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L’ APPARENTE RECONDUCTION DU DROIT ANTERIEUR RELATIF AUX VIOLENCES SEXUELLES DANS UN CADRE GENERAL PEU

MODIFIE

Nombre de commentaires du Code pénal issu des lois de 1992, notent que le nouveau texte s’apparente davantage à « une mise à jour [qu’] à une transformation546 » ou qu’« Il s'inscrit autant dans une logique de continuité que dans une logique d'évolution547 ».

Parlant d’un « code nouveau sans avoir été jeune548 », les juristes regrettent une occasion

manquée. Ce constat est-il valable pour les femmes victimes de violences sexuelles ? Pour répondre à cette question, arrêtons-nous sur certaines dispositions générales du Livre I et spéciales du Livre II, soit parce qu’elles ont une incidence sur la prise en compte ou le traitement des violences sexuelles (§ 1), soit parce qu’elles modifient directement le régime juridique de celles-ci (§ 2).

§ 1. L

ES DISPOSITIONS AYANT UNE INCIDENCE SUR LA PRISE EN COMPTE OU

LE TRAITEMENT DES VIOLENCES SEXUELLES

Tout le Code pénal pourrait être examiné en s’interrogeant sur l’impact que peut avoir chacun de ses articles pour une femme victime de violence. Prenons l’exemple de la responsabilité des personnes morales désormais incluse dans le NCP : celle-ci ne peut pas être recherchée en cas de violences sexuelles sur le lieu de travail549.

Le choix est ici fait de réfléchir à quelques dispositions qui, à première vue, ne concernent pas directement ou spécifiquement les femmes victimes de violences sexuelles. Pourtant, lorsque l’on s’y arrête, il devient patent que leur conceptualisation ou leur régime a un

546 Pierre COUVRAT, « Préface » in Réflexions sur le nouveau Code pénal, sous la direction de Christine

Lazerges, Pédone, 1995, p. 5.

547 Frédéric DESPORTES et Francis LE GUNEHEC, Présentation des dispositions du nouveau Code pénal

(Lois n. 92-683 à 92-686 du 22 juillet 1992) », JCP Gle, n°41, 7 octobre 1992, I 3615.

548 Pierre COUVRAT, op. cit.

549 Sauf à les « faire passer » pour des discriminations, qui, elles, sont prévues. Or, les entreprises ont une

part de responsabilité dans la survenances des VSM : celles-ci sont aussi perpétrées parce que l’organisation les permet ou reste passive lorsqu’elle en est informée.

impact différentié lorsqu’elles s’appliquent à des femmes victimes de violences. Ainsi en est-il par exemple, pour le Livre 1, des articles 122-5 et 122-6 relatifs à la légitime défense (A). Cette cause objective d’irresponsabilité étant un exemple topique de la difficulté du droit à tenir compte de la spécificité des violences vécues par les femmes550. Ainsi en est-

il également de deux dispositions du livre II, portant sur le secret professionnel et la dénonciation calomnieuse, pour leur rôle dans le dévoilement des violences (B).

A. D

ANS LE LIVRE

1

DU NOUVEAU CODE PENAL

,

L

EXEMPLE DES ARTICLES

122-

5

ET

122-6

RELATIFS A LA LEGITIME DEFENSE

En 1987, Véronique Akobé était arrêtée pour avoir tenté d’assassiner son employeur et avoir assassiné le fils de celui-ci. Jeune femme, Ivoirienne sans papier, employée comme « bonne à tout faire » par un couple et « traitée comme une esclave », elle dénonçait les viols collectifs commis par le père et son fils. En janvier 1990, elle fut condamnée par la Cour d’assises des Alpes maritimes à 20 années de réclusion criminelle, assortie d’une période de sûreté des deux tiers. Sans que les viols qu’elles dénonçaient aient été l’objet d’une instruction sérieuse551 ou que, son avocat juge pertinent de fonder sa défense sur

ceux-ci afin, a minima, d’atténuer la responsabilité de Mme Akobé552.

En 2014, Jacqueline Sauvage est condamnée à 10 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son mari553. Elle l’a tué de trois coups de fusil après qu’il l’eut frappée. A

l’audience, elle décrit 47 ans de violences physiques, sexuelles (une de ses filles dit avoir été violée à l’âge de 16 ans), psychologiques, contre elle et ses trois enfants554.

Le chiffre des femmes tuées par leur conjoint555 est publié chaque année. En 2013556, ce

sont 121 femmes557 qui ont été tuées par leur compagnon ou ex compagnon et 25

550 Ou un exemple, parmi tant d’autres, révélateur d’un droit androcentré.

551 Ce jugement est porté après avoir effectué - au sein de l’AVFT - une analyse du dossier pénal dans le

cadre du recours en grâce déposé par celle-ci.

