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b La légalisation de la jurisprudence relative à la nécessaire caractérisation de la « violence, contrainte ou surprise »

Nous l’avons vu, les termes de « violence, contrainte ou surprise » ont été dégagés par la jurisprudence et particulièrement par l’arrêt Dubas de 1857, pour caractériser - et prouver - le défaut de consentement de la victime, le seul refus de la femme n’étant pas suffisant pour l’établir. Dans le prolongement de cette jurisprudence, le législateur de 1980 a conservé ce parti pris tout en portant sa réflexion sur l’opportunité d’inscrire dans le Code pénal, les termes de violence, contrainte ou surprise.

i. La nécessaire caractérisation des circonstances de « violence, contrainte ou surprise » Le rapport TAILHADES 470, le premier à analyser les propositions de loi visant à modifier

la définition du viol, semble juger acquise et fondée la jurisprudence à la matière. Il ne la commente d‘ailleurs même pas. La contestation vient plus tard, lors de la discussion parlementaire. Parmi les trois circonstances constitutives des infractions de viol et d’attentat à la pudeur, celles de « violence471 » ou de « contrainte » ne donnent pas

particulièrement lieu à débat, la circonstance de surprise soulève en revanche des interrogations. Supprimée dans le projet gouvernemental472, rétablie en première lecture

par le Sénat473, non discutée en première lecture devant l’Assemblée nationale, son

opportunité est questionnée par la commission des lois sénatoriale474. Le rapporteur

défend ensuite un amendement de suppression de la notion de surprise devant ses collègues475 sans l’appui du gouvernement désormais favorable à la conservation du viol

par surprise476. Le débat s’engage. MM. PETIT et PILLET soulèvent le risque de fausses

470 Op. cit.

471 La représentation sociale du viol est fortement imprégnée par l’idée qu’un viol implique l’usage d’une

force physique.

472 Amendement n° 15. S1, p. 1841.

473 Sous-amendement n° 36 de la Commission des lois. Le rapporteur TAILHADES défend ainsi le sous -

amendement : « la commission des lois considère, en effet, que la surprise peut, au même titre que la

violence ou la contrainte, permettre d’extorquer son « consentement » à la victime. » S1, p. 1842.

474 Selon la commission « il [est] inopportun de retenir la notion de viol par surprise dont l’interprétation

risque de soulever des difficultés », rapport TAILHADES, op. cit., p. 11.

475 « Je sais bien qu’il existe une telle jurisprudence. Nous avons tout de même pensé que, dans de telles

circonstances, notamment celles qui sont évoquées par la jurisprudence à laquelle je faisais allusion, il convenait de ne retenir que le viol commis par violence ou à tout le moins par fraude », S2, Edgar

TAILHADES, p. 2093.

476 « La notion de surprise me paraît avoir un poids égal à celui de la notion de fraude qu’évoquait M. le

dénonciations en raison du caractère trop vague de la notion : « je crois, pour ma part,

que la notion de surprise est extrêmement vague. C’est, de plus, une notion extensible. La surprise peut s’appliquer à des actes de nature extrêmement différente. Quelle interprétation en donneront les magistrats ou les jurés qui auront à se prononcer ? La surprise peut être légère, elle peut être très grande. Je sais bien qu’il est convenu de considérer l’ensemble des membres du sexe féminin comme de douces agnelles ; elle le sont presque toutes mais pas toutes et cette notion peut donner lieu à des tentatives de chantages. (…) Je crois que les notions de violence et, de contrainte suffisent à tout couvrir. Car même s’il y a surprise, c’est nécessairement avec une certaine contrainte que l’acte est perpétré. La surprise ? Une femme peut toujours prétendre avoir été surprise. Il peut y avoir surprise de ses propres sens ! Et puis, la surprise, elle peut exister au départ et disparaître au fur et à mesure que se poursuivent les rapports imposés par l’homme et acceptés ensuite par la femme ! (…) Il serait dangereux de donner une telle arme aux magistrats qui auront à interpréter ce texte et à toutes celles qui pourraient s’en servir (… ) et de dire : vous avez tenté de me violer par surprise, vous me devez une indemnisation. Là, nous irions trop loin477. » L’antienne est ensuite reprise par M. PILLET: « N’importe qui peut dire qu’il a été surpris, c’est facile, tandis qu’à partir du moment où il y a un acte de violence, où quelqu’un par exemple, s’est introduit dans une chambre où une femme dormait, il s’agit de contrainte et de violence, ce qui est parfaitement défini. » La

misogynie du propos et son caractère infondé478 ne sont pas relevés. La sénatrice, Mme

GOLDET, et son collègue M. CICCOLINI interviennent brièvement pour défendre l’opportunité de la notion479. Le sous-amendement gouvernemental est finalement adopté

et la « surprise » retenue comme un des éléments constitutifs du viol.

En adoptant ces trois termes, les parlementaires reprennent ainsi les éléments constitutifs qui avaient été dégagées par la jurisprudence. Cependant, la nouvelle définition ne se réfère plus explicitement au « défaut de consentement qui résulte de la violence physique

surprise pourrait apparaître comme une condamnation de la jurisprudence, qui a consacré cette notion précisément à l’occasion de la répression du viol. » Mme PELLETIER, S2, p. 2093.

