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Renverser la perspective

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 54-58)

La mise en œuvre réelle du « logement d’abord » est une nécessité impérieuse pour proposer des solutions dignes et durables aux personnes sans domicile. Elle im-plique de dépasser l’expérimentation. Depuis bien longtemps déjà, chacun com-prend que les personnes sans domicile ont besoin… d’un domicile. Comme le ti-trait ironiquement The Guardian à propos des mystères de la réussite finlandaise à ce sujet : « helping homeless people starts w ith giving them homes » («aider les sans-domicile commence par leur donner un logement»). Il est temps de passer à

20 Fondation Abbé Pierre, Sortir du mal-logement, c’est possible. 20 initiatives à démultiplier, Les éditions de l’atelier, 2016.

la généralisation pour tous les publics potentiellement concernés, et pas seulement certains sans-abri, en s’appuyant sur des études de faisabilité exhaustives sur des territoires précis, montrant les coûts évités pour quels acteurs et les dépenses né-cessaires pour quels autres, et la manière de transférer des dépenses publiques des uns aux autres.

Mais cela implique de rev oir d’ a u t res c h oix polit iq u es sensib les. Pour réus-sir le logement d’abord, il faut d’abord des logements, accessibles financièrement aux plus modestes. À cet égard, les coupes régulières dans les aides à la personne et les aides à la pierre ont provoqué un renchérissement des loyers des logements sociaux récents, participant à la coupure entre le monde de l’hébergement et celui du logement (voir chapitre 3). Mais le principal obstacle demeure celui des attri-butions (voir chapitre 2). Si une plus grande partie des 500 000 attriattri-butions de logements sociaux chaque année était destinée aux sans-domicile, dans de bonnes conditions, le fléau serait de nature à reculer substantiellement. Au-delà du parc social, sa production ou son attribution, l’autre enjeu déterminant ayant fait ses preuves à l’étranger réside dans la mobilisation du parc privé à des fins sociales.

Celle-ci, à condition d’être incitative pour les bailleurs et centrée sur les personnes en difficulté, peut constituer une solution très rapide, réversible et adaptée à la géographie du mal-logement (voir chapitre 4).

De plus, les solutions d’accès au logement peuvent fonctionner à condition de ne pa s la isser sa ns la moindre ressou rc e ou a c c ompa g nement c ert a ins pu -b lic s pou rv u s a c t u ellement de droit s inc omplet s, à l’instar des quelques dizaines de milliers d’étrangers en situation administrative irrégulière au sein du secteur de l’hébergement (voir chapitre 5) ou, dans une moindre mesure, les jeunes de moins de 25 ans n’ayant pas aujourd’hui droit au RSA-socle. Enfin, le lo-gement d’abord implique de tout faire pour éviter les expulsions locatives, et prio-riser le maintien avec des solutions négociées ou le cas échéant le relogement (voir chapitre 7). Encore faut-il accepter pour la puissance publique d’y consacrer des moyens à la hauteur de l’enjeu.

Au-delà de ces actions à destination des publics les plus défavorisés, la difficulté à terme est de tarir autant que possible le ux en amont des personnes ve-na nt f ra pper à la port e de l’ a c c è s a u log ement a idé , en particulier du loge-ment social. Sans quoi, comme au cours des dernières années, les différents dispo-sitifs, quelle que soit leur pertinence, seront engorgés. Le tarissement du processus d’exclusion suppose des politiques structurelles pour faire reculer le chômage et la pauvreté, d’améliorer la prise en charge de publics marginalisés, que l’on pense aux sortants de prison, aux personnes souffrant de troubles psychiatriques ou de jeunes majeurs sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Sur le plan du logement, il s’agit de permettre de produire davantage de logements sociaux ou accessibles dans le privé, à la location ou à l’accession, dans les zones où les besoins sont pressants, de réguler les loyers du parc privé, de responsabiliser les collectivi-tés locales, de mobiliser des fonds publics conséquents…

Non seulement le bon sens économique dicte de le faire, car ces dépenses de loge-ment permettraient à terme des économies sur les dépenses d’hébergeloge-ment ou de santé. Mais surtout parce que la France, en comptant près de 150 000 sans-domi-cile et 3 000 morts de la rue chaque année, joue ici une bonne part de sa cohésion nationale et de ses valeurs les plus fondamentales.

Épisodes sans-logement : on peut s’en sortir

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le fait d’avoir connu un épisode de privation de logement personnel est assez répandu parmi la popula-tion. Si 900 000 personnes en sont aujourd’hui privées, plus de 5 millions ont connu cette situation à un moment de leur vie avant de retrouver un logement, d’après l’enquête nationale logement 2013. L’examen de la situa-tion actuelle de ces 5 millions de personnes ayant subi une telle épreuve montre que celle-ci n’a rien d’une fatalité ni d’un marqueur à vie, au regard de la résilience des personnes 21.

Les ex-sans-domicile se retrouvent parmi tous les déciles de revenus ac-tuels (36 % ont des revenus supérieurs à la médiane). Bon nombre d’entre eux travaillent, souvent en CDI. Un quart d’entre eux ont pu accéder à la pro-priété. Seuls 7 % sont aujourd’hui en impayés de loyer. La plupart, quand ils peuvent accéder à un logement, ne « retombent » pas, pour les deux tiers d’entre eux. L’examen plus qualitatif de leurs trajectoires montre que cet accès au logement est possible grâce à un accompagnement social profes-sionnel et à une offre de logement social abordable, ce qui montre l’intérêt des solutions publiques pour accéder à un logement de droit commun, et les limites de la solidarité privée au-delà d’une assistance temporaire.

Une étude récente confirme la réussite très majoritaire des relogements en Hlm des personnes hébergées. Sur 652  ménages passés de struc-tures d’hébergement au parc social, 94 % sont toujours en logement un à deux ans plus tard, sans impayés ni troubles de jouissance supérieurs à la moyenne 22.

21 Marie Lanzaro, Profils, parcours et conditions de vie à l’issue d’épisode(s) hors du logement ordinaire. Post-enquête qualitative à l’enquête nationale logement, INSEE 2013, avril 2016.

22 Marie-Pierre Marchand, Étude sur le devenir de personnes issues de structures d’hébergement et ayant accédé à un logement locatif social, janvier 2016.

CHAPITRE 2. Attributions de

logements sociaux : généraliser la

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 54-58)

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