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b La loi du 28 avril 1832 crée de nouvelles circonstances aggravantes

L’article 78 de la loi modifiant l’article 333 C. pen. est ainsi rédigé : « Si les coupables sont

les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat, s’ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s’ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, s’ils sont fonctionnaires ou ministre d’un culte, ou si le coupable, quel qu’il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle des travaux forcés à temps dans le cas prévu par l’article 331, et des travaux à perpétuité dans les cas prévus par l’article précédent. »

Cet article introduit deux changements. D’une part, l’addition des mots, « Si les

coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat » et

d’autre part, l’ajout des mots : « ou serviteurs à gages des personnes ci-dessus

désignées ».

Le premier élargissement permet de retenir une circonstance aggravante du fait de l’ascendance et non plus seulement de l’autorité. La Cour de cassation avait en effet jugé207 que le crime de viol d’une fille majeure par son père ne pouvait être aggravé, l’autorité des pères et mères sur leurs enfants cessant avec leur majorité ou leur émancipation. La loi de 1832 permet ainsi une mise en cause de l’autorité paternelle sur laquelle les idéologues napoléoniens ont fondé la société208.

La seconde modification aggrave les crimes commis par les serviteurs à gage contre les personnes sous la dépendance du maître employeur.

Cette attention du législateur à la répression des violences sexuelles exercées contre les enfants se retrouve en 1863.

2. La loi du 13 mai 1863

La loi du 13 mai 1863 est la seconde modification d’envergure du Code pénal209. Contrairement au Code de 1810 ou à la loi de 1832, le projet de loi présenté au Corps

207 Arrêt Chambres réunies, 9 décembre 1828, cité par A. CHAUVEAU, op. cit., p. 295.

208 PORTALIS parle du gouvernement de la famille : « Le mari est le chef de ce gouvernement. La femme ne

peut avoir d’autre domicile que celui du mari. Celui-ci administre tout, il surveille tout, les biens et les mœurs de sa compagne (…) » in Discours préliminaire sur le projet de Code civil, Editions du Centre

de philosophie politique et juridique, 1989, p. 43. « Chaque famille doit avoir son gouvernement. Le

mari, le père en a toujours été réputé le chef. La puissance maritale, la puissance paternelle sont des institutions républicaines. » in Discours de présentation du Code civil, op. cit., p. 104.

209 Pour une présentation générale de cette loi, voir : LASCOUMES, PONCELA et LENOEL, op. cit., p. 49-

législatif n’a pas fait l’objet d’une consultation auprès des juridictions. Seuls les premiers présidents et procureurs généraux ont été sollicités. Le projet modifie 45 articles du Code pénal dont beaucoup portent sur la peine.

Pour ce qui concerne la prise en compte juridique des violences sexuelles, cette loi apporte deux modifications.

La première réside en l’augmentation du seuil en deçà duquel un enfant n’est pas présumé consentant. Cet âge passe de 11 ans à 13 ans210. Cette augmentation est motivée par le fait que « Le nombre de ces crimes va croissant malgré la répression à

laquelle le jury ne fait pas défaut C’est le moyen d’atteindre ceux qui par un odieux calcul pour s’assurer l’impunité ajournent leur attentat jusqu’au lendemain de la 11e année révolue211. » Pour le juriste Albert PELLERIN, « cette mesure est extrêmement salutaire ; car il était évidemment regrettable que les enfants de onze à treize ans ne fussent pas protégés par la loi. » Il légitime cette mesure par le fait qu’« [A] cette époque de la vie, le consentement ne saurait être éclairé. Il y a toujours violence, sinon matérielle, au moins morale de la part du misérable qui commet l’attentat. » L’auteur estime ce seuil suffisant :

« Vers treize ans, au contraire, âge où la presque totalité des enfants a fait sa première

communion, où beaucoup de jeunes filles commencent à s’apercevoir de leur sexe, le consentement est mieux accusé ; le sentiment du mal est plus vif. La violence doit se présumer moins aisément 212. » Autrement dit, à partir de 13 ans, la victime doit, pour

prétendre à la protection du droit pénal, résister de façon à obliger l’auteur à une violence telle qu’elle sera caractérisée et constituera dès lors la preuve de l’absence de consentement. L’âge de 13 ans fixe donc le seuil à partir duquel le consentement aux actes sexuels est présumé.

