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a Du « coït illicite » à « l’acte de pénétration de quelque nature qu’il soit »

Du côté de la nouveauté, gouvernement et parlementaires sont d’accord pour mettre fin à la distinction entre viol et attentat à la pudeur selon le sexe de la victime et la nature de l’acte. En revanche, le choix des termes pour désigner le crime de viol, visant de surcroît toute personne448, fut difficile.

447 Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs. 448 Y compris donc celle unie à l’infracteur par le mariage.

i. L’élément distinguant le viol de l’attentat à la pudeur : « Tout acte de pénétration »

Pour désigner l’acte de viol, les propositions de loi employaient les termes de « relation sexuelle », recouvrant ainsi une pluralité de situations, non exclusivement centrées sur le critère de la pénétration. Cette terminologie449 ne fut pas conservée. En première lecture,

le Sénat lui préféra celle « d’acte sexuel ». Puis l’Assemblée nationale, jugeant ces termes trop imprécis, retint « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il

soit », proposée par Jean FOYER, président de la Commission des lois, et jugée

équivalente par le député Alain RICHARD450. C’était revenir au « coït »451 et à une vision

restrictive et phalocentrée452 de ce que peut être un viol. Aucune critique relative à ce

dernier aspect ne fut cependant énoncée453.

Ce critère distingue par ailleurs le viol de l’infraction d’attentat à la pudeur454. Définie en

creux, elle recouvre tout ce qui n’est pas qualifiable de viol : « Tout autre attentat à la

pudeur commis ou tenté (…) ». L’exigence qui avait animé les parlementaires lors de la

discussion sur la définition du viol est ici absente455. L’infraction est d’ailleurs jugée inutile

et la commission des lois du Sénat propose de la supprimer, mais l’initiative est contestée par Monique PELLETIER: « Votre commission (…) a estimé que l’élargissement de la

définition du viol aboutissait à faire disparaître le domaine de l’attentat à la pudeur avec violence. Elle a donc décidé de vous proposer la suppression de cette incrimination revenant ainsi à la situation qu’avait prévue le code pénal avant 1832. Je voudrais attirer

449 Proche de celle retenue par la Commission de révision du Code pénal définissant le viol comme « tout

rapport sexuel, de quelque nature qu’il soit, imposé à autrui par violence ou contrainte. » (art. 12211 de l’avant - projet publié en 1980). In Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel. Droit pénal

spécial, Ed. Cujas, 1982, p. 1502, n°1852.

450 « Le vote que nous venons d’émettre à l’instant ne restreint pas la définition qui a été adoptée par le

Sénat, à savoir « tout acte sexuel de quelque nature qu’il soit, imposé… par violence ». La définition que nous venons d’adopter : « Tout acte de pénétration sexuelle imposée » n’est pas plus restrictive. En substance, elles me paraissent identiques. » AN1, Alain RICHARD, p. 335.

451 Même si l’on tient compte qu’est répréhensible tout acte de pénétration « de quelque nature qu’il soit »,

ce qui constitue bien évidemment un élargissement notable que des violences pouvant être qualifiée de crime de viol (qui l’était auparavant sous la qualification de crime d’attentat à la pudeur avec violence).

452 Cf. infra.

453 En seconde lecture, la Sénatrice Raymonde PERLICAN demanda vainement le rétablissement « d’acte

sexuel », jugeant trop restrictive la notion adoptée. S2, p. 2090.

454 Sur la décriminalisation de l’infraction, voir infra.

455 Un sénateur le regrette : « je pense que le texte tel qu’il est proposé, avec l’énonciation « d’attentat à la

pudeur » ne suffit pas, dans l’état actuel de la jurisprudence, à punir - c’est notre souci - ce que nous appelons les agressions sexuelles qui, à l’heure actuelle, pour beaucoup, ne pourraient être considérées que comme des coups et blessures volontaires. » S1, Charles LEDERMAN, p. 1849.

votre attention sur l’intérêt du maintien de l’attentat à la pudeur avec violence (…)456 »

L’opportunité du maintien de l’infraction - réintroduite par un amendement gouvernemental457 - sera donc débattue devant les assemblées.

