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b Les critiques féministes du droit pénal et des institutions judiciaires

Dans un article sur « Le mouvement de libération des femmes et la loi en France », Marie-Jo DHAVERNAS, Régine DHOQUOIS et Monique ANTOINE introduisent leur réflexion par le paragraphe suivant : « La loi (…) ne nous concerne pas, nous exclut,

même et surtout lorsqu’elle s’occupe de nous : c’est notre vécu profond, c’est une affirmation constante dans le mouvement des femmes. Loi patriarcale, faite par et pour les autres, appliquée par eux principalement, nous nous sentons hors la loi, hors cette loi à laquelle nous ne participons pas, qu’elle réprime ou qu’elle nous protège339. » Leur

337 Lire : « Avant les « Dix heures contre le viol » à la Mutualité à Paris », in STORTI Martine, Je suis une

femme, pourquoi pas vous ?, Ed. Michel de Maule, 2010, p. 103.

338 Les autres points sont : 1. Le viol n’est pas une fable, 2. Le viol n’est pas un hasard, 4. Le viol n’est pas

une loi de la nature, 5. Le viol n’est ni un désir, ni un plaisir pour les femmes, 6. Le viol n’est pas un destin.

339 Marie-Jo DHAVERNAS, Régine DHOQUOIS, Monique ANTOINE, « Le mouvement de libération des

analyse rejoint les critiques visant à révéler la nature patriarcale du droit, notamment pénal, et « l’hypocrisie et l’arbitraire de la justice340 ».

i. Le viol, un crime contre la propriété des hommes plus que contre la liberté et l’intégrité des femmes

Si l’on en juge par les textes publiés pendant les années 70, les féministes du mouvement s’attachent davantage à dénoncer les causes du viol, la « culture » du viol et le caractère patriarcal du droit en général que les dispositions précises du Code pénal341. La critique

porte notamment sur la conceptualisation du viol et les valeurs protégées par le droit pénal. Ainsi, dans un article paru dans la revue Actes, l’avocate féministe Monique ANTOINE rédige une analyse politique de la prise en compte juridique du viol et une critique sévère du traitement judiciaire de cette réalité. Selon l’autrice, « le viol est inscrit

comme crime dans la plupart des sociétés patriarcales parce que l’homme qui viole une femme accomplit un acte « gratuit ». Il ne paye pas le prix de la « marchandise ». Il enfreint le système de l’échange et de la circulation. » Dès lors la loi réprimant le viol « est une loi de protection non de la femme elle-même, mais du système social auquel elle appartient342. » Gisèle HALIMI partage cette analyse ; elle dénonce l’impossibilité de

poursuivre le viol conjugal et la restriction du viol au seul « coït », les autres violences sexuelles étant poursuivies sous la qualification d’attentat à la pudeur. Choix juridique qui s’explique selon elle par le fait que « Le droit, civil et pénal, a comme principale fonction,

dans notre société, de protéger l’ordre. Ici l’ordre, c’est celui des successions et du patriarcat. Le viol risque de brouiller les pistes, d’y introduire l’odieux bâtard aux côtés ou à la place du pur descendant légitime. L’attentat à la pudeur est donc moins grave. Pour l’ordre et pour les notaires. Et pour la femme, dites-vous ?343 » Ce nouvel éclairage porté

sur les intérêts que la loi pénale a pour but de protéger est à mettre au crédit des féministes, de tout pays344.

340 Non signé, « Femmes violées, ne nous taisons plus », Femmes travailleuses en lutte, octobre-novembre

1975, n°7, p. 22.

341 A quelques exceptions ; voir par exemple : « Viol : est-ce que la loi défend les femmes ? », Femmes

travailleuses en lutte, octobre 1976, p. 19-23. L’article analyse le Juris-classeur pénal et conclut :

« Cette loi est une loi de classe (…) elle cautionne et reproduit les idées même des violeurs sur les

femmes. »

342 Monique ANTOINE, « Relevons nos jupes, mes sœurs, nous allons combattre l’enfer », Actes, n° 16,

automne 1977, p. 47.

