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b Les autres modifications visant à faciliter les plaintes

Conscient.es de la difficulté rencontrée par les victimes de viol pour déposer plainte, les parlementaires ont adopté - non sans difficulté - des mesures tendant à répondre aux particularités psychologiques, sociologiques et politiques des violences sexuelles.

i. Adoption d’un nouveau cas de dérogation au secret professionnel du médecin

Cela a été dit lors des débats parlementaires, notamment par Cécile GOLDET, sénatrice par ailleurs gynécologue, les médecins peuvent être informés des violences. Soit que la victime les leur confie, soit que des changements constatés les incitent à poser des questions sur l’origine des troubles psychosomatiques observés. Afin d’encourager la victime à déposer plainte, il est donc envisagé de donner au médecin la possibilité de lever le secret professionnel, avec l’accord de la victime, afin d’informer le procureur de la République des informations recueillies. Cet élargissement des cas501 où le médecin peut

s’affranchir du secret a suscité une opposition notamment de la part du député ABOUT, également médecin. D’une part parce que ce n’est, selon lui, pas le rôle du médecin de dénoncer502, d’autre part parce que cela le conduirait à violer le code de déontologie

médicale503.

L’article sera néanmoins adopté dès la première lecture. Il dispose : « Il est ajouté à

l’article 378 du code pénal un nouvel alinéa ainsi rédigé : N’encourt pas les peines prévues à l’alinéa 1er, tout médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu’il a constatés dans l’exercice

499 A l’exception de celle relative à « un mineur de 15 ans », en raison d’une prise en compte spécifique par

l’art. 331 anc. C. pen.

500 La réclusion criminelle à perpétuité est en outre encourue pour tout attentat à la pudeur précédé ou

accompagné d’acte de torture ou d’acte de barbarie (art. 333-1 A C. pen.)

501 Cette dérogation au secret médical existait déjà pour l’avortement et les mauvais traitements à enfants. 502 « La raison fondamentale de mon refus, c’est qu’il n’appartient pas au médecin de dénoncer, fût-ce avec

l’accord de la victime. », AN1, 2e séance, p. 343. L’intervention est intéressante par ce qu’elle révèle de

confusion entre « dénonciation » et dévoilement.

503 « Voilà l’essentiel : je dénoncerai un viol parce que je sais que je ne serai pas puni, mais je violerai

de sa profession et qui lui permettent de présumer qu’un viol ou un attentat à la pudeur a été commis. »

Toujours dans le projet de lever les obstacles à la dénonciation des violences sexuelles, le législateur adopte en outre deux modifications permettant aux victimes d’être accompagnées au cours de la procédure pénale et de refuser que leur vie et les violences subies soient sur la place publique.

ii. Des améliorations afin d’accompagner les victimes et de maîtriser la publicité donnée au procès

La constitution de partie civile des associations aux côtés des victimes de violence sexuelle était une revendication portée notamment par l’association « Choisir ». La jurisprudence avait parfois admis cette possibilité et parfois refusé considérant que « l’intérêt collectif défendu par le ministère public absorbe l’intérêt catégoriel de

l’association (…)504 ». Le rôle essentiel joué par les associations féministes dans la

dénonciation publique du viol et l’accompagnement des victimes avait été souligné lors de la discussion générale. Cependant, lorsqu’il s’agit de donner aux mêmes associations accès au prétoire, les parlementaires se montrent très prudents. Les conditions de recevabilité de la constitution de partie civile des associations sont longuement discutées : durée d’existence de l’association au moment des faits, mention précise de l’objet « lutte contre les violences sexuelles » dans les statuts, choix des incriminations pour lesquelles il sera possible pour une association de se constituer partie civile et enfin accord express de la victime. L’article 4 disposera finalement que : « Toute association régulièrement

déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l'objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 332, 333 et 333-1 du code pénal. Toutefois, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de la victime ou, si celle-ci est mineure, celui du titulaire de l'autorité parentale ou du représentant légal. »

Enfin, le nouveau texte donne à la victime la possibilité de (mieux) maîtriser la publicité donnée au procès d’une part à travers une modification de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, contraignant les journalistes à recueillir l’accord de la victime pour diffuser son

nom, et d’autre part, en donnant à la victime le droit d’imposer un huis clos ou de s’y opposer lorsque la Cour le demande.

