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Les femmes victimes de violences et la légitime défense

b Le texte adopté

2. Les femmes victimes de violences et la légitime défense

Historiquement, les femmes s’étaient vues reconnaître un droit à la légitime défense lorsqu’il s’agissait de protéger leur « pudeur » et donc leur réputation et l’honneur de la famille. Emile GARÇON le décrit : « Les agressions dirigées contre une femme dans un

but impudique sont encore des violences qui justifient la défense. Tous les auteurs l’admettent pour le viol; mais on l’a nié lorsque l’agression ne constitue qu’un attentat à la pudeur avec violences, parce que le mal dont la femme est menacée ne serait point alors irréparable. Cet attentat violent constituerait seulement l’excuse de provocation. (Blanche V, 57; CHAUVEAU Hélie, IV, 1448 et 1482; Morin, v° Provocation, 12, et v° Légitime défense, 8). Cette question nous paraît devoir être encore résolue par les principes que nous avons posés. La défense est légitime contre toute atteinte à la personne, quel qu’en soit le but, mais à la condition qu’elle ne soit pas manifestement exagérée. Or, nous n’hésitons pas à décider que, non seulement le viol, mais l’attentat à la pudeur d’un caractère grave peuvent justifier tous les moyens de défense, même le meurtre de l’agresseur. Il est impossible de dire qu’une femme dépasse la nécessité de sa défense lorsqu’elle repousse une atteinte aussi odieuse à sa personne, et on a d’ailleurs remarqué, non sans raison, qu’elle peut tout redouter de celui qui se livre sur elle à des violences graves de nature impudique.

Nous irons plus loin : une femme serait encore en légitime défense si elle repoussait un agresseur qui se livrait sur sa personne à des actes impudiques trop peu graves pour constituer le crime d’attentat à la pudeur; mais cette défense serait alors restreinte dans de moindres limites. Ainsi, le fait de saisir une femme à la taille, de se livrer sur ses vêtements à des attouchements obscènes, de l’embrasser de force ne justifierait pas le

578 Plusieurs décisions concernent également des policiers ou des gendarmes faisant usage de leurs armes,

meurtre de l’agresseur; mais cette femme ne commettrait point de délit en repoussant violemment son agresseur, en le frappant de la main, d’une ombrelle, ou en l’égratignant. Elle n’est pas forcée de subir passivement l’outrage, aussi longtemps qu’il plaira à l’offenseur, sous prétexte que cette offense ne contient rien d’irréparable579. »

Ce long développement d’Emile GARÇON n’a pas d’équivalent dans les manuels de droit pénal général du 21e siècle580, comme si la spécificité de la situation de la femme victime

de violence était occultée. Or, elle ne saurait l’être, dans toutes ses dimensions, pour penser cette question.

Prenons la situation d’une femme victime de violences sur un long terme pour apprécier les trois conditions posées. Lorsqu’elle recourt à la violence contre l’agresseur, elle ne vient pas nécessairement d’être agressée, ou de l’être « gravement », de sorte que la condition d’immédiateté n’est pas remplie, mais elle a cependant bien été agressée et elle sait qu’elle le sera encore, de sorte que le ‘temps’ prend ici une autre dimension.

A-t-elle d’autres alternatives pour se protéger, elle ou ses proches, que le recours à la violence ? Celle-ci était-elle « nécessaire » ? Ne pouvait-elle déposer plainte ? Il suffit de se reporter aux circonstances dans lesquelles les femmes sont tuées pour observer d’une part qu’elles avaient pour la plupart déjà dénoncé les violences auprès des instances compétentes581. Que l’échec de mise en sécurité soit le fait d’une défaillance de l’Etat ou

de la stratégie de l’auteur des faits, n’est pas ce qui nous occupe ici ; cette réalité montre que les femmes peuvent, à juste titre, ne plus croire en l’efficacité d’une intervention extérieure. D’autre part, un des principaux mécanismes de la stratégie des agresseurs est d’isoler la victime et de la convaincre de l’inutilité de tout recours. Sous emprise, elle peut donc avoir intégré ce discours et ne pas penser pouvoir recourir à une aide extérieure582.

Quant à la condition de « proportionnalité » entre l’attaque injuste et la riposte, elle limite grandement la possibilité d’une reconnaissance de légitime défense. L’acte générant une

579 Emile GARÇON, article sur la légitime défense, op. cit., n°37 et s.

580 Alors qu’un paragraphe entier peut être consacré à des « hypothèses particulières de réaction : le cas des

policiers et gendarmes ». Cf. Jean PRADEL, op. cit., n°331.

581 Selon l’Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, 41,3% des femmes tuées en 2013,

avaient dénoncé des violences antérieures enregistrées par des enquêteurs, avant la commission des faits (plainte, intervention à domicile, main courante informatisée et procès-verbal de renseignement judiciaire) ou sur la base de témoignages recueillis après les faits. Op.cit., p. 9.

582 Particulièrement lorsque ces violences sont intrafamiliales. Le cycle des violences, initialement analysé

notamment par Leonor WALKER en 1979 dans son livre The battered woman (New York, édition Harper et Row), ayant précisément pour effet de rendre l’autre impuissante, prisonnière du système agresseur. Cet enfermement a précisément pour but de décourager toute tentative d’échapper à la violence.

réponse violente voire létale, peut sembler anodin si il n’est pas resitué dans le contexte général de mois, d’années de violences psychiques, physiques et sexuelles.

Il est donc patent que les trois conditions exigées, telles qu’elles sont définies, ne permettent pas de tenir compte de la nature de ces violences.

La conduite de la femme victime de violences devrait pourtant être jugée à la lumière de la spécificité de l’impact des violences sur elle, a fortiori lorsqu’elles ont été répétées. L’absence de prise en compte de ces particularités, le plus souvent sur le fondement de stéréotypes, conduit à une inégalité de traitement judiciaire des femmes autrices de violences ou meurtres dans ces contextes. Parmi les croyances stéréotypées en cause, relevons celles relatives aux réactions qu’aurait dû avoir la victime de violences : fuir et/ou porter plainte ou du moins se rapprocher d’une institution - étatique ou associative - pouvant l’aider. Et celle relatives aux raisons pour lesquelles la victime n’a pas fui, ni entamé de démarches : ce qu’elle dénonce est faux, n’atteint pas le degré de gravité qu’elle décrit, ou, elle reste par « plaisir masochiste ».

Ces croyances reflètent une négation de la connaissance que celle-ci peut avoir du danger encouru dans ce contexte particulier et de l’impact des violences sur l’état mental de la victime. Au moment où elle recourt à la violence, elle peut être convaincue qu’elle n’a pas d’autre alternative pour se protéger - elle ou ses proches - d’un danger qu’elle sait imminent583. Cette femme exposée serait-elle supposée attendre que le nouvel épisode

de violence advienne pour être en état de légitime défense ? Le législateur ne s’est pas posé la question584.

D’autres dispositions pénales non directement liées aux violences mais ayant une incidence spécifique pour les femmes victimes de violences sexuelles, nous intéressent.

583 Les victimes le disent, elles savent en fonction d’un regard, d’une remarque, d’une circonstance

particulière, que « cela va tomber ».

584 La rareté du recours à la violence en réponse aux violences qu’elles subissent l’explique probablement en

partie. Toutefois, il est invité à le faire, notamment à la suite du procès de Mme Sauvage. Cf. « De la légitime défense des femmes victimes de violences "conjugales », In Le traitement juridique et

judiciaire des violences conjugales (Sous la direction de Marc PICHARD et Camille VIENNOT), éd.

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