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b Les parlementaires divergent quant à l’origine des violences sexuelles

Avant de définir l’infraction de viol, les parlementaires tentent de cerner la réalité du viol, en chiffres mais aussi en termes de conséquences pour la victime et pour la société. Les causes du viol et plus largement des violences sexuelles occupent une part importante des débats et les interventions révèlent des analyses politiques différentes, lesquelles trouveront logiquement une traduction juridique différente.

i. Les perceptions du crime de viol et des auteurs de ce crime

Il n’est plus question, comme au XIXe siècle de considérer le viol principalement comme

« une atteinte à l’honneur des familles ». Désormais, le crime est incontestablement une atteinte à l’intégrité de la personne. Nombre d’idées reçues continuent toutefois d’être exprimées dans les hémicycles. Monique PELLETIER425 déclare : « Le viol, mesdames,

messieurs les députés, c’est d’abord la violence. C’est aussi une atteinte à la dignité même des femmes. Crime contre la liberté et l’intégrité physique, il s’inscrit dans l’univers de la peur, et de la domination du plus fort sur le plus faible426. » Cette représentation

ancienne du viol, nécessairement commis avec violence, contre une personne faible perdure. Le sénateur Louis VIRAPOULLÉ427 qualifie le viol de « fléau428 », « d‘acte abominable et intolérable ». « Le viol est un acte atroce, parce qu’il s’accomplit dans un climat de surprise, de lâcheté, d’abus de la force », « Certains criminels se livrent à de véritables coups sur la personne de leur victime », usent « de sévices, tels que les brûlures à l’aide de cigarettes (…) Les criminels les plus habiles, mais tout aussi cruels, menacent leur victime en pleurs, plongée dans le désarroi et le désespoir. Cette intimidation se fait en général par manipulation d’armes, de couteaux en particulier. »

Cette présentation du viol, commis par un inconnu, ne concerne statistiquement qu’un nombre restreint de viols. C’est pourtant le type de viol mis en exergue par le sénateur. Elle ne laisse aucune place à la prise en compte de la contrainte, de l’emprise ou des rapports de pouvoir, sur lesquels l’auteur s’appuie, ou qu’il met en œuvre, pour commettre un viol. Dans les circonstances exposées par le sénateur, la question du consentement se résout plus facilement, la victime n’étant pas suspectée de vouloir ces

425 Devenue ministre délégué auprès du premier ministre, chargé de la famille et de la condition féminine. 426 AN1, p. 325. Je souligne.

427 S1, p.1789.

tortures ou menaces. Car, la défiance à l’encontre des victimes, suspectées de faire de fausses déclarations est également présente dans les débats. Jean MÉZARD429 le

déclare : « Il n’est pas de médecin qui n’ait été en face d’une adolescente hystérique au

plus, affabulatrice au moins, qui vient se plaindre et accuser un proche parent ou un voisin. (…) La preuve de l’absence de consentement restera très délicate à établir, en cas de violence morale bien entendu, mais également en cas de violence physique. » Ces

perceptions expliqueront les tensions ultérieures lors du débat sur les éléments constitutifs (violence, contrainte, surprise) de l’infraction.

Quelques parlementaires développent cependant une analyse plus proche des récits des victimes de viol. Ainsi, Jean CLUZEL430 cite-t-il le poète et intellectuel Pierre

EMMANUEL431 : « ‘L’agression sexuelle est une agression contre l’être’ écrit Pierre

Emmanuel, qui poursuit : ‘Le viol est l’effraction de celui-ci et ses effets peuvent aller jusqu’à la destruction psychique mentale et morale.’ L’écrivain établit ensuite un parallèle entre les tortures et le viol, qui ont pour même résultat de briser la volonté et la personnalité de celles et ceux qui les subissent. » Hélène LUC cite quant à elle des

propos de victimes de viol « La mort, j’en ai eu longtemps le goût, dans la gorge. Cette

mort qui n’existe que pour les femmes et qui, si elle n’est pas physique, est mort quand même432. »

Toutes ces interventions sont unanimes sur la gravité du crime et des conséquences qu’il engendre. Cependant peu d’entre elles décryptent les stratégies mises en place par les auteurs pour atteindre la victime. Au contraire, une sénatrice pense que « Le violeur n’a

pratiquement jamais, au moment de son acte, pleinement conscience de ce qu’il fait.433 »

Pour elle, « Le viol [est] d’abord un problème d’éducation. Il est absolument certain que

les femmes ignorent les risques qu’elles courent et que les hommes n’ont pas conscience des actes qu’ils commettent.434 » La socialisation des hommes - et des femmes - est donc

la cause principale du viol.Quant à l’auteur du viol, un député, soucieux de dénoncer un

429 S1, p.1788.

430 S1, p. 1863 (dernière, et seule, prise de parole lors du vote sur l’ensemble).

431 Pierre EMMANUEL a en outre été cité comme témoin par les parties civiles lors du procès d’Aix. Le

président de la Cour d’assises le refusera, comme il l’a fait pour les autres. Ce qu’il aurait pu dire est consigné dans Viol, le procès d’Aix, op. cit., p. 287.

