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a Des débats révélateurs de la prégnance des stéréotypes relatifs aux violences sexuelles

La dizaine d’années écoulée depuis le vote de la loi relative à la répression du viol n’aura pas suffit à modifier les perceptions des parlementaires quant aux auteurs de violences sexuelles.

i. Les idées reçues concernant les auteurs de violences sexuelles

A travers les débats parlementaires se dessine une typologie des auteurs de violences sexuelles, distinguant entre ceux sous l’empire d’un moment « d’égarement628 », de

l’alcool629, de la jeunesse630 et donc presque excusables, et les « vrais » violeurs qualifiés

d’« affreux monsieur », devant, eux, être sévèrement punis. Un sénateur considère en outre que ce sont des « malades631 »pour lesquels une solution chirurgicale pourrait être

envisagée632. A aucun moment une référence, ou même une allusion, ne sera faite au

socle culturel qui autorise ces viols et donc à la nécessité de penser une politique qui viserait un changement culturel afin de prévenir ces agressions.

ii. Les idées reçues ou jugements concernant les violences sexuelles

Lors des débats, il est régulièrement fait référence à « l’état des mœurs633 » pour justifier

une répression moindre. Cette invocation traduit une confusion entre les violences

628 Charles JOLIBOIS: « Dans nos métiers, il faut savoir faire preuve d'indulgence quand il s'agit d'un

égarement passager dû à l'alcool ou dû à une grande jeunesse. », Séance du 25 avril 1991, JO n°20 du

26 avril, p. 728.

629 Michel DREYFUS-SCHMIDT parle de « jeunes éméchés » qui peuvent « commettre cette sorte de

crimes, à plusieurs », ibid., p. 726.

630 Michel DREYFUS-SCHMIDT: « Peuvent également commettre un viol des gamins qui ont bu, qui ont

fait' la fête et qui, le lendemain, ne se rappellent qu'à peine ce qu'ils ont fait. », ibid., p. 727.

631 Les psychiatres s’accordent pour dire qu’une minorité d’agresseurs sexuels relèvent d’une pathologie. 632 « Je regrette que, pas une seule fois, on n'impose un traitement à ces personnes qui, la plupart du temps,

sont des malades. Nous avons complètement exclu du débat la pathologie ; ce ne sont pas vingt ou trente années d'emprisonnement qui guériront ces personnes. Je me demande donc si un bon traitement médical et - pourquoi pas, chirurgical s'il le faut ? (…)... surtout si ces malades en font la demande, ne serait pas une solution. C'est peut-être une atteinte à la personnalité ; mais, dans certains cas, il n'existe pas, je crois, d'autre moyen. Je me demande donc dans quelle mesure une réflexion sur des traitements hormonaux ou chirurgicaux ne devrait pas être engagée. » Séance du 25 avril 1991, JO

n°20 du 26 avril, p. 727.

sexuelles et une sexualité634 désirée et librement consentie. Confusion inscrite dans le

droit depuis 1980 et maintenue dans le NCP : ce ne sont pas tant les atteintes imposées à l’intégrité psychologique ou corporelle de la personne qui comptent que les moyens utilisés pour les commettre. Cette approche stéréotypée conduit à distinguer les « vraies » violences et les autres. L’appréciation de la gravité de l’acte se fera principalement en fonction du degré de violence utilisé et du critère de la pénétration635. Les autres

violences sexuelles sont objets d’euphémismes, voire de plaisanteries636. Le délit

d’exhibition sexuelle est ainsi qualifié de « simple problème visuel637 ». Or, cette approche

méconnaît les effets traumatiques de toute atteinte à l’intégrité et conduit logiquement à considérer les atteintes sexuelles contre des mineur.es, commises sans VCMS, comme peu graves. C’est d’ailleurs lors des débats sur les infractions commises contre les mineur.es que les représentations sociales sont les plus explicites.

