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Généraliser la cotation pour surmonter les blocages

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 67-72)

La cotation, ou scoring en anglais, est une méthode d’attribution de Hlm basée sur u ne é v a lu a t ion ob j ec t iv e des dema ndes en f onc t ion de c rit è res (condition de logement, composition familiale, revenus, taux d’effort, attaches au territoire, délai d’attente…) donnant droit à un certain nombre de points permet-tant de hiérarchiser les demandes. La plupart des grilles de cotation accordent le plus grand nombre de points aux situations d’urgence sociale les plus prégnantes, comme le sans-abrisme. Pour que les ménages les plus en di culté béné-ficient réellement des logements sociaux disponibles, la cotation est donc un enjeu fondamental 12.

L’idée n’est pas spécialement neuve. Elle a même été prévue par la loi en France deu x mois a prè s l’ a ppel de l’ A b b é P ierre. Le décret du 27 mars 1954 13, premier texte consacré à l’attribution des logements Hlm, pour les villes de plus de

11 Lab’Urba – Université Paris Est, « Analyse des facteurs et des pratiques de discriminations dans le traitement des demandes de logements sociaux à La Camy, Nevers, Paris, Plaine Commune et Rennes Métropole », Rapport pour le Défenseur des droits et le PUCA, juin 2015.

12 ALPIL, Fondation Armée du Salut, Emmaü s Solidarité, FAPIL, FNARS, Fondation Abbé Pierre, France Terre d’Asile, « Vers une attribution plus équitable et transparente des logements sociaux », 2014.

13 Article 3 du décret n° 54-346 du 28 mars 1954 fixant les conditions d’attribution des logements des organismes Hlm : « Dans les villes de plus de 10 000 habitants, les candidats à l’attribution d’un logement destiné à la location simple dans les habitations à loyer modéré font l’objet d’un système de notation fixé par arrêté (…). Ce système est fondé, notamment, sur les conditions dans lesquelles sont logés les demandeurs et sur la composition de leur famille. »

10 000 habitants, prévoit une « notation » des candidats au logement, aboutissant à un classement affiché publiquement 14. À l’époque, cette notation, qui sera abrogée un an plus tard en raison de l’opposition des bailleurs, impliquait une appréciation des difficultés sociales des ménages, mais prévoit aussi une notation de la « moralité » et la « réputation » des demandeurs…

À l’heure actuelle, les expérimentations de cotation, lancées selon diverses modalités dans quelques collectivités comme Rennes, Paris ou Suresnes, sont très encourageantes, même si des bémols restent à souligner (la cotation ne s’applique pas à toutes les étapes de la sélection, à tous les contingents ou toutes les zones, certains critères sont contestables, comme la préférence communale…).

La cotation, en plus de pouvoir donner la priorité aux ménages en difficulté, présente l’avantage essentiel d’a mé liorer la t ra nspa renc e des a t t rib u t ions. À travers ce mécanisme, il s’agit ici d’informer le demandeur de son positionnement et de son temps d’attente prévisible d’un côté, et de l’autre de protéger les élus de la tentation ou de la suspicion de favoritisme et de discriminations, car leur rôle n’est pas de recevoir les demandeurs, de leur promettre ou de leur laisser espérer une faveur personnelle dans la procédure. Il s’agirait en bref de passer de discussions confidentielles sur l’attribution d’un Hlm à tel ou tel ménage, à un débat public sur des critères à appliquer. Pour les associations également, la cotation replace le combat politique de soutien aux mal-logés au bon niveau : améliorer les règles et les critères à échéance régulière, plutôt que se démener à chaque commission d’attribution pour défendre chaque dossier individuel, ou de faire le siège des élus locaux pour faire remonter au-dessus de la pile les demandes des ménages les plus en difficulté. La cotation permettrait ainsi d’atténuer la différence de traitement actuelle entre un ménage bien défendu par une association ou un travailleur social, qui voit ses chances de relogement accrues, et un ménage qui n’a pas cette opportunité. Elle permettrait aussi de donner de la cohérence et de la simplicité avec des critères communs aux divers contingents.