Deux arguments, de nature différente, sont invoqués pour justifier la disparition de cette infraction. Le premier est porté par Charles de CUTTOLI qui redoute les excès répressifs auxquels pourraient conduire l’imprécision de la définition : « on ne sait pas où va

commencer l’attentat à la pudeur ; ce sera une question laissée à l’appréciation des tribunaux. (…) L’attentat à la pudeur peut être quelque chose de bénin. Point n’est besoin de commettre un acte grave pour qu’il constitue un attentat à la pudeur : un simple attouchement peut constituer un attentat à la pudeur ; de même, le simple fait de relever la jupe d’une passante pourrait constituer un attentat à la pudeur. Allez-vous dans ces cas là considérer qu’il ne s’agit pas de simple violence comme le fait notre jurisprudence actuelle (…) Tout cela me paraît grave et excessif458. »

Le second argument s’inscrit dans le prolongement des critiques exprimées contre la correctionnalisation qui caractérisait la prise en compte judiciaire des crimes de viol et attentat à la pudeur. Certains parlementaires redoutent que l’infraction d’attentat à la pudeur, devenue délit dans le nouveau texte, ne soit utilisée pour correctionnaliser les viols459. Dans son rapport pour la Commission des lois, M. MASSOT craint « qu’il ne

détourne le sens de la réforme en vidant partiellement de son contenu la nouvelle définition du viol tout en offrant, par ailleurs, un moyen facile d’éviter le recours à la Cours d’assises460 ». Mme PELLETIER pense au contraire que la nouvelle définition du viol

évitera sa correctionnalisation461. Elle ne convainc cependant pas la députée

d’HARCOURT qui regrette « qu’à la demande du Gouvernement il ait été prévu un délit

nouveau d’attentat à la pudeur avec violence, qui risque de permettre, mes chers collègues, comme par le passé, une « correctionnalisation » du viol et de vider ainsi de

456 Monique PELLETIER, S1, p. 1849.

457 Lequel en fait une incrimination délictuelle. Cf. infra. 458 S1, Charles de CUTTOLI, p. 1850.

459 A raison si l’on observe les suites pénales données aux plaintes pour viol. Voir infra. 460 Rapport MASSOT, n°1400, p. 11 et p. 22-23.

461 « Une définition plus large et plus claire du viol (…) je me rallie entièrement à la définition proposée par

votre commission qui vise non seulement les conjonctions d’organes, mais aussi la sodomisation ou l’intromission de corps étrangers. Une telle formulation présente par ailleurs l’intérêt de mieux distinguer le crime de viol des autres attentats à la pudeur. Ainsi et seulement ainsi, sera évitée la correctionnalisation mal ressentie, à juste titre, par les victimes d’actes particulièrement intolérables

son contenu les dispositions de la nouvelle loi462. » Le maintien des deux incriminations

est adopté. Soucieux de répondre aux critiques émises à l’encontre du droit existant, la plupart des parlementaires soutiennent l’élargissement de la définition du viol. Un des aspects de cet élargissement est toutefois contesté, il s’agit de la disparition de la condition d’illicéité du coït.

ii. La fin de la condition « d’illicéité » du viol ou la possible répression du viol conjugal

Un autre point retient l’attention des parlementaires lors des discussions générales sur le viol. Il s’agit du viol dit « conjugal ». Absent des critiques émises sur le régime juridique antérieur, il devient un enjeu avec la nouvelle définition qui le rend théoriquement possible. Dans son rapport, E. TAILHADES l’aborde ainsi : « La jurisprudence, qui

considère comme impossible qu’une femme soit violée par son époux (Cass. crim., 19 mars 1910, Bull. crim., n° 153), est une autre indication du fait que les lois sur le viol ne visent pas directement à protéger les femmes contre les attentats sexuels. Certes admettre que le viol dans ce cas est un crime poserait des problèmes ; il n’en reste pas moins qu’une femme, de la même manière qu’elle peut être battue par son conjoint, peut subir des agressions sexuelles, quel qu’en soit l’auteur463. » Certains sénateurs s’en

inquiètent dès la première lecture. En témoigne l’intervention de Charles de CUTTOLI: « Je me pose une question et j’aimerais que le gouvernement et la commission puisse y

répondre. J’ai entendu hier, au cours de la discussion générale, que cet acte sexuel qui serait imposé par violence et désormais par surprise, à quelque personne que ce soit, pourrait aussi bien se produire dans les relations conjugales à l’égard d’une épouse récalcitrante.

