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b Le passage du projet de Code pénal par le Conseil d’Etat et son vote

i. Les travaux du Conseil d’Etat, Section législation

Les conseillers d’Etat membres de cette Section de législation ont - comme les rédacteurs du projet initial - participé à la rédaction des codes précédents. Nous connaissons leurs

travaux grâce au Baron LOCRÉ qui, dans sa Législation civile, commerciale et criminelle

de la France, s’est attaché à les restituer165.

La cinquième loi, relative aux Crimes et délits contre les personnes, est présentée au Conseil d’Etat par M. FAURE, le 8 novembre 1808166. L’article 273167 concernant le viol est ainsi rédigé : « Les personnes coupables du crime de viol ou d’attentat à la pudeur,

consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe, seront punies de réclusion168. » L’on note que les incriminations ne sont toujours pas définies.

Un changement avec la définition du projet initial (ancien article 289) est toutefois important : la notion « d’attentat à la pudeur » apparaît, élargissant ainsi la répression à d’autres agissements169. A quel moment et sur quels fondements cette modification est- elle introduite ? Les comptes rendus de LOCRÉ ne permettent pas de répondre à ces questions. Les dispositions relatives aux violences sexuelles ne font en effet l’objet d’aucune discussion. Le procès-verbal du Conseil d’Etat de la séance du 12 novembre 1808 indique seulement : « Adoption sans observation des articles (…) 331, 332, 333170 (…) du Code171. » Le projet est ensuite transmis à la Commission de législation civile et

criminelle du Corps législatif qui présente ses observations sur certains articles. Aucune ne porte sur les articles 331, 332 ou 333 du projet de Code.

Ce silence sur les critiques pourtant fondamentales des tribunaux est remarquable, d’autant que pour d’autres infractions172, les conseillers d’Etat prennent soin de débattre et de répondre aux observations formulées par ceux-ci. Pour quelles raisons acceptent-ils que le crime de viol ne soit pas défini, en violation flagrante du principe de légalité des délits et des peines auquel ils souscrivent ? Et alors que des tribunaux exposent explicitement les difficultés générées par l’absence de définition du viol dans le Code de 1791. Rien dans les débats ne permet de répondre à ces questions.

Le projet de Code pénal étant achevé, il est présenté au Corps législatif.

165 LOCRÉ, Législation civile, commerciale et criminelle de la France ou commentaire et complément des

Codes français, Treuttel et Würtz, Paris, 1832. Tome XXX.

166 Elle sera discutée le même mois puis en août et septembre 1809, avant d’être adoptée par le Conseil le 3

octobre.

167 Qui correspondra à l’article 331 du Code de 1810. 168 LOCRE, op. cit., Tomme XXX, p. 367.

169 Ou permettant de déqualifier les viols selon les circonstances dans lesquelles ils ont eu lieu. Voir infra. 170 Nouvelle numérotation ; ils correspondent aux articles 273 à 275 du projet modifié.

171 LOCRE, op. cit., Tome XXX, p. 386.

ii. L’exposé des motifs du projet de Code pénal et son vote

Le projet global de Code pénal est présenté au Corps législatif lors de la séance du 2 février 1810 par MM. Les comtes TREILHARD, FAURE et GIUNTI, conseillers d’Etat. Le 7 février 1810, le chevalier FAURE expose les dispositions relatives aux crimes et délits contre les particuliers : « Cette seconde partie est aussi d’une extrême importance ; elle

embrasse un grand nombre d’attentats dont la répression est indispensable pour garantir à chacun des membres de la société la jouissance paisible de tous les avantages qu’il a droit d’attendre du pacte social. »

Concernant les attentats aux mœurs, il déclare : « La loi de 1791 n’a parlé que du viol.

Elle s’est tue sur d’autres crimes qui n’offensent pas moins les mœurs ; il convenait de remplir cette lacune173. » Dans sa description des « autres crimes », il reste laconique sur

l’attentat à la pudeur, dont il présente seulement les circonstances aggravantes et les pénalités encourues, sans les définir et sans émettre d’analyse sur la nature de ces actes174. En revanche, il s’étend longuement sur l’adultère.

Le 17 février 1810, s’ouvre la discussion du « cinquième projet, titre II, Livre III, chapitre Ier, des crimes et délits contre les personnes. » M. MONSEIGNAT s’exprime au nom de la

Commission de la législation civile et criminelle : « Après les crimes et les délits

particulièrement dirigés contre la vie, les attentats aux mœurs occupent les auteurs de ce projet. Cette classification indique assez que la conservation des mœurs est après celle de l’existence, ce que nous avons de plus cher175. »

La présentation des dispositions relatives « aux mœurs » occupe une page et demie. 17 lignes sont consacrées au viol : « Le plus grand des attentats qui puisse outrager les

mœurs est celui qui emploie la force et l’audace contre la faiblesse et la pudeur, qui anéantit la liberté dans son plus doux exercice, qui imprime à la vertu la tâche du déshonneur et rend la personne complice, bien que le cœur reste innocent.