Notons également que l’explicitation des critères pris en compte et leur pondération, que permet la cotation, exposent les autorités qui jouent le jeu de la transparence à une critique des choix opérés. C’est ainsi le cas de la mairie de Paris à propos de son choix d’affecter un coefficient de 10 % aux demandeurs qui résident ou travaillent à Paris. À l’inverse, les communes qui conservent une certaine opacité, en attribuant des Hlm sans critères publics précis, peuvent agir à leur guise et échapper à tout reproche. C’est pourquoi l’attribution discrétionnaire, à l’abri de la critique, risque de perdurer, et que la c ot a t ion mé rit era it d’ ê t re g é né ra lisé e pa r la loi, pa r ex emple da ns u n dé la i de c inq a ns, t ou t en la issa nt a u x E P C I le soin de la met t re en œ u v re.

14 Patrick K amoun, « Historique du peuplement. Un siècle d’habitat à “bon marché” », Informations sociales, 5/ 2007 (n° 141), p. 14-23.

Examinons à présent certaines réserves émises à propos de la cotation. La généra-lisation de la cotation ne revient-elle pas à imposer aux acteurs locaux des critères d’attribution uniformes venus d’en haut, objectent ses détracteurs, au détriment des capacités d’ajustement de terrain ? Il ne s’agit en réalité que d’une méthode permettant d’expliciter localement ces critères et de les assumer, en fonction des choix politiques effectués, des spécificités locales ou des évolutions historiques. L a c ot a t ion n’ impliq u e donc pa s d’ a ppliq u er les mê mes c rit è res pa rt ou t, mais de s’assurer que les critères décidés localement l’ont été en toute connaissance de cause, ne comprennent aucun critère illégal et incluent les critères légaux.

La cotation est parfois aussi critiquée pour n’être qu’un système mathématique déshumanisant, où les spécificités des ménages seraient réduites à des catégories administratives, incapables de rendre compte de leur infinie diversité. Cette cri-tique est exagérée. Les principaux problèmes des ménages demandeurs de loge-ment social sont bien connus et peuvent être codifiés à l’aide d’outils qui ont fait leurs preuves : degré de surpeuplement, taux d’effort, insalubrité, handicap, temps d’attente… Mais l’argument n’est pas totalement dénué de pertinence. C’est pour-quoi il est nécessaire, parmi les attributions dans un système de cotation géné-ralisée, de c onserv er 5 % ou 1 0 % d’ a t t rib u t ions h ors- c rit è res, pou r des sit u a t ions ex c ept ionnelles qui n’entrent pas dans les cases de la cotation. Mais, parce qu’ils sont rares, ces cas doivent être débattus collectivement et justifiés par une urgence particulière.

Autre facteur de souplesse, la cotation offre une possibilité de gérer les ref u s de proposition de logement par les ménages de manière constructive et gra-duée, par exemple en suspendant durant quelques semaines ou mois un refus par le demandeur d’un logement jugé « adapté », comme cela est pratiqué à Rennes, sans pour autant le radier à jamais. Cette pondération permet de laisser une marge d’arbitrage au ménage, qui peut refuser un logement adapté mais s’en trouve péna-lisé par le report de son relogement. Par rapport au Dalo, la cotation a également l’avantage de produire des effets dès l’enregistrement de la demande, alors que le Dalo est un recours une fois que la procédure de droit commun a échoué.

Certains acteurs craignent également que la cotation entra ne une spé c ia lisa t ion soc ia le du pa rc su r les pu b lic s les plu s pré c a ires. Subissant les probléma-tiques de mal-logement les plus graves, ils obtiendraient le plus de points et se verraient systématiquement attribuer tous les logements sociaux disponibles. Plu-sieurs réponses peuvent être adressées à cette crainte. Tout d’abord, le fléchage des logements sociaux vers les plus mal-logés peut être vu comme un problème mais aussi. Comme un principe de justice sociale propre à faire reculer la crise du loge-ment. De plus, les demandeurs dotés du plus grand nombre de points ne se voient attribuer un logement social que dans la mesure où le loyer leur correspond : des PLS ou des PLUS aux loyers élevés seront difficilement attribués à un ménage sans aucune ressource, fût-il doté d’un grand nombre de points.

