d’un deuxième point d’intersection pour toute droite non tangente rencontrant un cercle, est l’exemple qu’il prend4

pour illustrer la différence entre une évidence intuitive et le régime mathématique qui, bien entendu, ne se satisfait pas de l’intuition naïve de l’existence de ce second point. La démonstration analytique doit faire table rase du « l’unité sensible et qualitative du cercle-gestalt au profit de l’inerte divisibilité des "lieux géométriques" ». Elle doit se concentrer sur le mouvement générateur du cercle mathématique qui en constitue une définition possible, et d’autre part, sur la droite non plus considérée comme ensemble de points, mais comme mouvement.

« L’intelligibilité vient ici de la saisie intuitive de deux pratiques… Rien n’est à comprendre ici sinon l’acte générateur, la synthèse qui assemble des palissades [sic] ou qui retient ensemble des éléments abstraits de l’espace…

L’intelligibilité pratique de l’aventure géométrique, c’est cette nouvelle organisation qui la fournit en réalisant par nous-mêmes et par le mouvement que nous refaisons l’extériorisation de l’intérieur (action de la droite sur le cercle) et l’intériorisation de l’extérieur (la droite se fait intérieure pour traverser l’obstacle, elle obéit aux structures du cercle)… Si cette compréhension immédiate de la nouveauté pratique paraît inutile et presque puérile dans l’exemple cité, c’est que le géomètre ne s’intéresse pas aux actes mais à leurs traces. Il se soucie peu de savoir si les figures géométriques ne sont pas des abstractions, des schèmes limites d’un travail réels : ce qui l’intéresse, c’est de retrouver les rapports d’extériorité radicale sous le sceau d’intériorité qu’on impose aux figures en les engendrant. Mais, du coup, l’intelligibilité disparaît. »5

Autrement dit, le régime, légitime, de la preuve et la forme axiomatique d’une géométrie, seuls garants de sa scientificité ne sont pas pour autant seules instances d’intelligibilité : on retrouve le posture de Lefebvre, mais elle est plus précise ici, car elle rappelle, conformément

1 Sartre 1960 p. 171. 2 Sartre 1957 p. 28. 3

Sartre 1960 p. 175.

4 Dans la longue note, pas toujours limpide d’ailleurs, de Sartre 1960, p. 177-9. 5 Sartre 1960, p. 178-9.

à ce que l’on a vu à l’œuvre chez Hegel et Marx – ceux-ci étant héritiers du schématisme constructif des concepts mathématiques de Kant – la différence entre les procédés opératoires par lesquelles on institue une configuration géométrique donnée, et leur réification/fétichisation oblitérant, dans une re-présentation axiomatique, cette généalogie méthodologique. Cette dissociation entre scientificité légitime et intelligibilité ne se fait pas, dans le champ des mathématiques, contrairement au champ anthropologique, au profit d’une thèse sur la scientificité de cette compréhension dialectique. En cela Sartre s’oppose d’une part au statut que lui confère Hegel, même si l’on voit nettement ici l’influence sur celui-là de l’examen hégélien du théorème (dans la Doctrine du Concept) comme quasi-accès au concept dans le régime extérieur de la preuve, dès lors que mais seulement s’il est reconduit à la combinaison des catégories opératoires qui en constituent les moments. Mais c’est aussi, par anticipation, à Althusser qu’il s’oppose, comme on le verra dans la sous-section suivante.

Le thème de cette compréhension dialectique qui complète et enrichit qualitativement,

rend réellement raison de la nécessité rationnelle et non seulement déductive, du théorème,

rappelle nettement ce que Gonseth a pu dire des évidences dialectiques qui structurent par exemple la démonstration de la formule d’Euler pour les polyèdres, où les réquisits bachelardiens portant sur les conditions de la déconstruction des obstacles épistémologiques nécessaires à ce qu’un élève saisisse pleinement le sens d’une démonstration. 1

c. Sur les mathématiques comme emblème de la réification de la rationalité dialectique

