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Dans le prolongement du mouvement social de mai 68 et de ses réflexions sur les rapports de pouvoir, les années 70 marquent une rupture dans l’analyse, jusque là prédominante, des violences sexuelles. Grâce au mouvement féministe, celles-ci apparaissent comme un fait social et non plus comme un « fait divers » isolé, et comme la manifestation de la domination des hommes sur les femmes et non plus comme un « problème » de « relation » entre deux personnes.

Outre la mobilisation autour du procès d’Aix en Provence310, les nombreuses actions

menées par les groupes de femmes depuis presque une décennie (collectifs de réflexion, organisations de réunions publiques sur le viol, actions lors des procès), convainquent de la nécessité d’un changement législatif, effectif avec le vote de la loi du 23 décembre 1980. Une loi qui tout en introduisant de réels changements dans la prise en compte juridique du viol, demeure ancrée dans la jurisprudence du 19e siècle.

§ 1. L

E CONTEXTE POLITIQUE DU VOTE DE LA LOI

.A

NALYSES

,

REVENDICATIONS ET PROPOSITIONS EN PRESENCE

Entre 1970, date de la parution d’un texte intitulé « Le viol311 », et 1980, date du vote de la

loi relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, s’écoule une décennie marquée par les luttes féministes afin d’obtenir et de garantir le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes. Dans la continuité des combats pour conquérir le droit

310 Dont il sera souvent fait état lors des débats ; par exemple : « Après avoir été témoin, avec M. Pierre

Emmanuel et le professeur Minkovski, entre autres personnalités (…) j’ai pu mesurer combien la situation de la plaignante était dramatique et combien était désastreuse l’image du droit que pouvait donner la justice. Des débats hâtifs au milieu d’un public ricanant et hostile : comment croire à la volonté de rechercher objectivement la vérité dans des conditions semblables ? A Aix en Provence, tout au cours de ce procès, j’ai eu le sentiment pour le moins paradoxal que les victimes et les témoins gênaient et qu’ils dérangeaient l’ordre. » Florence d’HARCOURT, AN1, p. 327.

à l’avortement, les femmes posent le droit à l’autodétermination notamment sexuelle. Ce mouvement n’est pas spécifiquement français et il s’inspire d’ailleurs des réflexions menées à l’étranger312. Certains des textes les plus importants, tels que Le viol de Susan

BROWNMILLER313 ou Contre le viol, d’Andréa MEDEA et Kathleen THOMPSON314 sont

rapidement traduits en français315. Les actions se multiplient pour dévoiler et dénoncer la

banalité des violences sexuelles et particulièrement du viol. Ces luttes sont fortement médiatisées et suscitent des débats passionnés, voire des manifestations de haine à l’endroit des féministes, auxquelles il est reproché tout à la fois de faire le jeu d’une politique répressive, sécuritaire ou d’être des moralisatrices316.

Articles, émissions de radios, de télévisions317, films318, la société prend conscience de

cette réalité jusque là occultée et la dénonce. Le mouvement des femmes devient une force de création du droit. Au point de pousser le législateur à intervenir.

A. D

IAGNOSTIC ET REVENDICATIONS DU MOUVEMENT FEMINISTE

La société doit au mouvement féministe son dessillement sur la banalité des violences sexuelles et sur l’indigence de leur prise en compte juridique et judiciaire. En effet, les groupes féministes, se fondant sur la dénonciation publique et publicisée des violences sexuelles par les victimes elles-mêmes, analysent politiquement les causes de la fréquence des violences sexuelles et de la tolérance sociale les accompagnant. Elles

312 Des groupes de travail prennent en charge la traduction de certains textes des mouvements de libération

des femmes américaines, anglaises ou allemandes.

313 Le livre Against our will. Men, women and rape de Susan BROWNMILLER, publié en 1975 aux Etats-

Unis est traduit en France sous le titre Le viol et publié en 1976 avec une préface de Benoite Groult.

314 Andréa MEDEA et Kathleen THOMPSON, Contre le viol, Edition Pierre Horay, Collection Femmes en

mouvement, 1976, 173 p.

315 En outre, des collections féministes des éditeurs généralistes sont créées ; elles sont souvent confiées à

des femmes engagées dans ce mouvement. Cf. La collection Libres à elles aux Editions du Seuil, Le temps des femmes aux Editions Grasset, Collection Femmes aux Editions Denoël / Gonthier… Auxquelles il faut ajouter les nombreuses publications des Editions des femmes.

316 Nadja RINGART explique ainsi ces réactions : « Pour comprendre le pourquoi de cette manœuvre, il

suffit presque de dire que la lutte contre le viol touche au pouvoir sexuel des hommes. Bien entendu, ils ne sont pas assez stupides pour nous le dire tout net - quand ils se l’avouent à eux-mêmes. » in : « Les

conseilleurs ne sont pas les payeurs », Les Temps Modernes, n°391, fév. 79, p. 1178. V. aussi Françoise Picq, op. cit., p. 241.

Nous retrouverons ces « arguments » à chaque fois que les violences sexuelles sont en débat. Cf. infra. Deuxième partie.

317 En oct. 1977, les « Dossiers de l’écran » organisent, pour la première fois, un débat sur le viol.

318 L’amour violé, le film de Yannick BELLON sort en 1978. La même année, Carole ROUSSOPOULOS

s’interrogent par ailleurs sur l’opportunité du recours à un droit désigné comme patriarcal. Le droit pénal sera ainsi au cœur des revendications de quelques femmes et organisations, tandis que d’autres le rejetteront pour explorer d’autres voies.

1. La réalité des violences sexuelles masculines dévoilée et politisée

La prise de conscience de l’ampleur, de la quotidienneté des violences sexuelles, s’est d’abord faite au sein du mouvement, grâce à la prise de parole des femmes victimes. Cette parole n’est pas seulement de l’ordre du témoignage ; elle est politique et radicale. Elle conduit à remettre en cause le fonctionnement de la société, à mettre à nu les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes et le rôle que jouent les violences dans le maintien de la domination masculine. Le droit pénal et les institutions judiciaires, analysés comme des piliers de cette organisation sociale, sont au centre des critiques féministes.

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