343 Op. cit., p. 23.

Annie COHEN relève par ailleurs que si « le viol est reconnu comme crime », il l’est « comme crime non justiciable345 ». C’est aussi - voire principalement - cet aspect qui

focalise les critiques.

ii. La misogynie de l’institution judiciaire

Les féministes dénoncent également le traitement judiciaire des violences sexuelles. De la plainte à l’éventuelle audience de jugement. Chacune des étapes est un piège à surmonter sur fond de suspicion systématique à l’encontre des victimes de viol346. MO.

FARGIER écrit que lors des entretiens menés pour écrire son livre, « Tous - je dis bien

tous - policiers, magistrats, avocats, médecins, éducateurs, - tous ces hommes et tous les autres, m’ont dit à un moment de la conversation : Attention ! La plainte est une arme aux mains des femmes ! Il y a des mythomanes, il y a celles qui cherchent à nuire, celles qui inventent ce prétexte pour se venger de quelqu’un, il y a347 » Elle consacre un chapitre

à toutes les idées reçues348 véhiculées par les professionnels lors de procès, qui les

conduisent à conclure qu’ « il n’y a pas viol ».

Notons d’ailleurs que la « libération des mœurs », caractéristique de cette période, est utilisée pour justifier le viol ou atténuer la responsabilité des violeurs. Paradoxalement, la libération conquise par les femmes accroît les droits des hommes sur le corps des femmes349. Puisque désormais « les femmes sont libres », qu’elles prennent des

« risques » (en faisant de l’auto stop, en sortant seule le soir, en allant au cinéma…), elles doivent assumer ce risque. « La justice en traitant les comportements autonomes des

femmes, comme des incitations ou des preuves de consentement au viol innocente les

345 Annie COHEN, « Dans quel état de guerre vivons-nous ? », Alternatives n°1, juin 1977, p. 18.

346 Au sujet de l’Italie, Tamar PITCH note : « Les femmes y remarquent la transformation de la victime en

accusée à travers un interrogatoire qui scrute les précédents intimes de sa vie et l’utilisation d’un répertoire de modèles et de valeurs culturelles sexiste. » In : Tamar PITCH, « Violence sexuelle,

mouvement féministe et criminologie critique », Déviance et société, 1985, vol. 9, n°3, p. 258.

347 Op. cit., p. 81.

348 « Elle a rencontré de plein gré ceux qui allaient la violer. Elle a parlé avec lui avant, elle est restée avec

lui après. Elle n’avait pas de culotte. Elle l’a sucé. Elle est trop calme. Elle est agitée. Elle est décontractée. Elle est palefrenière. C’est une histoire banale. Elle avait déjà couché avec l’un des violeurs. Elle est prostituée. Et pas vierge à son âge ! C’est encore une enfant mais… Elle mène une vie libre. Elle n’a pas perdu conscience. Elle n’est pas blessée. Elle est blessée mais… (…) » op. cit., p. 85-

99.

349 Y compris en termes de contraception : puisqu’elles prennent la pilule, elles ne « risquent » plus de

violeurs et légalise le viol : elle affirme que les femmes n’ont pas le droit d’effectuer un certain nombre d’actes et les pénalise de droit en acquittant le violeur350. »

Les féministes dénoncent les enquêtes de moralité, spécifiques au crime de viol, les expertises intrusives et portant surtout sur la « crédibilité » de la plaignante, les questions reflétant le sexisme des policiers351 ou des magistrats, la lenteur des procédures.

L’autre sujet qui concentre les critiques est la disqualification judiciaire, déjà évoquée, des viols ou attentats à la pudeur en infractions de coups et blessure ou d’outrage public à la pudeur. Cette disqualification qui « escamote le viol sous des qualifications d’emprunt352 »

et signe la tolérance sociale du viol, sera combattue avec détermination par le mouvement féministe353.

Ces analyses critiques du droit, du rôle qu’il joue dans la perpétuation des violences sexuelles se prolongent par une réflexion sur l’utilisation du droit comme outil de changement.

2. Les revendications du mouvement féministe vis à vis du droit

Le rapport du mouvement des femmes au droit est complexe. Certes, les féministes s’accordent sur la critique de la loi patriarcale. En revanche, lorsqu’il s’agit de la question du recours au droit ou de la réforme du droit, les divisions se font jour. Divisions qui seront dépassées par certaines puisque le droit, son appropriation et son changement, seront bien au cœur des stratégies de luttes féministes.

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