432 S1, p. 1792. 433 S2, p. 2088. 434 S2, p. 2101.

préjugé raciste, prend soin de rappeler que « Le violeur n’est pas Nord-Africain, le violeur

c’est Dupont-la-joie, le violeur c’est l’homme de la rue.435 »

Ces débats interviennent après une décennie de mobilisations sociales relayées par les médias, pour autant les références culturelles, intellectuelles, susceptibles d’enrichir les échanges, sont peu présentes. Le livre choc de Susan BROWNMILLER436 n’est cité

qu’une fois437. Comme le film « L‘amour violé » de Yannick BELLON438.

A la perception de ce qu’est le viol est liée l’explication des causes de cette forme de violence.

ii. Les causes du viol : les « mœurs », la crise ou la culture d’une certaine « virilité » et la domination masculine ?

Deux grands courants se dégagent pour expliquer l’existence des violences sexuelles. Le premier attribue à la « dépravation des mœurs », au relâchement des liens de famille, à la déstructuration de la société mais aussi à une urbanisation non réfléchie, le développement des violences. Dans cette perspective, « Le viol est un crime contre la

dignité humaine. Mais c’est aussi un fléau social, appelant des mesures de prévention d’ordre social. (…) Le viol, comme toute violence criminelle est favorisé par certaines conditions de la vie moderne liées à l’urbanisation et à l’évolution des mœurs.439 »

Louis VIRAPOULLÉ s’interroge sur le processus qui a conduit au développement des violences : « Mais pourquoi en sommes-nous arrivés là ? … le gigantisme urbain,

l’écrasement des espaces verts par le béton provoquent une véritable ‘dépersonnalisation’ de l’individu (…) Brutalement et au cours des années qui viennent de s’écouler, notre société s’est ‘déstructurée’. Les institutions traditionnelles telles que la famille, l’Eglise, les associations ne peuvent jouer leur rôle rassurant. La déstructuration progressive et permanente de la famille entraîne la disparition des valeurs morales fondamentales. (…) Nous avons ainsi créé une société de « béton » qui secrète la violence, engendre la peur et provoque le viol.440 »

435 Raymond FORNI, AN1, p. 328. 436 Op. cit.

437 Par Raymond FORNI, AN1, p. 327.

438 Film sorti en 1978. Il est mentionné par Brigitte GROS (S1, p. 1792) lorsqu’elle intervient sur les viols

collectifs.

439 Jean MÉZARD, S1, p.1787. 440 S1, p.1789.

Pour Nicolas ABOUT, c’est la « permissivité » de la société qui est en cause : « Les

agressions sexuelles de toutes sortes en matière de mœurs se multiplient, du viol à l’exhibitionnisme. Or, tandis que notre arsenal juridique offre au juge les moyens de lutter contre la dépravation des mœurs, on ne peut qu’être surpris et profondément choqué de constater qu’en règle générale, la société aurait tendance à être par trop permissive. Maints viols sont « correctionnalisés » et leurs victimes tournées en dérision. Face à cette vague d’immoralité, le parlementaire se doit de s’interroger, de réétudier les textes, de les adapter et de veiller par la suite à leur application.441 »

Enfin, Fernand LEFORT inscrit ces violences dans une problématique plus large d’exploitation : « Cette violence, dont le viol et les agressions sexuelles ne sont quelques-

unes des nombreuses manifestations, s’accompagne de la misère - misère matérielle, mais également misère morale et misère sexuelle - qui touche de plus en plus les travailleurs de notre pays, les jeunes, les femmes et culpabilise les individus.442 » Cette

situation,fruit du capitalisme, doit être combattue par une politique de progrès social et de développement économique.

Ces analyses conjoncturelles font fi du passé et de l’histoire, comme si les violences sexuelles n’étaient pas une réalité ancienne, existant dans tous les milieux sociaux, et dans toutes les institutions. La thématique des violences sexuelles est ici utilisée pour notamment contester une évolution sociale liée aux mouvements de mai 1968 et justifier le développement d’une politique répressive.

Le second courant est d’inspiration féministe. Si le mot patriarcat, désignant le système de domination des femmes par les hommes, est peu employé, en revanche la culture machiste, historiquement située est clairement dénoncée par quelques parlementaires. Il pose le viol certes comme l’agissement d’un individu mais en insistant sur la construction sociale qui « s’accommode » des violences sexuelles voire les légitime.

