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a La loi du 28 avril 1832 opère une distinction entre différentes formes de violences sexuelles

i. La distinction entre le viol et l’attentat à la pudeur

L’article 77 de la loi de 1832 modifie les articles 331197 et 332 du Code pénal. Concernant le crime de viol, le nouvel article 332 C. pen. est ainsi rédigé : « Quiconque aura commis

le crime de viol, sera puni des travaux forcés à temps. Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine des travaux forcés à temps. »

Puis, concernant l’incrimination d’attentat à la pudeur : « Quiconque aura commis un

attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe, sera puni de la réclusion. Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps ».

Cet article ne donne lieu à aucune observation ou amendement. Le législateur ne tente pas de définir ces notions en dépit des difficultés rencontrées par les tribunaux. Les deux incriminations sont seulement distinguées par leur peine : augmentée pour le crime de viol, elle reste inchangée pour celui d’attentat à la pudeur.

Adolphe CHAUVEAU, dans son commentaire de la loi de 1832, écrit à ce sujet : « Le

Code pénal plaçait sur la même ligne le viol et l’attentat à la pudeur (…) Nous pensons que c’est avec raison que la loi nouvelle a attribué un rang différent à ces deux crimes, qui sont réellement distincts, soit par leur caractère, soit par l’immoralité qu’ils supposent, soit enfin par leurs résultats. (…) Le viol a pour but la jouissance sexuelle : si l’outrage commis même avec violence a un autre but que le viol, s’il est commis dans un autre dessein, ce n’est plus une tentative de viol, c’est un attentat à la pudeur198. » La

197 L’article 331 vise les attentats à la pudeur commis sans violence. Voir infra.

198 Adolphe CHAUVEAU, Code pénal progressif ; commentaire sur la loi modificative du code pénal, Paris,

« jouissance sexuelle199 », critère retenu pour identifier la spécificité du viol, emporte le

risque d’une grossesse hors mariage et donc, pour la femme, la mise au ban de la société et pour la famille, son déshonneur, ce qui justifie une aggravation de la répression.

ii. La création de l’attentat à la pudeur sans violence sur un enfant de moins de onze ans

L’article 76 de la loi crée une nouvelle infraction : « Tout attentat à la pudeur, consommé

ou tenté sans violence, sur la personne d’un enfant de l’un ou l’autre sexe, âgé de moins de onze ans, sera puni de la réclusion. »

Soumis à la Chambre des pairs, cet article ne suscite aucune observation, à l’exception de M. GAILLARD-KERBERTIN qui intervient pour défendre son amendement afin que l’âge soit porté à 15 ans200. Il le justifie ainsi : « On a voulu punir l’effet de la séduction si

facile sur un individu qui n’est pas à même d’apprécier toute l’immoralité de l’action à laquelle on lui propose de se soumettre. Eh bien ! Cette séduction n’est-elle pas à peu près aussi à craindre sur un enfant au-dessous de 15 ans que par celui au-dessous de onze ans201 ? » Le garde des sceaux s’y oppose en usant d’un argument surprenant de la

part d’un ministre de la justice, garant du principe de légalité, puisqu’il estime que, dans la pratique, les attentats à la pudeur commis sans violence sur des enfants sont, malgré l’absence de texte, réprimés : « Le Code pénal punissait l’attentat à la pudeur commis

avec violence ; mais lorsqu’il s’agissait d’un attentat commis envers un enfant, il n’est pas vrai de dire qu’il y eût impunité, alors même qu’il n’y avait pas violence réelle, parce que l’enfant n’était jamais considéré comme ayant donné son consentement, et les jurés se montraient très sévères contre le coupable d’un tel attentat, alors même qu’ils supposaient qu’il y avait consentement de la part de l’enfant202. »

Avant de conclure par un argument d’autorité : « (…) pour donner à la loi plus de fixité, il a

fallu indiquer l’âge au-dessous duquel la violence serait toujours supposée sur la personne de l’enfant, et cet âge a été fixé à onze ans. Je crois que vous devez vous arrêter à cette fixation. »

L’article est salué par A. CHAUVEAU qui rappelle que « cette disposition remplit une

lacune longtemps signalée dans le Code pénal. » Sous forme de réponse au Garde des

199 La critique de cette conception du viol sera au cœur des revendications du mouvement féministe. Voir

infra.

200 Ce seuil correspondait en outre à une attente des tribunaux et des juristes. Cf. LASCOUMES, PONCELA

et LENOEL, op. cit., p. 39.

201 A. CHAUVEAU, op. cit., p. 291. 202 Ibid., p. 291.

sceaux, il rappelle au contraire que « le crime restait sans répression. A la vérité,

plusieurs Cours, révoltées de l’impunité d’un crime aussi grave, avaient tenté de le faire rentrer dans les termes de la loi, sous prétexte qu’il y avait violence morale. Mais le texte de la loi résistait à cette interprétation, et il était difficile de la faire adopter par le jury : la Cour de cassation avait d’ailleurs décidé que ce n’était pas la violence morale que punissait l’article 331 (…) »

G. VIGARELLO souligne l’importance de cette modification : « L’intérêt historique du texte

de 1832 est tout entier dans cette possibilité, celle d’étendre le territoire de la violence en visant une brutalité non directement physique (…)203 ». Il reste que l’extension du « territoire de la violence » est limitée aux enfants de moins de 11 ans. Et Laurent

FERRON le relève « La ‘non violence’ dans un crime sexuel est une idée neuve dans le

droit contemporain, qui nécessite la fixation d’un âge204. » L’âge fixe la frontière entre

deux groupes. Le changement de la prise en compte, par le droit, des atteintes sexuelles à l’encontre des enfants n’est en effet pas nécessairement le signe d’un changement de regard sur les atteintes sexuelles contre les femmes. Le débat sur l’âge le révèle : jusqu’à quel âge est-on « innocent », « insoupçonnable » ?

Les droits ainsi accordés, qui pallient des situations d’impunité évidemment insupportables, ne servent-ils pas en outre à repousser une autre analyse des violences sexuelles qui mettrait la question du consentement positif et libre au cœur de leur définition205 et concernerait alors les femmes ?

Cette disposition ne porte par ailleurs que sur les attentats à la pudeur. La question de l’exclusion du viol doit dès lors être posée. Le viol reste, même pour les enfants, et en dépit de la conscience des rapports de pouvoirs pouvant exister206, inextricablement

associé à la violence physique. La crainte d’avoir à juger des « affaires » où les preuves matérielles (les traces physiques de coups notamment) feraient défaut l’emporte. L’admission d’autres modes de preuve conduirait à donner un statut différent à la parole de la victime et dès lors à remettre en cause toute la construction du régime juridique des violences sexuelles.

203 G. VIGARELLO, op.cit., p. 156.

204 Laurent FERRON, La répression pénale des violences sexuelles au XIXe

siècle. L’exemple du ressort de la Cour d’appel d’Angers, thèse, Angers, 2000, p. 44.

205 Question centrale qui continue d’être au centre des réflexions et des revendications. 206 Les circonstances aggravantes en attestent.

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