b. Les droits différentiés des majeur.es et des mineur.es

Contrairement aux lois de 1832, de 1863 et à l’ordonnance de 1945, le NCP n’étend pas les droits des mineur.es à être protégé.es des violences sexuelles. L’article 227-18 du projet de loi prévoie même une diminution des pénalités encourues (deux ans au lieu de cinq ans638) pour les atteintes sexuelles sur mineur.es de 15 ans, ce qui constitue un

message pour le moins inquiétant puisque comme l’indique le ministre KIEJMAN : « La

634 Mot que M. KIEJMAN emploie pour s’opposer à l’amendement de la commission du Sénat visant à

maintenir la répression de l’agression sexuelle à cinq années : « En effet, cette fois encore,

l'amendement de la commission révèle une crainte excessive devant tout ce qui touche à la sexualité. » ibid., p. 739.

635 M. KIEJMAN parle ainsi de « violences superficielles » au sujet des violences sexuelles sans pénétration,

ibid. p. 741.

636 M. KIEJMAN : « Cette importante amende ne s’explique pas par la gravité de l’exhibition, ni même par

la dimension de ce qui peut être exhibé (…) » au sujet des pénalités encourues pour l’infraction

d’exhibition sexuelle. Ibid., p. 741.

637 Par M. KIEJMAN, ministre, ibid. Il est remarquable qu’il prenne pour exemple d’exhibition sexuelle, le

sein de Dorine dansTartuffe révélant là encore une méconnaissance (ou un mépris) de la réalité des

violences. Le délit d’exhibition sexuelle (ancien outrage public à la pudeur) a certes servi de fondement à la condamnation d’une joueuse de ping-pong qui pratiquait son art sein nus dans les années 70, mais 20 ans plus tard les plaintes visent principalement des hommes qui exhibent leur sexe autour des écoles, dans des parcs, les abris bus… Cette exhibition a un impact non seulement sur le sentiment de sécurité des enfants et des femmes mais elle constitue en outre une réelle agression. Ce que le ministre ne devrait pas ignorer.

638 L’article 331 ACP prévoyait des peines des 3 à 5 ans et/ou une amende de 6000 F à 60 000 F. Ces peines

étaient augmentées en cas de circonstances aggravantes. La peine encourue étant alors de 5 ans 10 ans et/ou l’amende de 12 000f à 120 000F.

fixation d’une peine maximale (…) est tout de même une indication de sévérité qui correspond à l’idée que la société se fait de telle ou telle transgression639. »

Le traitement juridique des violences sexuelles commises sur la personne mineure est stratégique. Réfléchir au principe même du consentement, à l’éventualité de leur consentement et à leur liberté de consentir impliquerait nécessairement de poser la même question pour les majeur.es et donc à réformer le droit pénal, ce qui n’est pas d’actualité pour le législateur de la fin du XXe siècle. Aucune distinction ne sera donc faite entre

majeur.es et mineur.es pour ce qui concerne les éléments constitutifs des infractions de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel. La minorité, de quinze ou de dix-huit ans selon les cas, étant seulement une circonstance aggravante. Et, lorsque le sénateur JOLIBOIS propose d’introduire une qualification pénale pour des agressions sexuelles commises sur des mineur.es de quinze à dix-huit ans, le gouvernement, représenté par le ministre KIEJMAN s’y oppose : « Dans l'état actuel des mœurs, je considère qu'un mineur

de dix-huit ans, mais âgé de plus de quinze ans, est censé disposer d'une maturité équivalente à celle d'un adulte pour répondre à une agression sexuelle. En tout état de cause, si un mineur de quinze à dix-huit ans, à titre exceptionnel, disposait d'une maturité insuffisante et se trouvait limité dans sa liberté, par exemple s'il s'agit d'un débile léger, les dispositions protégeant les personnes particulièrement vulnérables en raison de leur âge seraient applicables. Je ne pense donc pas que le cas du mineur âgé de plus de quinze ans doive donner lieu à une répression spécifique aujourd'hui640. » Ce propos est

éclairant : il appartient à la victime de savoir « répondre à une agression sexuelle » et non à l’agresseur de ne pas agresser. Cette inversion des responsabilités, déjà dénoncée, est spécifique aux violences sexuelles. Les sénateurs ne la relèveront pas. Le législateur votera la diminution des pénalités du délit d’atteinte sexuelle commise sans violence, contrainte, menace641 ou surprise sur mineur.es de quinze ans642.

