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b Les incidences du changement sémantique de

La circulaire658 commentant le nouveau Code pénal indique que « comme cela a été très

clairement indiqué au cours des débats parlementaires, l’expression ‘atteintes sexuelles’ doit être considérée comme étant rigoureusement synonyme de celle d’attentat à la pudeur. » Selon la circulaire, « ce renouvellement du vocabulaire s’explique par la volonté de désigner les agissements concernés de manière plus claire et plus expressive. »

Simple changement de langage donc selon ce texte, « code moins pudibond » qui

658 Circulaire du 14 mai 1993, commentant les dispositions de la partie législative du nouveau Code pénal

« remplace l’ancien terme très archaïque ‘d’attentat à la pudeur’659 » par celui

« d’agression sexuelle », les incidences du changement de terminologie ont été peu commentées660. Quant elles n’ont pas été purement occultées661. Pourtant, passer de la

notion « d’attentats aux mœurs » à celle « d’agressions sexuelles662 », de celle

« d’attentat à la pudeur » à « des autres agressions sexuelles », n’est pas anodin663.

Lors des débats, les parlementaires ne se sont pas interrogé.es sur les implications de ces modifications. Lorsque celles-ci ont été évoquées, c’était pour être immédiatement justifiées par « la modernité ». Or, une analyse plus approfondie des changements opérés aurait dû être menée en raison des conséquences prévisibles de ce changement sémantique. S’appuyant sur un dictionnaire, le conseiller référendaire à la Cour de cassation, Luc-Michel NIVÔSE, s’y attache. Il interroge le sens du mot « sexuel »664

employé. Il dénombre trois sens : le sexe biologique, le sexe se rapportant à la sexualité et le sexe tel qu’il est envisagé par la psychanalyse. Selon lui, la deuxième définition doit être privilégiée. Elle vise « les comportements directement liés à la satisfaction des

besoins érotiques, à l’amour physique, ; c’est la sexualité qui prend en compte l’acte sexuel, l’instinct, le désir, le plaisir sexuel, les relations ou pratiques sexuelles, normales ou déviantes… » L’on retrouve ici la confusion entre sexualité et violences sexuelles665.

Par ailleurs, le rejet du terme « pudeur666 » vient renforcer cette focalisation sur

« l’organe ». François - Louis COSTE note que « le terme [de pudeur] faisait fonction de

référence symbolique à la notion d’intimité dans laquelle peut s’instaurer une relation consentie donc partagée. » En note de bas de page, il ajoute : « Le partage, pour être équitable, supposant qu’il soit fait entre égaux667 ». En effet, la notion de pudeur renvoie à

659 Henri LECLERC, Le nouveau Code pénal introduit et commenté par Henri Leclerc, Seuil, collection

Points - Essais, 1994, p. 138.

660 V. cependant : François - Louis COSTE, « Le sexe, la loi pénale et le juge ou évolutions d'un principe

séparateur instituant l'altérité », D. 1997, chron. 179.

661 Dans son commentaire général du « nouveau » droit pénal spécial, Michel VÉRON note simplement :

« Et si le législateur de 1992 a préféré la dénomination d’ « agression sexuelle » à celle « d’attentat à

la pudeur avec violence », il n’a pas pour autant modifié le contenu de l’incrimination. » Op. cit. p. 2.

662 V. en outre pour une analyse de ces termes, le chapitre 1.

663 Je ne traite pas ici de « l’outrage public à la pudeur » qui devient « exhibition sexuelle ».

664 Luc-Michel NIVÔSE, « Des atteintes aux mœurs et à la pudeur aux agressions sexuelles », Dr. pén.,

Chron. n°27, mai 1995, p. 2.