La seconde modification étend la répression aux auteurs d’attentats à la pudeur commis contre des enfants de plus de 13 ans (mais non émancipé par le mariage) lorsqu’ils sont les ascendants de ceux-ci.

Par ces dispositions, le législateur prolonge le travail de délimitation de l’interdit initié par la loi de 1832 mais il ne se risque pas à définir légalement les incriminations.

La loi du 13 mai 1863 marque la fin des modifications législatives. Les dispositions réprimant les violences sexuelles seront inchangées pendant plus d’un siècle. En

210 Le ministre proposait 12 ans. En 1945, il sera porté à 15 ans.

211 Propos du ministre de la justice, cité in LASCOUMES, PONCELA et LENOEL, op. cit., p. 55.

212 PELLERIN Albert, Commentaire de la loi des 18 avril - 13 mai 1863 portant modification de des

l’absence de définition du crime tant par les Codes de 1791 et de 1810, que par les lois de 1832 et 1863, ce sont les magistrats et la « doctrine » qui se prononceront sur les contours juridiques de ces notions. Leur conceptualisation du viol, des autres formes de violences sexuelles et du régime de la preuve, dans une construction jurisprudentielle complexe, sera conservée tout au long du XIXe siècle et du XXe.

§ 2. L

A CONSTRUCTION JURISPRUDENTIELLE DU CONTENU DES INFRACTIONS

SEXUELLES ET SON ANALYSE PAR LA DOCTRINE

Selon la jurisprudence issue de l’ancien régime213, non remise en cause par le Code de

1810 et les lois qui ont suivi, le viol est constitué par « une conjonction sexuelle normale et illicite » avec « une femme qu’on sait n’y point consentir ». Le viol est donc nécessairement commis par un homme à l’encontre d’une femme (« conjonction sexuelle normale ») qui de surcroît, n’est pas son épouse214 (« illicite »), par la pénétration de son

« membre viril » dans les parties génitales de la femme. L’élément intentionnel (« qu’on sait n’y point consentir ») est caractérisé par le fait que « on » a du user de force pour parvenir à ses fins. Les magistrats exigent en effet que soit caractérisée la circonstance relative au comportement de l’auteur qui doit avoir agi avec violence. En 1843, MM CHAUVEAU et HÉLIE rappellent, qu’outre la « copulation illicite », elle est « l’élément

caractéristique du crime. C’est la violence qui constitue sa criminalité toute entière215. »

Celle-ci doit s’exercer contre la victime elle-même. Les auteurs détaillent les précautions prises par les anciens jurisconsultes en raison de « la difficulté de constater la violence,

dans un acte secret où la résistance a ses degrés et la volonté ses caprices. » Tout en

admettant que l’on n’exige plus des victimes qu’elles aient résisté de manière constante, crié, portent des traces de coups, soient d’une force inégale à celle de l’auteur comme c’était auparavant le cas216, les auteurs conseillent néanmoins de suivre « ces règles

213 Voir supra.

214 Le viol dit « conjugal » pourra éventuellement être poursuivi pour coups et blessures volontaires ou pour

attentat à la pudeur mais seulement dans les cas où les demandes du mari sont « anormales ».

215 Adolphe CHAUVEAU et Faustin HELIE, Théorie du code pénal, Edition Edouard Legrand, Paris, 1843.

p. 274.

216 Voir supra, introduction. Ces règles sont également citées par FUZIER-HERMAN in FUZIER-

HERMAN Ed, (dir.), Répertoire général alphabétique du droit français, 1905, tome 36, p. 1152. Il rappelle qu’elles restent un « guide utile pour éviter l’erreur dans le jugement de ces difficiles

pleines de sagesse [qui] peuvent servir de guide aux magistrats dans les informations criminelles. »