552 Marie-Victoire LOUIS, « Véronique Akobé, une Sarah en France », Le Monde, 8 mars 1996.

553 Elle encourait une peine de réclusion à perpétuité. L’avocate générale avait requis une peine de 12 à 14

ans. La préméditation n’a pas été retenue. Cette peine sera confirmée en appel. L’avocat général de la Cour d’assises de Blois statuant en appel a quant à lui, requis 10 années de réclusion.

554 La veille du meurtre, son fils, lui aussi victime de violences, s’est suicidé. Mme Sauvage l’apprendra en

garde à vue.

555 Dans une acceptation large : compagnon, lié ou non par un pacs ou ex-.

556 Ministère de l’intérieur, Délégation aux victimes, Etude nationale sur les morts violentes au sein du

couple, 2013, 31 pages.

hommes tués par leur compagne, compagnon558 ou ex. Sur les 24 femmes autrices

d’homicide commis sur des hommes, 9 d’entre elles étaient victimes de violences de la part de leur partenaire559, soit 37,5 %. Etaient-elles pour autant en situation de légitime

défense ?

La loi reconnaît le droit de riposter à une attaque injuste, droit qu’elle limite par l’énoncé de circonstances précises. La définition de ces circonstances admet-elle ou exclue-t-elle du « bénéfice » de cette cause d’irresponsabilité, les femmes victimes de violences puis justiciables des délits ou des crimes qu’elles commettent pour y échapper ?

1. La conceptualisation de la légitime défense

« La légitime défense conduit à la possibilité de se dispenser de ce qu’ordonnent les lois

lorsque n’existe aucun moyen de garantir l’intégrité de sa vie ou de ses biens560. » Les

juristes561 soulignent l’universalité spatiale et temporelle de ce droit.

En France, l’ancien Code pénal distinguait entre les crimes ou délits « excusables » (art. 321 à 326) et les situations où la légitime défense était admise (art. 327 et 328). Or, pour ce qui concerne les infractions excusables, l’ACP contenait des dispositions sexo- spécifiques : la castration était excusée si elle répondait à un violent outrage à la pudeur562, le meurtre commis par le mari sur l’épouse ou son amant en cas de flagrant

délit d’adultère563, mais non l’inverse. Le meurtre de l’époux ou de l’épouse par le ou la

558 Un homicide.

559 Cette étude porte sur les homicides commis au sein du couple ; ne sont donc pas comptabilisés les actes

de défense commis en dehors de ce cadre.

560 Eric DESMONS, « Légitime défense (Point de vue philosophique) » in ALLAND Denis et RIALS

Stéphane, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy -PUF, collection Quadrige, 2014, p. 926.

561 Voir par exemple, Corine MASCALA: « Principe d'impunité qu'on a dit sans histoire (dans toutes les

sociétés, anciennes ou modernes, son affirmation se rencontrerait), la légitime défense serait aussi sans frontière : consacrée par toutes les législations, elle appartiendrait à l'ordre immuable des choses. Elle participerait de la loi naturelle puisqu'aucune collectivité, même la plus policée, ne saurait condamner la réaction de sauvegarde qu'elle justifie : Cicéron la qualifiait, dans son Pro Milone, de "non scripta sed nata lex" et Gaius en faisait une composante inéluctable de la "naturalis ratio" ». Juris Classeur pénal, Fascicule 20, Faits justificatifs. - Légitime défense, avril 2012.

562 Art. 325 ACP : « Le crime de castration, s'il a été immédiatement provoqué par un outrage violent à la

pudeur, sera considéré comme meurtre ou blessures excusables. »

563 Art. 324, al. 2 ACP : « Néanmoins, dans le cas d'adultère, prévu par l'article 336, le meurtre commis par

l'époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. » Cependant, dans cette circonstance particulière l’épouse et son

complice peuvent légitimement se défendre ; Selon Emile Garçon, « mais, au contraire, la femme

adultère et son complice menacés de mort par le mari qui les a surpris en flagrant délit dans la maison conjugale, ont le droit de le tuer pour se défendre. La loi, en effet, n’autorise pas le mari à donner la

conjoint.e était en outre explicitement traité ; il était excusable si « la vie de l'époux ou de

l'épouse qui a commis le meurtre [était] mise en péril dans le moment même où le meurtre [avait] eu lieu564. »

En revanche, les articles 328565 et 329566 relatifs à la légitime défense étaient en

apparence neutres. Cependant les situations visées par ces articles recouvrent principalement des actes commis par des hommes567. Il est d’ailleurs notable que les

exemples jurisprudentiels tirés de la reconnaissance de la légitime défense portent très rarement sur des situations de violences faites aux femmes. Elle est pourtant régulièrement invoquée par ces dernières. Le législateur des années 90 a-t-il pris en compte la spécificité du recours à la légitime défense par des femmes victimes de violences sexuelles ou prisonnières d’un contexte de violences graves et/ou répétées ?

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