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a Critique de la prise en compte juridique et judiciaire du viol

On doit aux actions féministes de la décennie écoulée et à leur médiatisation, une convergence d’analyses des parlementaires quant à l’inadéquation des normes en vigueur pour traiter des violences sexuelles. Cette influence est perceptible lors des débats et témoigne de l’efficacité, en termes de sensibilisation et d’éducation, des mobilisations antérieures.

i. Critique de la prise en compte juridique du viol

Dans leurs critiques du régime juridique du viol, les parlementaires mettent tout d’abord en cause les fondements retenus par la jurisprudence pour poursuivre et réprimer ce crime. Ainsi, Robert SCHWINT401 déclare : « Cette législation sur le viol a été jusqu’à

présent plus inspirée par le souci de défendre la réputation masculine ou l’intégrité du patrimoine que par celui de protéger la femme en tant qu’être libre et responsable. » Dans

la même veine, Brigitte GROS402 : « Le Sénat a estimé qu’il fallait aujourd’hui modifier la

législation sur le viol, qui date du début du XIXe siècle et qui a pour principal objectif de protéger, non la femme dans sa dignité mais les familles dans leur honneur et dans leurs biens. »

Il est rappelé ensuite, dans les rapports ou lors des débats, que « le code pénal n’a pas

défini le viol, c’est la jurisprudence qui l’a fait403 », et elle en a donné une définition jugée

trop restrictive : « Les définitions qui ont été données du viol par les commentateurs et la

jurisprudence sont assez restrictives et établissent nettement la distinction entre les crimes de viol et d’attentat à la pudeur avec violence404. » Trop restrictive, la

jurisprudence l’est en ce qu’elle ne permet de poursuivre que les viols commis contre une femme405, et à condition que ce soit un « vrai » viol : « Les juges ne reconnaissaient le

plus souvent le crime de viol que lorsque la victime avait subi de graves sévices, c’est à dire lorsque les éléments de preuve étaient incontestables et que ne pouvait être retenue

401 S1, p. 1790. 402 S1, p. 1791.

403 Rapport MASSOT, n°1400, op. cit., p. 5 : « La loi n’a pas indiqué les aspects que pouvait revêtir cet

élément caractéristique du viol. En principe, celui-ci est constitué par tout commerce illicite avec une femme, obtenu non seulement par contrainte physique, mais également par surprise, fraude ou recours à la violence morale (…) »

404 Ibid.

405 Edgar TAILHADES, : « d’après la jurisprudence qui s’était dégagée, le viol ne pouvait être commis que

à l’encontre de la victime aucune attitude répréhensible « allumant les convoitises des accusés » selon la formule d’un arrêt de 1959406. »

Les perceptions et préjugés des juges sont d’ailleurs relevés : « (…) Aujourd’hui, nous

savons que, dans les affaires de viol, il est presque toujours ordonné une enquête sur la moralité de la victime. … La respectabilité de la victime entrait en ligne de compte presqu’autant que la culpabilité de l’auteur du forfait. Comment dès lors, être surpris de la réticence des victimes à faire connaître officiellement l’agression dont elles avaient été l’objet ?407 » Les avocats n’échappent pas davantage à la critique : « Comme le disait un avocat lors d’un procès pour viol ‘à partir du moment où une femme se trouve dans un bar avec une amie et où elle accepte de discuter avec deux hommes, elle sait bien comment cela va se terminer. Ces femmes-là ne sont pas respectables’408. »

L’appréciation par les juges du comportement des femmes lors du viol et plus particulièrement de la question de leur consentement est également l’objet d’interventions réprobatrices, dont certaines méritent d’être reproduites :

- « Au vrai, n’était-il pas fâcheux que, selon une jurisprudence consacrée, la victime d’un

viol soit contrainte d’administrer la preuve de son défaut de consentement ? C’est précisément ce défaut de consentement qui était exigé. N’était-il pas fâcheux et même scandaleux que cette preuve doive être rapportée, de même que la preuve des actes de violence dont la victime avait souffert ? Si on analyse consciencieusement cette même jurisprudence, on est obligé d‘affirmer qu’une véritable présomption de culpabilité pesait en quelque sorte sur la victime. Pour que le viol fût reconnu, il fallait que la trace de sévices graves existât. (…) la victime était susceptible d’avoir (…) une part de responsabilité (…) Faire de l’autostop (…) tout cela constituait pour la femme une sorte de consentement et presque d’invite409. »

- « La législation précédente faisait de la femme une coupable présumée ayant à faire la

preuve de son innocence face à son agresseur, et cela contrairement à tous les principes de notre droit. Elle entraînait vis à vis des victimes, une présomption de « co-culpabilité » ou, tout au moins de « partage de la faute », faisant du viol, une violence pas comme les autres410. »

406 Rapport MASSOT, n°1400, op. cit., p. 5. 407 Edgar TAILHADES, S1, p. 1786. 408 Hélène LUC, S1, p. 1793. 409 Edgar TAILHADES, S1, p. 1786. 410 Jean CLUZEL, S1, p. 1863.