Quant à la « violence » dont la preuve doit être rapportée, la règle est énoncée avec vigueur : « il faut donc que la violence soit entière et complète, qu’aucune hésitation de la

victime ne soit venue à son aide, qu’elle n’ait cédé qu’à la force217 ». Cependant, et de

façon quelque peu contradictoire, MM. CHAUVEAU et HÉLIE mettent ensuite en cause les exigences de la jurisprudence et critiquent un arrêt de la Chambre royale de Besançon du 13 octobre 1828. Cet arrêt est intéressant puisqu’il est rendu dans une affaire dont les faits218 sont proches de ceux qui seront jugés dans l’arrêt Dubas. La solution retenue par

les magistrats est toutefois l’inverse de celle qui prévaudra 29 ans plus tard. L’arrêt commence par poser que « Le viol est, de sa nature, toujours et nécessairement

accompagné de violence employée sur la personne même ; que c’est la force, c’est à dire la violence qui constitue le viol. » Puis, analysant les faits de l’espèce, l’arrêt déclare

« qu’en admettant comme sincère et vraie la déclaration de la plaignante, il en résulte qu’il

y a eu consentement donné par erreur, mais l’erreur ainsi que le défaut de consentement ne peuvent seuls constituer le crime de viol, dès que l’erreur ou le défaut de consentement n’a pas été accompagné de violences morales ou physiques. »

Les deux commentateurs contestent cette solution : « Il nous serait difficile d’admettre

qu’un crime aussi grave dût rester en dehors des prévisions de la loi ; ses résultats sont évidemment les mêmes que si la violence physique eût été employée. Le déshonneur de la victime, la désolation d’une famille, les moyens dont l’agent s’est servi pour l’accomplir sont-ils moins odieux ? La surprise est-elle moins infâme que la force ? La fraude que la violence ?219 » Selon eux, « si la résistance a été rendue impossible, [il faut] nécessairement remonter aux actes qui l’ont enchaînée. » Ils énumèrent alors les

situations (sommeil, utilisation de narcotiques, évanouissement) qui privent la victime de capacité de réactions.

Cette approche exclue dès lors les « filles en démence » car « rien n’établit que cette fille

n’a pas eu la conscience de son action, qu’elle n’y a pas donné un secret assentiment.220 » Il ne s’agit pas donc de considérer que le viol est constitué par la seule

217 Op. cit., p. 276

218 Un homme s’introduit par surprise dans le lit d’une femme et se fait passer pour son mari. 219 Op. cit., p. 279.

absence de consentement de la victime à l’activité sexuelle221 ou de consentement vicié,

mais d’élargir les cas aux situations où la réaction de la victime est rendue impossible par un stratagème de l’auteur222. Autrement dit, la question juridique posée n’est pas de

caractériser le consentement ou l’absence de consentement des victimes mais de délimiter les contours de la violence dont l’auteur a fait usage d’une nature telle qu’elle est susceptible soit de vaincre la résistance, soit de tromper la vigilance de la victime. Reste à s’entendre juridiquement sur la notion de violence.

L’approche jurisprudentielle de ce qui constitue la violence va progressivement s’élargir et s’enrichir afin de recouvrir d’autres agissements que ceux de violence physique. A cet égard, l’arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 1857223, dit arrêt Dubas est présenté

comme un arrêt de référence.

A. L

A JURISPRUDENCE

D

UBAS ET SES SUITES

Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce sur la définition de ce qui constitue la violence. L’arrêt Dubas s’inscrit cependant dans une série d’arrêts rendus par les juridictions inférieures224 qui élargissaient la conception jurisprudentielle de ce qui

constitue la « violence » explicitement requise par le Code pénal, à tout le moins pour le viol et les attentats à la pudeur. Cependant, jusqu’à l’arrêt Dubas, ces interprétations jurisprudentielles étaient le plus souvent censurées par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

1. L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation et sa

réception par la doctrine

Passé à la postérité, l’arrêt Dubas mérite que l’on s’y arrête.

221 Ce n’est toujours pas le cas en 2018. Voir infra.

222 Stratagèmes (menaces, ruses…) déjà reconnus par le droit dans d’autres pays. En effet, dans son

Répertoire général alphabétique du droit français, M. FUZIER - HERMAN relève que de nombreux

pays européens, retiennent une conception élargie de la violence.

223 Cass. crim. 25 juin 1857, Bull. crim., n°240, p. 378. S. 1857. 1. 711. D. 1857. 1. 314. 224 Voir Claire BOUGLÉ, op. cit., p. 186 et s.

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