Ensuite, chaque grille de cotation peut pondérer les critères à sa guise et a v a nt a g er plu s ou moins f ort ement les sit u a t ions de pré c a rit é . Il est en effet fréquent, dans les grilles de cotation, que la précarité du demandeur ne soit pas le seul critère. Entrent également en compte d’autres priorités politiques.

Parmi elles, le délai d’attente permet de réintégrer des ménages qui ne sont pas forcément les plus précaires. De même, une grille peut accorder de nombreux points aux ménages déjà installés dans le parc social : leur attribuer un logement est très pertinent car cela libère automatiquement le logement qu’ils quittent.

Cette priorit é a u x mu t a t ions int ernes est un choix parfaitement légitime pour répondre aux besoins de mobilité des locataires Hlm. Parmi les demandes de mutation, une attention spéciale doit être apportée à celles des ménages en sous-occupation, en particulier les personnes âgées, dont le déménagement peut libérer un grand logement. Leur situation peut par conséquent donner lieu à un nombre de points maximum, non pas au regard de leur précarité, mais du besoin en grands logements de la collectivité.

Une cotation mise en place systématiquement au niveau local relativiserait éga-lement l’intérêt des diverses proc é du res de c ont rô le de l’ É t a t . Mais celles-ci restent nécessaires pour vérifier que les grilles de cotation et leur application per-mettent bien le relogement des ménages à bas revenus ou répondant aux critères de priorité. De même, le Dalo contraint l’État à loger les candidats qui, pour une raison ou une autre (problème technique, discrimination, mauvaise application de la grille de cotation, critères de la grille favorisant d’autres candidats que les priori-taires, dysfonctionnements), ont été oubliés.

Conclusion

Alors que le parc social témoigne depuis des années d’une certaine paupérisation de ses occupants, le renforcement du ciblage social des attributions, qui est proposé ici, ne revient pas à trancher pour un modèle « résiduel » du parc social, réservé aux exclus, par opposition à un modèle « généraliste » (largement ouvert à la popu-lation) ou « universel » (accessible à tous), selon la typologie classique. Donner la priorité aux demandeurs les plus en difficulté ne revient pas à interdire le parc so-cial aux autres ménages. La crainte d’une paupérisation du parc soso-cial n’est pas in-fondée, même si elle doit être nuancée selon les quartiers. Ces orientations contri-bueraient surtout à a mé liorer g ra ndement les c ondit ions de log ement des plu s pa u v res et des plu s ma l log é s, un objectif fondamental qu’aucune autre politique ne peut atteindre aussi rapidement.

Pour être possible, une telle réforme des attributions a également besoin de finan-cements accrus pour accro tre l’accessibilité financière du parc social aux ménages à bas revenus. Cela implique, pour les constructions neuves, de limiter l’évolution des loyers de sortie à la hausse (voir chapitre 3) et de renforcer le pouvoir solva-bilisateur des APL. De plus, pour qu’elle n’aboutisse pas à une concentration

géo-graphique accrue des ménages à bas revenus, elle implique de mieux répartir à l’avenir la production de Hlm, en appliquant mieux la loi SRU en particulier. Enfin, une attribution plus juste de logements sociaux ne résoudra pas la pénurie de loge-ments accessibles, qui implique de mobiliser le parc privé à vocation sociale (voir chapitre 4), de réguler le parc privé (voir chapitre 10) et de construire davantage (voir chapitre 12).

CHAPITRE 3. Pour un parc social accessible aux ménages à bas revenus

« Le logement social, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. » Outil central de la lutte contre le mal-logement, le parc social doit s’ouvrir davantage aux ménages en difficulté ou à bas revenus, tout en cherchant à promouvoir la mixité sociale. Concilier mixité sociale et droit au logement, loin d’être deux objectifs contradictoires, est possible, à condition d’agir sur les attributions et de préserver les grands équilibres économiques du logement social, en redonnant du souffle aux aides à la pierre et à la personne. Or, à cet égard, le désengagement de l’État est un frein majeur à l’atteinte des objectifs officiels de production de 150 000 logements sociaux par an à niveau de loyer accessible aux demandeurs.

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 67-72)

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