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Sous l’appellation d’« Attentats aux mœurs », le législateur regroupe donc des infractions de nature différente, revenant ainsi partiellement à la situation antérieure à la révolution. « Tous ces faits n’ont de commun que leur immoralité179 ». Il s’agit en effet d’une reprise

en main de la « morale sexuelle » dans le prolongement des règles posées par le Code civil. Par la largeur de son spectre, la notion de « mœurs » se prête bien à cette entreprise. Selon le dictionnaire Le Littré, les « mœurs » peuvent être définis comme : « 1. Des habitudes considérées par rapport au bien ou au mal dans la conduite de la vie.

De mauvaises mœurs. (…) Il y a cette différence entre les lois et les mœurs, que les lois règlent les actions des citoyens, et que les mœurs règlent plus les actions des hommes. Montesquieu, Esp. XIX 16. (…) Faire information de vie et de mœurs, se dit de l’autorité judiciaire ou autre qui prend des informations sur la conduite d’une personne. (…)

2. (…) Dans un sens plus restreint, avoir des mœurs, avoir une conduite régulière par rapport aux femmes. (…)

3. Il se dit de la manière de vivre, des usages, coutumes, préjugés, qui varient chez les différents peuples et dans les différents siècles180. (…) »

Selon FAURE181, cette distinction entre les différentes formes d’attentats aux mœurs comble une « lacune » du Code de 1791. Les rédacteurs du Code pénal entendent ainsi lutter contre le « dépérissement des mœurs » ; sous la qualification « d’attentats aux mœurs », on retrouve donc essentiellement les infractions qui menacent la famille et l’autorité paternelle, figure de l’ordre public et non des crimes qui atteindraient l’intégrité des femmes.

b. L’incrimination du « viol » et de « l’attentat à la pudeur »

Selon l’article 331 du Code pénal « Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera

coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe, sera puni de la réclusion. »

Le Code pénal nomme et donc distingue, deux formes de violences sexuelles : le « viol » et « tout autre attentat à la pudeur » ; il les punit de la même peine de réclusion.

Les raisons de cette distinction entre viol et attentat à la pudeur sont obscures et, nous l’avons noté, les travaux préparatoires ne nous éclairent pas sur ce point182.

Par ailleurs, en l’absence de définition de ces notions, le régime juridique est difficile à cerner.

Les éléments constitutifs du viol ne sont en effet pas légalement définis, le code dispose seulement : « Quiconque aura commis le crime de viol, (…) sera puni de la réclusion. » Juridiquement, le terme « quiconque » laisse penser qu’un homme comme une femme peuvent commettre ce crime. Cependant la précision apportée ensuite, spécifiquement pour l’attentat à la pudeur, « (…) tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec

violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe » conduit à penser qu’a contrario le

crime de viol ne peut être commis contre « des individus de l’un ou l’autre sexe » mais seulement, et conformément à une tradition juridique ancienne, par un homme contre une femme.

180 Dictionnaire Littré, Tome 4, p. 3934.

181 LOCRE, op. cit., p. 536 - 537.

182 Cette juxtaposition surprend d’autant plus qu’elle ne tient plus compte des conséquences spécifiques du

viol et particulièrement du risque de grossesse à une époque où la recherche de paternité est en outre interdite afin de préserver « l’intérêt des familles » (et surtout des hommes). Voir Marie-Victoire LOUIS, op. cit., p. 179 et s.

Le Code est en outre muet sur l’élément intentionnel alors que l’ancien droit183 incluait des

périphrases indiquant que l’auteur avait conscience d’enfreindre la volonté de la victime. S’agissant de l’incrimination d’attentat à la pudeur, elle comporte deux indications importantes. L’une est relative à l’élément matériel de l’infraction : l’acte attentant à la pudeur doit être accompagné de « violence ». Cet élément caractérise aussi l’intention d’attenter à la pudeur. La victime, elle, peut être un homme ou une femme.