- « Comment admettre que les victimes soient contraintes de faire la preuve, d’apporter

l’élément qui évitera que l’on croie au consentement ou au plaisir partagé ? Comment accepter qu’elles soient obligés de justifier de leur passé, d’expliquer leur vie dans ce qu’elle a de plus intime et de plus personnel411 ? »

Les parlementaires n’arrêtent pas là leurs critiques qui portent également sur le traitement judiciaire du viol.

ii. Critique du traitement judiciaire du viol

Partant du faible nombre de plaintes pour viol et de condamnations et ce alors même que « Le rapport Peyrefitte nous révèle qu’en l’espace de quelques années, le nombre

d’agressions contre les femmes a doublé. Nous constatons qu’elles se développent comme la violence elle-même412 », les parlementaires mettent en cause, l’accueil des

services de police : « beaucoup à dire (…) sur la nature de l’accueil réservé aux victimes

qui s’approchent, avec l’angoisse au cœur, du seuil d’un commissariat de police. Quels sourires souvent, quels quolibets ponctuent la déclaration qu’elles font!413 ». Cet accueil

défaillant serait la cause principale du faible nombre de plaintes déposées : « Aujourd’hui,

sur 60 viols commis chaque jour, 5 seulement sont instruits. Pourquoi ? Parce que les femmes n’osent pas aller porter plainte en franchissant les portes du commissariat. Cela les impressionne414. »

C’est toutefois la pratique judiciaire des disqualifications qui retient le plus longuement les parlementaires, en écho des dénonciations féministes lors des procès au cours desquels cette correctionnalisation était contestée. « Selon le ministère de l’intérieur, 1489 plaintes

ont été déposées en 1976 et, sur 1589 plaintes pour viol en 1975, 1309 ont été jugées en correctionnelle pour coups et blessures ou attentats à la pudeur. Mais ces chiffres ne représentent qu’un infime partie des agressions.415 » Le député FORNI le

dénonce :« Comment admettre, en effet, que ce crime soit systématiquement transformé,

411 Raymond FORNI, AN1, p. 328. 412 Brigitte GROS, S1, p. 1791. 413 Edgar TAILHADES, S1, p. 1786. 414 Brigitte GROS, S1, p. 1792.

415 Hélène LUC, S1, p. 1792. Ou : Edgar TAILHADES, (S1, p. 1785). « Les pratiques de disqualification

des faits, dont trop de parquets étaient les auteurs, conduisaient les coupables de viol à n’être poursuivis devant un tribunal correctionnel que pour de simples coups et blessures ou pour outrage public à la pudeur. » Robert SCHWINT : « La plupart du temps les viols sont disqualifiés », S1, p.

modifié, pour être évoqué devant les juridictions correctionnelles entre un dossier de conduite en état d’ivresse et une affaire d’outrage à agent de la force publique ?416 » Il est

même soutenu par la secrétaire d’Etat qui condamne, elle aussi, cette réalité : « Odieux

est le viol, mais toute aussi odieuse (…) l’attitude de notre société (…) Jusqu’à un passé récent, le viol pourtant qualifié de crime par le code pénal, était poursuivi comme délit de coups et blessures volontaires, et, de fait, restait peu sanctionné417. »

Pour certains cette tendance est récente et s’explique par l’humanisme des juges qui répugnent à condamner trop sévèrement des auteurs primo délinquants : « Au cours des

années qui viennent de s’écouler, la tendance du pouvoir judiciaire a été, tout au moins dans un certain nombre de cas, de disqualifier l’acte criminel que constitue le viol en délit. Il y avait là, de la part des juges - et ce serait injuste de ne pas le souligner - le désir d’humaniser la peine, de donner aux délinquants, notamment aux plus jeunes, une chance. (…) La recrudescence des agressions sexuelles nous conduit à rappeler au pouvoir judiciaire que de tels faits, commis tant sur la personne de la femme que sur celle de l’homme, sont des actes criminels qui doivent être soumis à la seule juridiction compétente à savoir la cour d’assises418. »

