• Aucun résultat trouvé

b Les revendications juridiques portées par le mouvement féministe

Si les critiques à l’encontre de la définition juridique du viol sont nourries, il semble que les propositions concrètes pour modifier la loi sont rares. Deux textes ont été identifiés ; le premier émane de la Ligue du droit des femmes372, le second de l’association Choisir. Ce

dernier, un texte court, se focalise sur la définition du viol et sur des modifications procédurales qui tendent d’une part à protéger la vie privée et d’autre part à générer une dénonciation publique des viols.

i. Une nouvelle définition du viol

Le texte de Choisir vise à supprimer la distinction entre viol et attentat à la pudeur, les deux crimes ne différant « ni dans leur but, ni dans leur conséquence ». Dans l’exposé des motifs de sa proposition, l’association considère en outre que « la définition du viol

actuellement donnée par la jurisprudence est trop limitative. Qu’elle doit donc être élargie. Que dorénavant toute agression sexuelle doit être considérée comme un crime contre l’intégrité physique, sexuelle et morale de la femme373. » En conséquence, le viol est

défini comme « toute agression sexuelle commise par un homme sur une femme à l’aide

de violences physiques ou morales. » La peine envisagée est la même que celle

existante, soit une réclusion criminelle de 10 à 20 ans. Cette peine peut être aggravée par des circonstances aggravantes. A celles connues (lorsque le coupable est un ascendant, si il a autorité sur la victime, si il est instituteur, serviteur à gages, fonctionnaire, ministre du culte, ou a commis le viol avec l’aide d’autres personnes), en est ajoutée une autre : le coupable est porteur d’une arme

La principale rupture de ce texte avec le droit alors en vigueur est l’absence de référence au critère de pénétration et la création d’un crime général « d’agression sexuelle ». On peut s’étonner de l’imprécision des termes de « violences physiques ou morales », qui laisse aux tribunaux un large pouvoir d’appréciation en dépit des critiques féministes de la jurisprudence et de l’institution judiciaire dans son ensemble. Il est notable enfin que cette proposition reste dans le schéma traditionnel de la femme victime exclusive (et de l’auteur qui ne peut être qu’un homme).

372 Texte dont il est fait mention dans deux livres déjà cités, celui de MO. FARGIER (p. 195) et celui de F.

PICQ (p. 247). Ce texte, « définissant le viol et toute autre violence à l’encontre des femmes », aurait été remis à Françoise GIROUD qui l’aurait transmis au garde des Sceaux. En dépit de recherches à la BDIC, à la BMD, auprès des fondatrices de la Ligue et de Mme Picq, je ne l’ai pas retrouvé.

ii. Des dispositions de procédure pénale visant à faciliter le dévoilement des violences sexuelles, leur prévention et leur répression

Parmi les revendications portées par le mouvement féministe, deux se distinguent par leur récurrence, il s’agit du huis clos et de la constitution de partie civile des associations374.

La protection de la vie privée de la victime peut nécessiter le recours au huis clos, à sa demande, ou à l’interdiction de diffuser des informations relatives à celle-ci (proposition de Choisir).

Quant à la constitution de partie civile associative, portée tant par la Ligue que par Choisir375, elle a une fonction politique et pédagogique. Il s’agit de mettre fin à l’impunité.

« L’explication publique lors d’un procès constitue à la fois un moyen de déculpabiliser la

femme et une force dissuasive à l’égard de l’homme. » Dans cet objectif, l’affichage du

dispositif de la décision de condamnation dans divers lieux (tribunal, Mairie du domicile et lieu de travail du condamné) est également prévu par Choisir376.

La loi est vue comme un levier pour générer une évolution sociale. Selon l’avocate Monique ANTOINE la lutte pour un changement de législation « pourrait donner lieu à un

débat public dans lequel les femmes seraient amenées à s’exprimer. Et à terme, force serait d’admettre que l’acte sexuel et ses approches ne peuvent que résulter d’un consentement mutuel quels que soient le sexe, l’âge ou la situation des partenaires377. »

Ces réflexions auront une influence manifeste sur la société civile et donc sur les parlementaires378, dont témoigneront les débats parlementaires lors du vote de la loi du

23 décembre 1980 ; toutefois la radicalité des analyses féministes n’est que partiellement partagée par les parlementaires. Cela ne les empêche d’ailleurs pas d’y faire référence et de saluer « l’action énergique et exemplaire de certains mouvements féminins et

féministes ».

374 D’autres propositions de modification circulent relatives par exemple à la composition du jury : parité ou

exclusivement des femmes (Questions féministes, op. cit., p. 361).