Ainsi le régime de pensée de la démonstration mathématique illustre la dialectique structure/pratique, le moment analytique étant à saisir comme moment d’une rationalité dialectique afin que l’on puisse en pénétrer le sens, c'est-à-dire en saisir la nécessité. Tout ceci, comme chez Lefebvre, est pleinement dans la veine hégélienne. Sartre, malgré la relative généralité de son propos, maintes fois rappelée par la tradition (son incompétence en ces matières serait même légendaire !) pense la discursivité mathématique, livre de nombreux éléments proprement épistémologiques sur les conditions variées, régionales de constitution de l’objectivité scientifique, et la nécessité de l’instance dialectique pour penser la pensée de

cette objectivité, analytiquement et/ou structuralement formalisée.

Et ceci n’est pas incompatible avec le sens des métaphores mathématisantes qu’utilise la

Critique, du sous-titre du tome I « Théorie des ensembles pratiques »2, et surtout les concepts de série, sérialité et récurrence qu’il utilise pour désigner les traits d’une socialité réifiée. Cet usage me semble indicateur d’une tradition qui remonte à Lukacs et qui provient de Hegel, tradition qui a été tout récemment problématisée par V. Charbonnier dans son article « Le rationalisme et ses fétiches (des réifications de la raison) »3. Dans Histoire et conscience de

classe Lukacs reprend le thème hégélien standard selon lequel la pensée mathématique est

l’incarnation emblématique d’un entendement sclérosant la dynamique relationnelle des déterminations qu’elle traite en abstraction et en extériorité les unes par rapport aux autres. Le concept de réification des rapports sociaux dans le capitalisme qu’il formule a pour fonction d’étendre les analyses marxiennes du fétichisme de la marchandise. Le ressort de ce dernier est la substitution indue d’une entité censée être autonome – la valeur d’échange – au procès d’auto-valorisation du Capital assuré par l’extorsion de plus-value dans et par la production des marchandises. L’idée classique qui est reprise par Lukacs, c’est que la société bourgeoise en général – puisque les idées dominantes sont celles de la classe dominante – se maintient en véhiculant une idéologie qui sclérose (notamment par le biais formel des rapports juridiques) les relations interindividuelles. Comme le dit Sartre, qui reprend implicitement Lukacs selon moi, la réification,

1 Cf. Chapitre III, respectivement section 3 et 2 à suivre. 2

Sous-titre qui n’a pas encore fini d’étonner Badiou, au-delà de la dette générale que celui-ci reconnaît à Sartre : Badiou 1990 p. 16.

« ce n’est pas une métamorphose de l’individu en chose comme on pourrait le croire trop souvent, c’est la nécessité qui s’impose au membre d’un groupe social, à travers les structures de la société, de vivre son appartenance au groupe et, à travers lui, à la société entière, comme un statut moléculaire. »1

Deux choses sont à dire. (1) L’union en altérité, qui renvoie aux vécus dont la seule communauté tient au fait que les individus vivent dans un même monde, apparaît comme

sérialité et récurrence, c’est-à-dire composée par un être-commun passif éprouvé par chacun

dans une existence hors de soi, sur le mode d’une interchangeabilité atomistique. L’exemple le plus connu est celui d’une file d’attente, où ce qui unit les individus, c’est le bus qu’ils

attendent et rien d’autre, c'est-à-dire un élément étranger aux individus mêmes : ils sont unis par cette extériorité. On retrouve la thèse de l’enfer du pratico-inerte, et ce qui importe, c’est

que la détermination de ces relations réifiées passe chez Sartre par la reprise de termes mathématiques. Sans surdéterminer cet usage, il me semble que cela témoigne de l’idée, explicite chez Lukacs, que les mathématiques incarnent une réification de la raison théorique

et pratique des praxis, et que le phénomène social de cette réification généralisée, est

socialement et théoriquement à reconduire au procès fondateur du fétichisme de la

marchandise dont elle serait l’extension. Théoriquement, au sens où la mathématique2 impose la primauté de types formels de relations entre les objets qui sont inadéquats pour cerner les relations micro- et macro-sociales. Or c’est bien le même constat qu’effectue Sartre, on l’a vu

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