Les mineur.es de quinze à dix-huit ne sont quant à eux, pris en compte que si l’auteur est un ascendant ou une personne ayant autorité ; les autres sont traités comme des adultes.

639 Georges KIEJMAN, Sénat, 1ère lecture, séance du 25 avril 1991, JO 26 avril 1991, p. 731.

640 Op.cit., p. 738.

641 Le terme est ajouté, en cohérence avec la modification des incriminations de viol et d’agression sexuelle. 642 Laquelle est désormais de 2 ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende (5ans d’emprisonnement et

La confusion entre la revendication d’une liberté sexuelle et les violences sexuelles est, ici encore, perceptible. Lorsque le député CLÉMENT dépose un sous-amendement643 afin

de porter la majorité sexuelle à 18 ans, il le fait afin de protéger les 15/18 ans contre eux- mêmes644 et non contre les violences sexuelles. Le débat qui s’ensuit ne distinguera pas

entre le choix qu’un.e adolescent.e peut faire dans le cadre l’exercice de sa liberté sexuelle645 et la négation de sa liberté lorsque cette même personne est confrontée à des

exigences sexuelles qui lui sont imposées. Or, pour agresser un.e mineur.e, point n’est besoin de recourir aux VCMS : le plus souvent, les liens de confiance, voire d’amour filial ou fraternel, suffisent. Les viols, les agressions sexuelles, les attouchements divers pourront donc être imposés et être qualifiés « d’atteintes sexuelles sans violence ». Lorsqu’il est interrogé par le sénateur DREYFUS-SCHMIDT sur la signification du terme « atteinte », le ministre de la justice répond : « Il faudrait beaucoup d'imagination pour

pouvoir vous les décrire et je n'ai pas de notes à cet égard dans mon dossier646. » Cette méconnaissance ne l’empêchera pourtant pas de porter un jugement sur la gravité de celles-ci, qui ne lui paraît pas avérée647.

Par ailleurs, le débat parlementaire sur les infractions sexuelles contre les mineurs est pollué par une homophobie latente. Il est permis de penser que nombre de parlementaires se soucient du sort du mineur sollicité par un homme648 plus que de la

protection de l’enfant, quel que soit son sexe, contre toute atteinte à son intégrité, commise par une personne majeure649.

La détermination des peines encourues est l’autre sujet qui focalise l’attention des parlementaires.

643 Sous amendement n° 290. Assemblée nationale, 1ère lecture, 1ère séance du 20 juin 1991, JO 21 juin 1991,

p. 3511.

644 « Si c’est être archaïque et borné que de vouloir protéger les jeunes gens, en particulier contre

l’homosexualité des adultes, je n’en ai aucune honte. », ibid., p. 3512.

645 Cf. l’intervention de Gilbert MILLET. 646 Sénat, 1ère lecture, séance du 25 avril 1991,

JO 26 avril 1991, p. 739.

647 M. KIEJMAN : « Il s’agit d’atteintes sexuelles qui sont moralement répréhensibles, mais qui

n’impliquent pas de violence, sauf sur les enfants très jeunes, l’absence de consentement pouvant alors être assimilée à une violence morale qu’ils auraient subie. A partir de là, j’enfonce une porte ouverte lorsque je dis que l’état des mœurs a évolué et que le fait que nous réprimions, en l’espèce, les atteintes sans violence doit nous conduire à une relative modération. », ibid. p. 731.