« Pour l’ensemble des femmes et pour leur dignité, c’est un texte très important et très

attendu.505 » Le propos de Mme PELLETIER est représentatif de la satisfaction du

législateur. Parce que la définition du viol est élargie à des agissements qui n’étaient auparavant pas qualifiables de viol et parce que des mesures ont été adoptées, concernant le secret médical, la constitution de partie civile, le huis clos, les parlementaires espèrent avoir substantiellement modifié le régime juridique des infractions de viol et d’attentat à la pudeur. Le texte ne marque cependant pas la rupture que l’on pouvait attendre au regard de l’indignation exprimée par les parlementaires en 1978. Texte de compromis, les rédacteurs se sont gardés d’un changement de paradigme. En effet, si le champ de ce qui est qualifiable de viol s’élargit à d’autres formes de violence sexuelles, la proximité des infractions de viol et d’attentat à la pudeur avec violence, jointe à leur absence d’articulation réactualise le risque de correctionnalisation, un temps éloigné par les luttes collectives.

Par ailleurs, le nouveau régime ne cède en rien sur la question centrale de l’appréciation du consentement. Celui-ci reste évalué à partir de représentations sociales stéréotypées et de critères étrangers à la victime. Cela en dépit des analyses et des actions du mouvement féministe qui pointaient précisément les dites représentations sociales. Les apports de la loi du 23 décembre 1980 dépendront aussi de son appropriation par les acteurs du droit et de leur mobilisation pour faire vivre le texte.

B.

LA RECEPTION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

Comparée à la mobilisation ayant conduit à son vote, la loi du 23 décembre 1980 suscite peu d’intérêt une fois adoptée, tant de la part du mouvement féministe que de la sphère du droit.

1. La réception par le mouvement féministe

Une partie du mouvement féministe revendiquait un changement législatif, pour autant, à lire la presse féministe506, il ne semble pas s’être investi dans son contenu pendant les

deux années que dura le processus législatif507, a peu analysé la loi du 23 décembre

1980 et s’est désintéressé de son application sauf pour ce qui concerne la correctionnalisation des viols et la question des expertises psychologiques et enquête de moralité imposées aux victimes de viol. Un article de F Magazine508 présente

sommairement les avancées de la loi : une définition précisée, élargie, notamment aux hommes victimes, et la reconnaissance du viol conjugal. Il attire aussi l’attention sur une « distinction dangereuse : celle du viol de ‘l’attentat à la pudeur avec violence’ qui, dans la

nouvelle loi, devient un délit. » Notant l’absence de définition de ce délit, l’autrice de

l’article redoute le retour des correctionnalisations, d’autant que « des peines graves

contre les violeurs » ont été maintenues509. Le sujet de la répression, on l’a vu, a divisé

les féministes. Claire BATAILLE, après avoir énuméré les « progrès de la loi » l’aborde également510. Elle pose clairement l’opposition entre « la thèse de Choisir et de Gisèle

Halimi [qui] a prévalu auprès du gouvernement » et la position d’autres avocates

féministes (J. MOUTET, C. AUGER, M. ANTOINE511) pour lesquelles « Le recours à la

506 Notamment celle rassemblée à la BDIC (fond Françoise Picq) et à la bibliothèque Marguerite Durand

(recherche par mots clés « loi 1980 » + « viol »).

507 Selon un article des Cahiers du féminisme, les féministes ont été prises au dépourvu par un calendrier

(« en plein congés de Pâques ») tenu « secret ». « Les féministes n’ont pas eu les moyens d’organiser

une quelconque initiative qui leur aurait permis d’exprimer leurs exigences. », Claire BATAILLE,

« Viol : une loi nouvelle pour assurer leur ordre », Cahiers du féminisme, Eté 1980, n°14, p. 14.

Dans la synthèse introductive rédigée pour l’atelier « Femmes, Etat, Droit » du colloque de Toulouse,

Femmes, féminisme et recherches, Odile DHAVERNAS écrit « Il est surprenant et paradoxal que les femmes mènent des luttes politiques actives dont l’objet - ou l’effet - est de changer la loi (avortement, viol) mais qu’elles se désintéressent du mécanisme juridique par lequel la loi est effectivement changée, de la production de la loi. » Actes du colloque national Femmes, féminisme et recherches, Toulouse,

décembre 1982, p. 331.