Cette analyse est à rapprocher de celles qui expliquent la correctionnalisation par la gravité de la peine encourue. Devant une telle sévérité, les magistrats seraient enclins à poursuivre sous une autre qualification et les jurés à acquitter : « Actuellement, dans notre

législation, le viol est puni de dix à vingt ans. Que se passe-t-il ? On correctionnalise. Ce sont les magistrats professionnels eux-mêmes qui, considérant que la peine serait trop forte, préfèrent que ce soit la juridiction correctionnelle qui statue et qui prononce des peines d’emprisonnement de un à cinq ans, par crainte que le jury populaire ne préfère répondre non à la question de la culpabilité, même si elle est évidente, de manière précisément à ne pas prononcer une peine trop forte. Dès l’instant que la pénalité est excessive, on atteint le but inverse de celui qui est recherché. Voilà ce qu’il faut retenir419. »

Rares sont les interventions qui voient dans les correctionnalisations, le signe de la faible gravité accordée à certains viols : « La pratique de la correctionnalisation provient du fait

que nombre de parquets, pour ne pas dire la totalité, dans des affaires qu’ils considéraient

416 Raymond FORNI, AN1, p. 328. 417 Monique PELLETIER, S1, p. 1788. 418 Louis VIRAPOULLÉ, S1, p.1789. 419 Félix CICCOLINI, S2, p. 2095.

comme n’étant pas excessivement graves, ont pris l’habitude de ne retenir pour faits de viol que des faits d’outrage public à la pudeur ou de coups et blessures volontaires420. »

Ces constats sont faits, sans que l’illégalité de ces disqualifications ne soit spécifiquement notée421. Ils occuperont une place importante lors des débats tant sur la définition du viol

que sur les peines à adopter ; le risque de revenir à la pratique des disqualifications étant invoqué comme argument définitif pour réformer les peines encourues pour ces infractions.

Enfin, autre « lacune du système actuel », les parlementaires reprochent aux magistrats la faiblesse des peines prononcées, qui sont en partie seulement la conséquence des correctionnalisations. Le décalage entre la peine encourue et la peine prononcée est souligné422, chiffres à l’appui : « Je ne saurais manquer de rappeler qu’au cours des

dernières années, sur environ 300 condamnations prononcées annuellement pour viol, on dénombre difficilement une ou deux peines de réclusion criminelle à perpétuité, de 140 à 150 peines de 5 à 10 ans de réclusion et de 150 à 160 peines inférieures à 5 ans, c’est à dire la moitié423. » Ce constat servira également d’argument pour diminuer les pénalités

prévues par le Code pénal.

Le bilan de la prise en compte juridique et judiciaire du viol et de l’attentat à la pudeur est, on le voit, accablant et peu nuancé. Aucune référence n’est faite aux courants - doctrinaux et jurisprudentiels - plus progressistes qui avaient amorcé des changements importants424. S’agit-il d’une simple méconnaissance ou d’un choix de ne pas s’appuyer

sur ceux-ci pour ne pas être obligé de justifier les solutions, par comparaison plus timorées, retenues par le législateur ? En effet, le régime juridique finalement adopté sera moins favorable aux victimes de viol que certaines jurisprudences déjà présentées. L’analyse des représentations qu’ont les parlementaires des violences sexuelles permet de mettre à jour les résistances dont ils sont porteurs.

420 François MASSOT, AN1, p. 323.

421 A l’exception de cette mention : « Cette pratique de la correctionnalisation, qui est le plus souvent

illégale, est particulièrement répandue en matière de viol. Elle a été publiquement dénoncée à l’occasion d’une affaire récente concernant le viol de deux campeuses en 1974… » Rapport d’Edgar

TAILHADES, Commission des Lois du Sénat, n°442, p. 3, p. 7.

422 « Ce qui ne pouvait recevoir une solution satisfaisante, c’est le décalage existant entre, d’une part, la

rigueur des textes pénaux prévus à l’époque et d’autre part, la légèreté de la sanction frappant les coupables de viol. » Edgar TAILHADES, S1, p. 1785.

423 Raymonde PERLICAN, S2, p. 2090. 424 Cf. supra.

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