648 Les parlementaires se réfèrent principalement à l’homosexualité. Cf. par ex. Pascal CLÉMENT,

Assemblée nationale, 1ère lecture, 1ère séance du 20 juin 1991, JO 21 juin 1991, p. 3433 et p. 3511.

649 Le Sénat adoptera d’ailleurs en première lecture un article punissant de deux ans et de 200 000 francs

d’amende l’auteur d’atteinte sexuelle sans violence sur la personne d’un mineur de même sexe âgé de plus de quinze ans.

2. La focalisation des débats sur les peines

Le débat sur la peine et sur l’échelle des peines au regard « de la hiérarchie des valeurs » traverse l’ensemble des travaux parlementaires menés. Ceux relatifs aux violences sexuelles n’y échappent pas. Ils se singularisent cependant doublement. D’une part, par des jugements émis sur la gravité des actes commis qui ne justifierait pas les pénalités envisagées. Ainsi par exemple, le ministre KIEJMAN défend une diminution de la répression de l’infraction d’agression sexuelle par le fait qu’il ne s’agit « d’un acte

impudique, imposé à un adulte, auquel celui-ci peut se soustraire650 ».

D’autre part, par le fait qu’une peine de prison ou une peine aggravée ne saurait avoir un effet préventif : « Ce n’est pas l’aggravation proposée qui, du jour au lendemain,

empêchera, comme par miracle, des jeunes gens éméchés de commettre cette sorte de crimes, à plusieurs par exemple (…)651 » .

Pour autant, l’absence de réflexion sur la nature de la peine efficace est notable652. Ce

n’est tout simplement pas un sujet. Rares sont les parlementaires qui le dénoncent653.

Les choix législatifs finalement opérés refléteront en partie les postures et a priori décrits.

B. L

ES CHOIX OPERES

Les changements introduits par le nouveau Code pénal dans la prise en compte juridique des violences sexuelles ne portent pas tant sur la définition des incriminations que sur ce qui est pensé comme une adaptation à « l’évolution des mœurs ». Le régime des pénalités est par ailleurs revu.

650 M. KIEJMAN : « Or le terme « agression » utilisé peut laisser croire qu'il s'agit d'un acte très grave,

alors qu'en vérité il s'agit d'un acte impudique imposé à un adulte, auquel celui-ci peut se soustraire. Je pense donc que la peine de trois ans d'emprisonnement, proposée par le Gouvernement, est tout à fait suffisante. » Sénat, 1ère lecture, séance du 25 avril 1991, JO 26 avril 1991, p. 739. Notons qu’il est

difficile de se « soustraire » à un acte imposé par surprise.

651 Michel DREYFUS - SCHMIDT, ibid., p. 726.

652 A l’exception de quelques interventions relatives aux traitements hormonaux ou chirurgicaux des

agresseurs. V. par ex. celle de Daniel MILLAUD: « Je regrette que pas une seule fois, on n’impose un

traitement à ces personnes qui, la plupart du temps, sont des malades. Nous avons complètement exclu du débat la pathologie ; ce ne sont pas vingt ou trente années d’emprisonnement qui guériront ces personnes. Je me demande donc si un bon traitement médical et, pourquoi pas chirurgical s’il le faut (…) surtout si ces malades en font la demande, ne serait pas la solution. » Ibid., p. 727.

653 Tel que M. Robert PAGÈS: « c’est effectivement la critique générale que nous avons faite à ce texte :

1. Des « attentats aux mœurs » aux « agressions sexuelles »

L’ancien Code pénal regroupait les violences sexuelles sous la dénomination d’ « attentat aux mœurs ». Critiqué par les mouvements féministes en ce qu’il dénie le caractère personnel654 de « l’attentat », cet intitulé est remplacé par les termes « Des agressions

sexuelles » ; ce qui pose une double difficulté.

a. A la recherche de la cohérence de l’intitulé de la section 3 (« Des

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