508 Non signé, « Viol : cinq ans de lutte pour une loi », F Magazine mai 1980, n° 27, p. 55.

509 A raison semble-t-il puisque les publications féministes donnent la parole à celles dont les plaintes sont -

en dépit des dénonciations - toujours correctionnalisées. Voir par exemple : « Refuser la loi du silence, de l’isolement », Des femmes en mouvement, 27 février - 7 mars 1980, n°17, p. 12.

510 Un encadré est en outre consacré à la question : « Les féministes et la répression ». Il s’agit de dénoncer

une « contre-vérité » : les féministes ne sont pas pour la répression. « Seule l’association Choisir, par le

biais de Gisèle Halimi, a défendu l’idée selon laquelle la prison pouvait avoir , en cas de viol, une fonction dissuasive sinon thérapeutique. Aucun autre courant se réclamant du féminisme, à notre connaissance, n’a défendu un tel point de vue. » Op. cit., p. 17.

511 Position qu’elles ont par ailleurs exprimée dans une tribune du journal Le Monde ; J. MOUTET, C.

justice n’entraîne aucune adhésion à la répression carcérale. » Celles-ci s’interrogent sur

le prononcé d’autres sanctions, notamment pécuniaires, avant de conclure « Nous

n’avons pas de solution définitive. Nous cherchons512. » Claire BATAILLE poursuit ses

critiques en dénonçant « la répression scandaleuse de l’homosexualité » et le délai de 5 ans requis pour qu’une association puisse se constituer partie civile. Elle conclut par une réflexion sur l’utilité de cette loi laquelle peut « tout au plus (…) faciliter la démarche des

femmes qui ont décidé de porter plainte. C’est bien tout ». A l’inverse de la mobilisation

collective, plus apte « à faire reculer l’idéologie dominante à l’égard des femmes ».

Dix années plus tard, l’avocate Odile DHAVERNAS dresse un bilan. Elle énumère tout d’abord les progrès obtenus grâce aux mobilisations soutenues des femmes : dénonciations plus nombreuses de la part des victimes de viol, changement d’attitude des médias et des tribunaux, mise en place d’actions de formation professionnelle du personnel médical ou policier notamment. Rapidement, le constat devient amer lorsqu’elle analyse la « dérive scientiste » des experts médicaux invités à se prononcer sur la réalité d’un viol513, la permanence de la disqualification des viols, en l’occurrence lorsque des

hommes en sont victimes, ou la récupération de la lutte des féministes par les forces conservatrices514. Une partie de ces analyses sont partagées par les professionnel.les du

monde judiciaire.

2. La réception par le monde judiciaire

L’appréciation de la réception des nouvelles dispositions par le monde judiciaire est délicate en raison de la rareté des sources traitant de la question515. Le journal Libération

publie le point de vue de l’avocat Henri LECLERC qui juge que la loi adoptée est « Une loi

qui ne libère personne mais qui emprisonne516 ». Selon lui, la loi légalise la pratique,

512 Op. cit., p. 16.

513 Elle n’est la seule à dénoncer cette dérive et l’utilisation de l’expertise psychiatrique « forme moderne de

la question ou du détecteur de mensonge. » cf. la pétition de soutien à une femme ayant refusé de se

soumettre à l’expertise ordonnée par un juge d’instruction, publiée par Les femmes et les femmes

d’abord, avril 1980, n°2, p. 15.

514 « Il n’est pas rare d’entendre, aux Assises, des réquisitions implacables, d’où est absente toute allusion à

l’intégrité physique et psychologique, à la dignité et à la liberté des victimes, mais qui assènent des propos victoriens sur le relâchement des mœurs et le excès de la libération sexuelle… », Odile

DHAVERNAS, « La dénonciation, et au-delà », Actes, Les Cahiers d’action juridique, Printemps 1990, n°70, p. 45.

515 Une recherche exhaustive de la presse - non effectuée - contredirait peut-être ce constat.

constitue « une mise à jour », « un rappel solennel » mais non une « transformation » du droit. Il dénonce en outre une « loi alibi », « de circonstance » et particulièrement répressive. Les avocates féministes avaient également exprimé leur réserve sur ce dernier point tout en valorisant les avancées de la loi517. Le débat ne gagne toutefois pas

le reste de la sphère judiciaire.

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