Quant aux pénalités, une même peine de réclusion est prévue pour les deux formes de violence sexuelle. Dans leurs observations pour le projet de Code criminel, les tribunaux avaient sévèrement critiqué l’insuffisance de cette peine, sans donc être entendus184. Le Code prévoit cependant trois circonstances aggravantes : celle liée à l’âge de la victime, celle liée à la ‘qualité’ de l’auteur et celle liée à la pluralité d’auteurs.

L’article 332 dispose ainsi que « Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-

dessous de l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps. » Les victimes mineures de quinze ans ne sont donc prises en compte qu’à

travers la peine. Les éléments constitutifs des crimes de viol et d’attentat à la pudeur sont les mêmes que pour les victimes de plus de 15 ans. Or, la « force » (la violence) est rarement utilisée lors des viols contre des enfants ; il manquera donc cet élément constitutif pour pouvoir poursuivre l’auteur du crime185.

Selon l’article 333 : « La peine sera celle des travaux forcés à perpétuité, si les coupables

sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l’attentat, s’ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gage, ou s’ils sont fonctionnaires publics, ou ministres du culte, ou si le coupable, quel qu’il soit a été aidé dans son crime pour une ou plusieurs personnes. »

Là encore, les demandes des tribunaux, formulées dans leurs « observations », n’ont pas été entendues. Ni la qualité de médecin ou de pharmacien, ni celle de geôlier, ne constitue une circonstance aggravante de crime de viol ou d’attentat à la pudeur. Cependant, l’aggravation prévue par le législateur186 contre les personnes dont les fonctions impliquent des relations de confiance et/ou de dépendance liée à l’autorité, est intéressante car elle ouvre la voie vers la prise en compte des rapports de pouvoir inhérents à certaines relations, sans encore en tirer de conséquences sur les éléments

183 Cf. supra en introduction. 184 Cf. supra.

185 Ce point sera d’ailleurs critiqué par la doctrine. Voir infra.

matériels du crime. En effet, un agresseur doté d’un tel pouvoir n’a pas nécessairement besoin de recourir à la « force » pour contraindre la victime à des contacts sexuels. Un fonctionnaire, dont la profession est connue de la victime, n’a pas besoin d’arguer de son statut pour disposer d’un pouvoir de fait187, sur lequel il peut s’appuyer pour contraindre la victime.

La juriste Claire BOUGLÉ188 y voit l’amorce « d’une conception renouvelée de la

violence » puisque cette circonstance aggravante « envisage qu’un rapport plus moral que physique puisse faciliter la tâche du coupable. » Dans le même sens, l’historien

Georges VIGARELLO189 considère que « Le code créé des crimes et des délits qui

n’existaient pas, désignant comme violence sexuelle des gestes demeurés jusque-là peu relevés ou ignorés (…). » L’article 331 du Code pénal permet en effet d’incriminer de

nouveaux agissements190. Il reste qu’en l’absence de définition des incriminations et donc

d’une éventuelle rupture juridique de la prise en compte de cette réalité par rapport au droit antérieur, la jurisprudence de l’ancien régime conserve une certaine validité ; les magistrats qui suppléeront au silence des textes puiseront dans ce creuset juridique dont on a vu qu’il ne concernait qu’un nombre infime de violences. Seules les attaques d’une grande violence sont réprimées ; les autres agissements relevant des « relations normales », demeurent donc non répréhensibles même en l’absence de consentement de celle qui en est l’objet. Dans son Commentaire sur le Code pénal191, M. CARNOT,

conseiller à la Cour de cassation est catégorique : « Le viol ne peut se constituer que par

des actes de violence : s’il n’y avait pas eu violence, il n’y aurait eu que fornication. Ce n’est pas d’une force morale, d’une simple séduction, que parle l’article 331, mais d’une force physique employée pour vaincre la résistance. Violenter, en effet, c’est contraindre, c’est obliger de faire par force la chose que l’on exige et à laquelle on se refuse. » Cette

citation est le reflet de l’analyse et de l’expérience des hommes. Il est un discours masculin, majoritaire, traduit en droit, sur cette réalité. Comme l’écrit Jeanne SCHMALL192

187 En 1992, la question de la prise en compte de ce pouvoir se posera à l’identique en matière de

harcèlement sexuel. Voir infra.