Nos anciennes ordonnances avaient prononcé la peine de mort contre ce crime. L’assemblée constituante le punit de six ans de fers ; le projet de loi se rapproche beaucoup de cette dernière modification, et vous jugerez, sans doute qu’il était juste de

173 Jérôme MADIVAL, Archives parlementaire de1787 à 1860, Deuxième série, 1800 à 1860. Tome X, du

21 janvier 1808 au 5 juin 1810, p. 536-537.

174 Ce qu’il fait pour d’autres infractions. Ainsi par exemple, dit-il au sujet de l’enlèvement des mineurs :

« Ce crime, enfanté par la cupidité ou par le dérèglement des mœurs, (…) présente l’un des plus

dangereux attentats contre la faiblesse et l’inexpérience. » Archives parlementaires, op. cit., p. 538.

s’écarter de l’excessive rigueur de nos pères, surtout par la difficulté de constater avec précision toute l’étendue de la résistance, dans un moment où seule elle provoque et constitue le crime. »

Puis l’orateur présente rapidement (14 lignes) ce que le Code nomme « attentat à la pudeur » : « Le projet assimile justement au viol tout attentat aux mœurs consommé au

tenté avec violence contre les individus de l’un et l’autre sexe, (…) » en rappelant

seulement que la peine est aggravée lorsque la victime a moins de 15 ans ; sans expliquer donc l’opportunité de la création législative de la notion « d’attentat à la pudeur ». S’ensuivent les autres circonstances aggravantes, le délit « d’excitation ou de corruption de la jeunesse » et les « infractions relatives au lien conjugal » que sont l’adultère et la bigamie qui, elles, sont développées sur les trois - quarts d’une page. Cette déclaration, la seule émanant du législateur, est importante. Elle révèle en quelques lignes une conception du viol répandue, chez les juristes notamment. L’auteur de « l’attentat à la pudeur » use de « force » et « d’audace » pour accomplir le crime, tandis que la victime est « faible » et « vertueuse ». Même « innocente », elle est mise en doute ; sa « complicité » ou son éventuelle participation sont posées. C’est d’ailleurs principalement pour cette raison, « la difficulté de constater avec précision toute l’étendue

de [sa] résistance », que la diminution de la peine176 par rapport au Code de 1791 est

justifiée.

Dans le prolongement de l’ancien régime, cette suspicion énoncée à l’encontre de la victime sera celle des magistrats qui appliqueront le Code pénal de 1810. Seules les femmes qui auront résisté dans des formes définies par les magistrats177, verront l’atteinte sexuelle qu’elles dénoncent qualifiée de viol. Pour prendre leur décision, les magistrats ne pourront d’ailleurs se fonder que sur cette déclaration pour rechercher l’intention du législateur : le texte est adopté sans discussion en fin de séance. Selon le compte- rendu178 : « Aucun orateur ne prenant la parole, la discussion est fermée. Le corps

législatif délibère simultanément sur les deux projets, et les convertit en lois par 221 voix contre 22.

La séance est levée. »

176 Diminution contestée par les tribunaux, cf. supra.

177 Magistrats qui s’inspireront des ouvrages antérieurs, tels celui de M. Muyart de Vouglans (voir supra). 178 Archives parlementaires, op.cit., p. 608.

Le Code pénal de 1810 crée de nouvelles infractions qu’il ne définit pas et n’articule pas entre elles. L’architecture du texte du Code indique également que la répression des violences sexuelles est surtout du ressort d’une police des mœurs publiques.

2. L’architecture du texte adopté

Les articles relatifs aux atteintes sexuelles sont regroupés au sein d’une section IV intitulée « Attentats aux mœurs », du Chapitre 1 « Crimes et délits contre les personnes », du Titre II, « Crimes et délits contre des particuliers », du Livre III « Des crimes, des délits et de leur punition ».

Cette section comporte 10 articles. Le premier, l’article 330 réprime l’outrage public à la pudeur. Puis les articles 331, 332 et 333 répriment le crime de « viol » et « tout autre attentat à la pudeur » en prévoyant des sanctions variant selon l’âge de la victime, la qualité ou le nombre des auteurs. Les trois articles suivants sanctionnent l’excitation à la débauche (article 334 C. pen), l’adultère (articles 336 à 339 C. pen) et la bigamie (article 340 C. pen).

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