477 S2, Guy PETIT, p. 2093. Je souligne.

478 Un siècle de jurisprudence sur la notion de surprise atteste de la modération et de la constance de la

jurisprudence.

479 « La suppression de la notion de surprise aurait une valeur indicative et conduirait à une application

restrictive de la loi par les magistrats. Or, que voulons-nous ? Nous voulons sanctionner l’acte sexuel lorsqu’il n’y a pas eu volonté réciproque de l’un ou de l’autre partenaire. S’il y a eu, à l’encontre de la volonté de l’un des deux, soit violence, soit contrainte, soit surprise, l’acte est punissable. » S2, M.

ou morale ou de tout autre moyen de contrainte ou de surprise employé par l’auteur »

précédemment énoncé dans les arrêts. De fait, la référence au consentement disparaît de la définition légale du viol.

ii. Les débats autour de la notion de consentement

La question du consentement et de sa preuve est pourtant abordée lors des débats avec un certain clivage entre les parlementaires femmes et parlementaires hommes qui prennent la parole. Député.es et sénatrices insistent sur le caractère central de la question du consentement480 et dénoncent les préjugés auxquels les victimes sont

confrontées481, notamment ceux qui font porter la responsabilité de l’agression sur la

victime482. L’intervention du député ABOUT est plus ambiguë, entre dénonciation de

l’attente particulière vis à vis d’une femme violée et prudence requise en raison du risque de fausses accusations483 : « La notion d’absence de consentement est la plus difficile à

définir car, en cette matière, la plus grande prudence s’impose. S’il est légitime de vouloir poursuivre et punir sévèrement l’auteur d’un viol, il ne faudrait point, sous prétexte de répression, risquer la condamnation d’un innocent. (…) Mais, pour la victime adulte, il en est tout autrement : Michèle Solat, écrivait dans le Monde du 18 octobre 1977 : “La loi ne requiert pas que le volé ait lutté des heures durant contre son cambrioleur. A l’inverse, d’une femme violée, on attend qu’elle prouve sa propre résistance à l’agresseur ! Son défaut de consentement… Le viol est sans doute le seul cas où c’est le sentiment que l’inculpé a de la résistance de sa victime qui définit l’infraction“.484 »

Les parlementaires ne vont cependant pas au delà de ces constats. Ils ne se demandent pas comment déconstruire, en droit, la défiance historique à l’encontre des femmes qu’ils ont pourtant citée et dénoncée. Implicitement, il est acquis que l’auteur qui use de « violence, contrainte ou surprise » recourt à ces moyens en raison de l’absence de

480 Pour Florence d’HARCOURT « l’essentiel dans le crime de viol réside moins dans la réalité de l’acte

sexuel que dans le viol du consentement de la victime. », AN1, p. 327.

481 « On sait aussi que sur la donnée de non-consentement nécessaire à l’établissement de l’acte de viol,

longtemps ont pesé et pèse encore les mentalités d’un autre temps. » S2, Raymonde PERLICAN, p.

2089.

482 « « Il faut que la femme cesse d’avoir à apporter les preuves de sa « non-culpabilité », même si elle a été

imprudente, inconsciente ou simplement ignorante. » S2, Cécile GOLDET, p. 2088.

483 « Risque » qui conduisait le député Pierre RAYNAL, membre de la commission des lois, à exprimer le

souhait que « la protection contre les dénonciations calomnieuses, assez fréquentes en ce genre

d’affaires, soit renforcée. », Rapport n°1400 de François MASSOT, op. cit., p. 22.

consentement de la victime. Si il n’a pas besoin d’y recourir, c’est donc qu’elle était consentante. La preuve de l’une de ces trois stratégies informe à la fois sur l’intentionnalité de l’auteur485 et sur le défaut de consentement. Il est notable que l’arrêt de

la Cour de cassation du 10 juillet 1973486 qui marquait l’amorce d’une approche différente

du consentement ne soit pas cité dans les débats parlementaires alors que d’autres, tels l’arrêt Dubas ou celui du 29 avril 1960, le sont. Les références au consentement ou au non consentement disparaissent du texte voté alors même qu’elles étaient bien présentes lors du débat parlementaire. La diversité des expressions alors utilisées, mentionnant la personne victime (« sans le consentement de la victime », « imposée à autrui », « imposée à une personne contre sa volonté »), témoignent d’une confusion. Ces propositions ne sont en effet pas équivalentes. Dans un cas, le défaut de consentement de la personne concernée est mentionné ; elle est le sujet qui refuse. Dans l’autre, elle est objet des violences et l’accent est mis sur l’infracteur. Cette dernière approche a prévalu, la figeant dans la loi.

Un autre changement doit être analysé : le choix opéré par le législateur d’élargir la définition du viol tout en maintenant l’infraction d’attentat à la pudeur avec violence conduit à une réorganisation du régime juridique des violences sexuelles.

2. La réorganisation du régime juridique des violences sexuelles

Poursuivant le mouvement de séparation des infractions de viol et d’attentat à la pudeur avec violence initié en 1832, le législateur de 1980 fait le choix de correctionnaliser l’attentat à la pudeur et donc de réviser l’échelle des peines. Il introduit par ailleurs des mesures visant à encourager les victimes à déposer plainte.

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