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Les faits qui donnent lieu à cette jurisprudence sont particuliers : un soir, Dubas se rend au domicile de Laurent, son camarade de travail qu’il vient de laisser au bistrot avec « un

second broc de vin, avec la pensée de s’introduire près de la femme Laurent, en se faisant passer, au milieu de l’obscurité, pour Laurent lui-même. (…) Parvenu dans la chambre de la femme Laurent, jeune femme mariée225 depuis seulement quatre mois et d’une conduite parfaite, il se dirigea vers le lit et souleva la couverture. (…) Que Dubas se plaça tout aussitôt sur la femme et que celle-ci, croyant avoir affaire à son mari, se prêta à ce qu’il voulut226, mais que bientôt, concevant un doute subit, elle s’écria en le repoussant qu’il n’était pas son mari. (…) Attendu qu’il résulte de ces faits que c’est à l’aide de manœuvres ayant pour but de se faire passer pour Laurent, que Dubas s’est introduit dans le domicile, dans la chambre et dans le lit de la femme Laurent, et est parvenu, profitant du demi-sommeil dans lequel cette jeune femme se trouvait, à abuser de sa personne et que cette dernière était si éloignée de consentir à l’acte de Dubas, que, concevant du doute sur son identité avec Laurent, son mari auquel elle croyait se livrer, elle le repoussa aussitôt en s’écriant qu’il n’était pas son mari. (…) » La Cour de cassation

casse l’arrêt rendu par la Cour impériale de Nancy, qui avait débouté la plaignante, pour violation des dispositions de l’article 332 C. pen. Au visa de cet article, la Cour de cassation déclare solennellement :

« Attendu que le crime de viol n’étant pas défini par la loi, il appartient au juge de

rechercher et constater les éléments constitutifs de ce crime, d’après son caractère spécial et la gravité des conséquences qu’il peut avoir pour les victimes et pour l’honneur des familles.

Attendu que ce crime consiste dans le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise, pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l’auteur de l’action. »

225 Je souligne. La prudence des magistrats de la Cour de cassation est notable et révélatrice de leur méfiance

à l’encontre des victimes. Ici, les éléments attestant de la « moralité » de la victime sont soigneusement relevés : jeune mariée, de conduite parfaite, elle était dans un demi-sommeil, s’est écriée et l’a physiquement repoussé.

226 Au « devoir conjugal » donc. L’atteinte ici réprimée est aussi l’atteinte à la propriété du mari, le seul

L’attention est ici portée sur les circonstances qui entourent « l’action », qui si elles ne relèvent pas de la violence physique, sont constitutives d’un stratagème mis en place par l’auteur pour atteindre son but ; la preuve du dit stratagème emportant la preuve de l’absence de consentement de la victime. Par ailleurs, la Cour s’appuie sur d’autres valeurs pour justifier cette nouvelle acception de la violence requise : « son caractère

spécial et la gravité des conséquences qu’il peut avoir pour les victimes et pour l’honneur des familles ».

Ce choix interprétatif de la Cour de cassation ne fait pas l’unanimité parmi les juristes. P. GRAND, conseiller à la Cour impériale de Metz, appelée à statuer sur renvoi après la décision de la Cour de cassation, critique la position de la Cour suprême227. Il s’appuie

principalement sur la violation du principe de légalité, « règle fondamentale du droit criminel français » et considère que la « vérité juridique » est du côté de la décision censurée de la Cour de Nancy. « Les actes que la législation pénale n’atteint pas

formellement ne sauraient tomber sous les coups de la jurisprudence sans que renaissent les abus connus de nos pères et bien autrement graves que ceux qu’elle prétendrait empêcher228. » Selon lui, seule la caractérisation de la violence prouve « indubitablement

la résistance ». Or, « Si l’erreur pouvait être assimilée à une violence morale, on ne

saurait plus où s’arrêter ; car une fois le moment d’égarement passé, bien des femmes qui n’auraient pas su ou voulu défendre leur honneur alléguerait une prétendue erreur pour excuser leur faute, ou quelquefois même pour se venger. Le législateur a exigé qu’il y eût violence229, non seulement parce qu’elle aggrave l’attentat, mais encore parce qu’elle prévient les inconvénients et le scandale d’une contestation sur le consentement230. » L’on retrouve ici la méfiance pluriséculaire à l’encontre des femmes ;

pour ne pas avoir à s’interroger sur l’existence du consentement, il est présumé. La responsabilité de l’acte et la preuve de l’absence de consentement sont alors transférées sur la victime qui doit résister, ou - c’est l’apport contesté de la jurisprudence Dubas -, être ou avoir été rendue, dans l’incapacité de le faire.

227 GRAND P., Dissertation publiée au Journal du palais, 1857, p. 887-892. 228 Op. cit., p. 890.

229 La dite violence doit en outre être exercée contre la personne même de la victime et non contre des objets.

Ainsi, une effraction du domicile (de nature à sidérer) n’est pas constitutive de « violence ».

P. GRAND insiste : le législateur a entendu se prémunir de l’éventualité de fausses déclarations en exigeant que l’usage de violence fût prouvé. Il cite à l’appui de son analyse les arrêts rendus dans ce sens et la doctrine en faveur de sa lecture du droit231.

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