188 Claire BOUGLÉ, La Cour de cassation et le Code pénal de 1810, le principe de légalité à l’épreuve de la

jurisprudence (1811-1863), LGDJ, Bibliothèque de sciences criminelles, Tome 40, 2005, p. 185.

189 Op. cit., p. 136.

190 Les attouchements de nature sexuelle ou les violences sexuelles contre les hommes seront réprimés sous

l’incrimination d’attentat à la pudeur par exemple.

191 CARNOT, Commentaire sur le Code pénal, Tome deuxième, Bruxelles, 1835, p. 64. 192 Dans Le préjugé de sexe, cité par Marie-Victoire LOUIS, op. cit., p. 23.

en 1895, « L’influence indiscutée du préjugé de sexe a présidé à l’élaboration de toutes

les lois, et ces lois, à leur tour, réagissent sur l’opinion publique et concourent au maintien du préjugé qui les a inspirés. » Cette opinion n’est cependant pas figée et l’impunité

garantie par le Code pénal principalement pour les agresseurs d’enfants, suscite un mouvement d’opposition des juridictions tendant à condamner les auteurs même en l’absence de violence physique193. Cette pratique judiciaire est d’ailleurs soutenue par la

majorité de la doctrine.

Les lacunes du Code pénal, portant sur la prise en compte des violences sexuelles, seront vite relevées par les auteurs commentant les décisions rendues par les tribunaux dans les revues juridiques et par les professeurs de droit. Elles s’ajoutent aux critiques globales existant à l’encontre du Code pénal194, lequel sera modifié dès 1824. Toutefois, il

faut attendre 1832, puis 1863, pour que le régime juridique des violences sexuelles soit réformé.

B. L

ES MODIFICATIONS APPORTEES PAR LES LOIS DE

1832

ET

1863

Parmi les multiples tentatives de réformes pénales - tentées ou abouties - qui émaillent les 19e et 20e siècles jusqu’en 1980, aucune ne portent spécifiquement sur les violences

sexuelles. Des dispositions relatives à ce sujet sont néanmoins incluses dans des lois générales195 telles que les lois du 28 avril 1832 et du 18 avril 1863.

1. La loi du 28 avril 1832

Après une première réforme en 1824, le projet de mener une révision d’envergure du Code pénal se concrétise. Une commission est mise en place et rend ses conclusions sous la forme d’un projet de loi modifiant la législation pénale en juin 1831. Ce projet comporte 32 articles196.

Là où le Code pénal avait amalgamé, la loi du 28 avril 1832, dite « modificative du Code

pénal », opère des distinctions. Elle distingue entre le viol et l’attentat à la pudeur, entre

193 Voir Claire BOUGLÉ, op. cit., p. 186.

194 Voir Pierre LASCOUMES, Pierrette PONCELA et Pierre LENOEL, Les grandes phases d’incrimination

entre 1815 et 1940, Université Paris X - Nanterre, Ministère de la Justice, 1992, 218 p.

195 Il faudrait en outre tenir compte des modifications qui ont une incidence sur la situation des femmes

victimes. Les changements législatifs portant sur la répression de l’infanticide ou de l’avortement par exemple concernent aussi les femmes violées.

les victimes d’attentat à la pudeur selon leur âge, entre les auteurs selon leur qualité, affinant sur ce point la liste des circonstances aggravantes déjà définies par le Code de 1810. Le législateur répond ainsi à certaines des critiques formulées par la doctrine et aux résistances émanant des tribunaux.

a. La loi du 28 avril 1832 opère une distinction entre différentes formes de

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