375 « Les femmes violées ont besoin, pour faire reconnaître ce droit, de l’appui et de la solidarité

d’associations féministes auxquelles le viol cause un préjudice « direct, personnel », et différent de celui de la victime. »

376 Cette demande sera reprise dans la proposition de loi de Brigitte GROS. 377 Op. cit., p. 47.

378 Certaines de ces demandes seront reprises par les propositions de loi des parlementaires, voire par la loi

B. D

IAGNOSTIC ET PROPOSITIONS DES PARLEMENTAIRES

En un court laps de temps, qui suit le procès d’Aix, six propositions de loi379, trois

émanant du Sénat et trois de l’Assemblée nationale380, sont déposées. Elles sont courtes

et les exposés des motifs, à l’exception de la proposition de loi de Florence d’HARCOURT, sont peu détaillés381. Par ailleurs, leurs intitulés sont signifiants en ce

qu’ils nous informent de l’ambition de la réforme : modifier la loi ou simplement la « compléter ». Ils nous font en outre entrevoir que l’un des enjeux de cette nouvelle loi portera sur la répression du viol (versus « la prévention et la répression »). ML. RASSAT critiquera « l’évidente improvisation des propositions de loi pour le dépôt desquelles les

différentes formations politiques avaient voulu se livrer à une course de vitesse. Cette absence d’une préparation sérieuse [n’a] pas permis d’apporter des solutions nouvelles sur un certain nombre de points à propos desquels les textes anciens et les textes de 1980 demeuraient manifestement inadaptés382. »

Les propositions contiennent néanmoins plusieurs idées novatrices383 qui ne seront

toutefois pas retenues par la commission des lois ou écartées lors des débats. Trois lectures seront nécessaires pour aboutir au texte adopté le 23 décembre 1980384. Les

379 Propositions de loi - de Brigitte GROS, « en vue de protéger les femmes contre le viol » (Doc. Sénat

1977, n° 324) - de Florence D'HARCOURT, « tendant à compléter le Code pénal et le Code de procédure pénale afin de mieux assurer la répression du crime de viol » (Doc. AN 1978, n° 271) - de Françoise MITTERRAND, « sur la prévention et la répression du viol » (Doc. AN 1978, n° 273) - de Robert SCHWINT, « sur la prévention et la répression du viol » (Doc. Sénat 1978, n° 381) - d’Hélène LUC « relative à la protection des victimes d’agressions sexuelles et notamment de viol (Doc. Sénat 1978, n° 445). Les propositions du Parti Socialiste et du Parti Communiste sont déposées dans des termes similaires devant chaque Assemblée. Pour une analyse de ces propositions, voir Qualifié viol,

op. cit., p. 35 et s.

380 Une quatrième « tendant à supprimer les discriminations sexuelles dans les sanctions de l’attentat à la

pudeur » est déposée par M. Crépeau et le groupe socialiste. Elle vise à mettre fin à la répression

spécifique exercée contre les homosexuels.

381 Pour une analyse approfondie des travaux parlementaires, V. Qualifié viol, op. cit., p. 35-60.

382 Michèle - Laure RASSAT, « Agressions sexuelles », Juris-Classeur pénal, Editions du Juris-Classeur,

1995, p. 6.

383 Idées qui continueront à être avancées lors des différentes modifications législatives qui ont suivi. Cf.

infra.

384 Les débats auront lieu pour la première lecture au Sénat, les 27 et 28 juin 1978 et le 11avril 1980 à

l’Assemblée nationale. La deuxième lecture se tiendra le 22 mai 1980 au Sénat et le 24 juin 1980 à l’Assemblée nationale. Enfin, la troisième lecture, les 16 octobre 1980 pour le Sénat et 19 novembre 1980 pour l’Assemblée nationale.

Afin d’alléger les citations, les références adoptées indiqueront la Chambre concernée (AN pour Assemblée nationale, S pour Sénat) ; elles sont suivies d’un numéro indiquant de quelle lecture il s’agit (AN1 : Assemblée nationale, première lecture), et du numéro de page du Journal officiel.

débats parlementaires sont ici particulièrement précieux pour comprendre comment, à partir d’un diagnostic relativement exact de la prise en compte juridique et judiciaire du viol et de l’attentat à la pudeur, les parlementaires ont néanmoins élaboré un régime juridique prolongeant l’existant.

1. Les propositions de réformes des parlementaires

Les parlementaires sont conscient.es de l’enjeu que représente ce texte. Il s’agit, pour Brigitte GROS385, d’une « nouvelle exigence de notre civilisation386 ». Jean CLUZEL

considère lui que « c’est l’honneur du législateur de tenter d’introduire un nouvel esprit

dans la loi afin qu’il ne s’agisse pas d’une banale répression, mais d’un sursaut de la conscience morale et de la véritable reconnaissance des droits de toute personne à disposer librement d’elle-même et à se défendre de toute contrainte sur sa personne ou sa volonté.387 »

Pour autant, les propositions de loi déposées peinent à traduire juridiquement les principes énoncés dans les exposés des motifs ou déclamés par les parlementaires dans les hémicycles.

Outline

Documents relatifs