665 Cf. supra en introduction.

666 Qualifié « euphémisme aussi hypocrite que vague » par Mme LIENEMANN. Cf. Assemblée nationale,

1ère lecture, 1ère séance du 20 juin 1991, JO 21 juin 1991, p. 3431.

une appréciation sociale et/ou subjective de l’intimité, laquelle ne se réduit pas à un attouchement sexuel668. La notion d’agression sexuelle quant à elle, désigne une atteinte

localisée ; le « sexe » devient le critère pour déterminer si il y a ou non infraction. « Les

nouvelles dispositions légales [doivent être considérées] comme exclusivement liées au sexe, donc à tenir pour étrangères aux agressions ou atteintes sexuelles, tout geste dans lequel aucun sexe ne serait en cause669. »

Légalement donc, la nouvelle dénomination entraîne une restriction du champ des agissements répréhensibles et donc des droits garantis par le Code pénal. Citons, à titre d’exemple, la Cour d’appel de Riom qui déclare que : « L'atteinte sexuelle suppose

l'intervention d'un sexe mâle ou femelle, et une fesse, une cuisse, un bras, un cou ou la main ne sauraient être assimilés à un sexe670.» En conséquence, elle déqualifie les

agissements dénoncés en «violences volontaires». Pourtant, dans cette affaire, il ressortait clairement que les circonstances des agressions étaient de nature sexuelle et qu’elles portaient atteinte à l’intégrité, notamment sexuelle des victimes671. On peut alors

déduire que le droit à l’intégrité sexuelle n’est garanti par le Code pénal que dans la mesure où le « sexe » anatomique est l’objet des attouchements.

Cette lecture est confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Reims dans lequel les juges déclarent : « Le code pénal entré en vigueur le 1er

mars 1994 a supprimé la qualification d'attentat à la pudeur et créé celle d'agression sexuelle; cette modification ne saurait être prise pour une simple modernisation de vocabulaire, ni l'expression d'attentat ni celle de pudeur n'étant tombées en désuétude; elle traduit la volonté du législateur de tenir compte de l'évolution des mœurs pour désigner avec précision les seuls agissements répréhensibles. (…) En incriminant les agressions sexuelles, elle a envisagé les atteintes objectivement portées au sexe d’autrui (…)672. »

Plus fondamentalement, ce changement sémantique comporte le risque - ou témoigne - d’un glissement vers la séparation du corps (ici le « sexe ») et de la personne. Or, les violences sexuelles ne sauraient être réduites au seul contact sexuel interdit. Elles

668 Elle peut comporter par exemple des attouchements sur différentes parties du corps qui peuvent être

vécus comme une intrusion inacceptable de l’espace intime.

669 François - Louis COSTE, op. cit., p. 183.

670 François KOCH, « Le maire peloteur et le magistrat clément », L’express, 6 mars 1997.

671 Ie. : contact sur les cuisses et baisers imposés au moment où le maire-employeur parle du renouvellement

d’un contrat de travail, attouchements sur les fesses d’une autre salariée pendant qu’elle nettoie les vitres.

constituent une effraction de la personne et non de son seul corps673. Elles atteignent

l’être, et elles l’atteignent spécifiquement en fonction de l’histoire individuelle de la victime. Circonscrire l’agression sexuelle à un attouchement sur le sexe est donc une fiction législative. Cette scission sert le discours de négation de l’impact des violences sexuelles et efface la dimension systémique et politique674 des violences sexuelles.

Par ailleurs, dissocier le « sexe », de la personne, permet de traiter le premier en objet, pour lequel les transactions sont possibles. C’est donc une fragilisation du principe de l’indisponibilité du corps avec les incidences que cela peut avoir pour le régime juridique de la prostitution par exemple. Il est donc manifeste que les modifications votées ne sont pas de simples opérations de « modernisation » mais le signe d’un changement politique dans la prise en compte des violences sexuelles, d’autant plus notable que, pour le reste, le législateur s’est inscrit dans la continuité.

2. Les autres modifications introduites par la réforme du Code pénal

Guère novateur quant aux incriminations existantes, le nouveau Code pénal modifie en revanche la répression de celles-ci.

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