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ses preuves à renforcer

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 166-169)

MADAME R., 25 ANS, LOCATAIRE À LYON D’UN PETIT LOGEMENT, SUBIT UN TAUX D’EFFORT DE 65 %

Madame R., 25 ans, diplômée en architecture, vivait dans un T2 à Lyon, avec son conjoint. Lorsqu’ils se séparent au printemps 2015, elle se retrouve sans domicile personnel. « J ’ai d’abord été chez mon frère pendant une semaine, le temps de voir, et puis après j’ai été un mois “ en coloc” avec un ami, je dormais sur le canapé du salon, avant de sous-louer l’appartement d’un autre ami parti en vacances pour 2 mois. » Sans emploi stable, elle travaille à temps partiel en tant qu’animatrice dans un centre de loisirs. En septembre 2015, Madame R. obtient un CDD de 3 mois à temps plein dans sa branche, pour 1 500 € par mois. Ses parents ne la soutiennent plus finan-cièrement, mais se portent garants pour faciliter sa recherche de logement.

Pour autant, son dossier est systématiquement refusé par les agences immobilières : « soit ils jugeaient mon dossier pas assez convaincant, soit ils n’acceptaient pas les dossiers avec garants quand les propriétaires avaient souscrit une assurance impayés de loyer. » Après plusieurs visites infructueuses, un propriétaire accepte enfin son dossier pour un apparte-ment de 38 m2 à 650 € et 80 € de frais d’énergie. L’appartement étant mal isolé (simple vitrage, copropriété ancienne), les factures de gaz peuvent monter à 125 € par mois l’hiver. Pour s’installer, Madame R. débourse éga-lement 500 €, notamment en mobilier. « J ’avais un budget de 600 € grand maximum et j’ai dû le dépasser. L’appartement est très sombre, j’ai aussi fait des concessions sur la salubrité, il y a beaucoup de souris, la chaudière est très vieille et est déjà tombée en panne… »

À la fin de son CDD, Madame R. travaille en auto-entrepreneur au sein de l’association qu’elle a créée, faute de trouver un emploi stable. Ses ressources s’élèvent à environ 730 € par mois, auxquels s’ajoutent 270 € d’APL. Son taux d’effort est de 65 % et son reste-à-vivre d’environ 270 €, avec lequel elle doit encore payer les charges de gaz, d’eau, d’électricité, le transport et la nourriture, ce qui laisse peu de place aux imprévus ou aux loisirs. « C’est sûr, je fais principalement des économies sur la santé : je ne vais jamais chez le médecin, je n’achète pas non plus les médocs sans ordonnance pour soulager la douleur, j’ai aussi renoncé au k iné pour mes soucis de circulation sanguine car je ne peux pas avancer les frais. »

Entre 2000 et 2014, les loyers des grandes agglomérations ont augmenté de 55 % en moyenne d’après l’OLAP, deux fois plus vite que l’inflation. Certes, dans la plupart des agglomérations, le niveau des loyers n’augmente plus réellement. Mais cette accalmie est trompeuse, car elle survient à un niveau historiquement élevé, sans que la crise économique ait eu d’effet à la baisse dans les zones tendues.

Certes, les prix à l’achat ont crû plus fortement que ceux à la location, mais les accédants ont l’avantage de dépenser autant pour se loger que pour se constituer un patrimoine, dont la valeur s’accroît en général avec le temps. Ils ont aussi la chance d’acheter à crédit à une époque où les taux d’intérêt sont historiquement bas. Ils sont aussi de plus en plus aisés, la hausse des prix ayant rendu l’accession de plus en plus sélective socialement, tandis que les locataires du parc privé sont de plus en plus pauvres en comparaison avec le reste de la population. Entre 2002 et 2013, ces derniers ont vu leurs revenus augmenter deux fois moins vite que ceux de l’ensemble de la population (+ 1 % par an en moyenne pour les locataires du parc privé, contre 2 % pour l’ensemble des ménages)1.