Celle-ci pourrait déposer une plainte en viol et faire passer son mari en cours d’assises pour une tentative de viol dont je me demande où elle peut commencer et jusqu’où elle peut aller. Je souhaiterais que le gouvernement et la commission qui approuvent cette définition du viol, nous précisent entre quelles personnes il peut y avoir viol en vertu de cette définition et si celle-ci doit s’appliquer aux relations conjugales464. » Et Edgar

TAILHADES de lui répondre : « Le code pénal ne contient aucune précision à cet égard,

pas plus que le texte soumis à notre discussion. (…) Si une initiative émanant de M. de Cuttoli se faisait jour elle ne pourrait qu’attirer la sympathie et la compréhension de la

462 Florence d’HARCOURT, AN1, p. 327. 463 Op. cit.

commission.465 » Invitation que M. de CUTTOLI décline : « je ne dépose aucun amendement … je prends seulement acte de cette déclaration qui sera publiée au JO. Nous verrons l’application que la jurisprudence en fera. »

La discussion n’est cependant pas close. La représentante du gouvernement tente d’éluder : « Le problème que vous soulevez est intéressant. … J’ignore quelle

interprétation la jurisprudence donnera au texte que vous allez voter. (…) Je ne vois pas pourquoi la notion de viol ne pourrait pas être retenue en la circonstance. » Elle est

fermement reprise par le sénateur VIRAPOULLÉ qui estime que la jurisprudence antérieure reste applicable même dans un régime juridique entièrement modifié et contraire à celle-ci : « Nous sommes en train de voter des dispositions sérieuses et

graves. M. de Cuttoli a peut-être eu raison de poser le problème mais celui-ci a déjà été tranché, d’une façon judicieuse, par la jurisprudence. Il n’y a pas madame le secrétaire d’Etat, de possibilité de viol dans le cadre de l’union légitime, car, alors, que deviendraient les devoirs conjugaux ? Nous devons donc poursuivre les débats et nous devons nous préoccuper des actes sexuels accomplis sur d’autres personnes que l’épouse ou l’époux466. »

Le débat se poursuivra lors des lectures successives du texte. L’idée d’une répression du viol conjugal semble à certains467 difficilement acceptable. Le député ABOUT par exemple

ne la conçoit que si l’époux a imposé des « rapports sexuels contre nature468 ».

Le texte voté permettra, en théorie469, de réprimer « tout acte de pénétration de quelque

nature qu’il soit » ou tout attentat à la pudeur commis contre le conjoint s’ils ont été exercés avec « violence, contrainte ou surprise ».

465 Edgar TAILHADES , S1, p. 1843. 466 Louis VIRAPOULLÉ, S1, p. 1843.

467 A contrario, la sénatrice Cécile GOLDET, s’appuyant sur son expérience professionnelle de gynécologue,

le dénonce : « Le viol est un phénomène de société, et je n’évoque que pour mémoire le viol conjugal,

légal et obligatoire, plus fréquent qu’on ne le croit, douloureux et dramatique. » Cécile Goldet, S2, p.

2087.

468 « Il faut aussi noter que cette nouvelle définition du viol, si elle est par vous adoptée, donnera à la femme

la possibilité de poursuivre pour viol son conjoint si celui-ci tentait par la contrainte ou par violence de lui imposer des rapports sexuels contre nature. Cela est un pas important vers une égalité dans le couple. La jurisprudence, en effet, dit qu’un mari ne saurait violer sa femme. Les ouvrages de droit pénal reconnaissent tous au mari le droit de recourir à la force contre une épouse qui lui refuse l’acte conjugal et cela parce que ‘le mariage a précisément pour but - précise le manuel de droit pénal - l’union de l’homme et de la femme, qu’il confère à l’époux le droit de possession et que la femme est astreinte à se prêter à l’acte qui constitue la fin légitime du mariage’ » AN1, Nicolas ABOUT, p. 328.

469 Nous verrons que la croyance en un « devoir conjugal » a longtemps persisté, dans l’esprit des femmes et

b. La légalisation de la jurisprudence relative à la nécessaire caractérisation

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