Ainsi,

Le député Raymond FORNI déclare : « Et pendant un siècle, notre droit, notre justice, le

législateur se sont accommodés de ces principes qui bafouent la dignité de la femme et qui méconnaissent cette maladie sociale dont le viol est un symptôme tragique et qui s’appelle virilité443. » Il se démarque des analyses précédentes : « je ne céderai pas pour

441 AN1, p. 328. 442 S1, p. 1793-1794. 443 AN1, p. 327.

ma part à la tentation de ceux qui brandissent le spectacle de la violence pour mieux défendre leur ordre social. (…) » Hélène CONSTANT dénonce quant à elle, le

« conditionnement des esprits par une longue et complexe tradition de réification de la

femme qui fait d’elle, en l’occurrence, un objet sexuel (…) En même temps, une autre tradition, encore plus ancienne fait de la femme la tentatrice, appât présenté à l’homme, conquête ou proie, à la fois convoitée et redoutée, ange ou démon en tout cas, ambiguë que l’on retrouve tout au long de l’histoire des mentalités collectives. Dans la question du viol, on retrouve encore trop souvent cette double tradition.444 »

Robert SCHWINT pointe : « Le viol longtemps admis comme une fatalité de la condition

de la femme, le viol, qui a trop longtemps bénéficié de l’indulgence des juges, voire de la complaisance de l’opinion publique et surtout de l’opinion masculine, va désormais être reconnu pour ce qu’il est réellement, c’est à dire un crime odieux et intolérable, d’abord parce qu’il est une atteinte majeure à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine, ensuite parce qu’il représente dans la société actuelle une atteinte à la dignité collective des femmes. (…) [L’opinion française] a, enfin, saisi toute l’ampleur de ce problème, qui est effectivement un problème de société et qui se concrétise par plusieurs manifestations : la persistance d’une mentalité agressive qui fonde la virilité sur une volonté de possession et de domination, niant l’autonomie de la femme ; l’image de la femme, objet de propriété, symbole d’une puissance ou d’un prestige masculin et diffusée trop complaisamment par la plupart des grands moyens de communication.445 »

Hélène LUC dénonce également l’environnement culturel et visuel qui favorise les violences sexuelles : « Il n’est pas nécessaire de chercher très loin. La représentation

d’une sexualité dégradante et avilissante où la femme et dans une moindre mesure encore, l’homme, sont représentés comme des objets sexuels, s’étale dans tous les kiosques de journaux, sur les affiches de cinéma. L’être humain rabaissé au rôle d’objet sexuel est utilisé pour cautionner n’importe quel produit…446 »

Selon le diagnostic posé et les causes retenues pour expliquer le viol, les solutions proposées dans les propositions de loi varient entre mesures de prévention, d’accompagnement des personnes victimes et répression.

444 AN1, p. 330. 445 S1, p. 1790. 446 S1, p. 1792.

La rédaction issue du processus de négociation parlementaire ne sera d’ailleurs pas à la hauteur des défis pourtant identifiés par les parlementaires. La loi adoptée ne rompt pas avec le droit antérieur quant à l’obligation de caractériser les éléments de violence, contrainte ou surprise, et ne pourra donc conduire à de nouvelles pratiques judiciaires.

§ 2.

LE DROIT RELATIF AUX VIOLENCES SEXUELLES ISSU DE LA LOI DU

23

DECEMBRE

1980

RELATIVE A LA REPRESSION DU VIOL ET DE CERTAINS ATTENTATS AUX MŒURS

La loi du 23 décembre 1980447 est composée de 5 articles. Le premier modifie les articles

du Code pénal définissant le viol et l’attentat à la pudeur, le deuxième aménage le secret professionnel du médecin, le troisième concerne la constitution de partie civile des associations, le quatrième fixe les conditions dans lesquelles un huis clos peut être prononcé et enfin le dernier article protège le droit à l’anonymat de la personne plaignante. Le viol, et par défaut l’attentat à la pudeur, sont légalement définis, les éléments constitutifs de chacune des infractions et leur domaine respectif précisés.

A.

LES NOUVEAUX HABITS D

UN DROIT PENAL ANDROCENTRE

Si lors de la discussion générale, les parlementaires sont prompts à condamner le viol et ses conséquences dévastatrices, leur discours changent au fil du travail parlementaire et lorsqu’il s’agit de définir les infractions et leur répression.

1. Des changements dans la permanence

Si la loi de 1980 est porteuse d’une approche élargie du viol, elle aboutit aussi à une légalisation de la jurisprudence du 19e siècle.

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