Sans surprise, les loc a t a ires du priv é sont donc su rrepré sent é s pa rmi les mé na g es en sit u a t ion d’ ef f ort f ina nc ier ex c essif . 41 % des ménages subis-sant un taux d’effort net supérieur à 35 % et un reste-à-vivre inférieur à 65 % du seuil de pauvreté sont des locataires du parc privé. Les locataires Hlm représentent quant à eux 27 % de ces ménages pénalisés par les prix du logement, et les accé-dants seulement 15 % ; une part qui chute à moins de 7 % pour les propriétaires non-accédants.

1 Source : enquêtes nationales du Logement.

Taux d’effort net selon le statut d’occupation

1992 2002 2006 2013

Locataires secteur social 19,2 % 20,5 % 22,5 % 23,9 % Locataires secteur libre 23,0 % 24,2 % 27,4 % 30,0 % Accédants à la propriété 22,3 % 22,3 % 24,3 % 25,1 % Propriétaires non-accédants 7,0 % 6,2 % 9,3 % 7,1 % Source : ENL.

Les locataires du privé, perdants de la hausse des prix Taux d’effort net par statut d’occupation (source : ENL)

Locataires secteur social 35 %

30 % 25 % 20 % 15 % 10 % 5 % 0 %

Locataires

secteur libre Accédants à

la propriété Propriétaires non-accédants

1992 2002 2006 2013

Les locataires du privé,

principales victimes de l’effort financier excessif pour se loger

Taux d’effort élevé, niveau de vie résiduel faible 45 %

40 % 35 % 30 % 25 % 20 % 15 % 10 % 5 % 0 %

Propriétaires non-accédants Accédants à la propriété Locataires secteur social Locataires secteur libre

Cette tendance à la hausse des loyers constitue une rupture historique avec les périodes précédentes, puisque, d’après les données de l’économiste Thomas Piketty, la part des loyers (« imputés » pour les propriétaires et réellement acquittés pour les locataires) dans le revenu national n’a jamais été aussi élevée, et atteint désormais 10 %, soit cinq fois plus qu’Après-guerre.

2 Fondation Abbé Pierre, « La France du logement trop cher », décembre 2016.

Les locataires du privé,

principales victimes de l’effort financier excessif pour se loger 12 %

10 % 8 % 6 % 4 % 2 % 0 %

1896 1904 1912 1920 1928 1936 1944 1952 1960 1968 1976 1984 1992 2000 2008

Part des loyers dans le revenu national

Lecture : la part des loyers (valeur locative des habitations) est passée de 2 % du revenu national en 1948 à 10 % en 2010.

Sources et séries :

voir piketty.pse.ens.fr/capital21c. http://piketty.pse.ens.fr/files/capital21c/pdf/G6.7.pdf

Selon nos travaux menés dans douze agglomérations, les ménages des couches moyennes relevant du 5e décile ne peuvent accéder, dans des conditions correctes, au parc locatif privé dans les zones tendues, au prix moyen du marché locatif2. La conséquence est un report vers la demande de logement social ou vers des fractions dégradées du parc privé, ou suppose des taux d’effort déraisonnables, comme c’est le cas de Madame R. (voir encadré ci-dessus), qui peuvent se traduire, au moindre accident de parcours, par des impayés et une grande précarisation des locataires.

Les procédures en justice pour impayés ont ainsi augmenté de 49 % entre 2001 et 2015 et le nombre d’expulsions avec le concours de la force publique, qui était de 6 337 en 2001, a augmenté de 127 % pour atteindre le chiffre record de 14 363 en 2015. Les efforts pour s’acquitter du loyer entraînent des privations sur d’autres dépenses essentielles, comme les soins, l’alimentation ou le chauffage. Entre 2006 et 2013, le nombre de personnes ayant eu froid en raison de privations financières ou de l’impossibilité de payer sa facture, a ainsi bondi de 44 %.

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 166-169)

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