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L’importation du Housing First

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 39-45)

Face à cette impasse des circuits de l’hébergement d’urgence, l’accès direct à un logement stable associé à un accompagnement renforcé et suffisamment souple pour laisser aux personnes la possibilité de se reconstruire à leur rythme et res-pectueux de leur capacité de choix doit être privilégié. L e modè le a é t é init ié en 1 9 9 2 a u x É t a t s- U nis par le programme Pathw ays to housing, dont le principe était de proposer un logement pérenne à des personnes sans domicile souffrant de troubles psychiques ou d’addictions, tout en les accompagnant, selon leurs besoins, en matière de santé, d’emploi, d’ouverture aux droits sociaux, etc. La démarche s’est avérée pertinente puisque l’évaluation du programme montre que 85 % à 90 % des personnes se maintiennent dans les lieux et que le coût du projet reste modeste, comparativement à celui des solutions d’hébergement. A u c ou rs des a nné es 2 0 0 0 , l’ ex pé rienc e a mé ric a ine essa ime en E u rope (Danemark, Finlande, Irlande, Hongrie, Pays-Bas, Autriche, Portugal et Royaume-Uni). En France, la perspective du logement d’abord a guidé la polit iq u e de ref ont e des dispo-sit if s d’ h é b erg ement et d’ a c c è s a u log ement init ié e en 2 0 0 9 par Benoist Apparu, alors secrétaire d’État chargé du Logement, pour faciliter la sortie des dis-positifs d’hébergement.

Cette nouvelle doctrine a suscité u n g ra nd nomb re d’ ex pé riment a t ions lo-c a les, suivies par l’Agenlo-ce nationale des solidarités alo-ctives 4. Les actions menées

4 ANSA, « Innovation sociale dans le champ de l’hébergement et de l’accès au logement. Évaluation des dispositifs lauréats de l’appel à projets conjoint DIHAL, DGCS et DHUP de l’année 2013 », 2016.

interrogent les mécanismes de l’accès au logement dans le parc privé, mais aussi social. En effet, au-delà de la capacité financière des ménages à payer un loyer, les freins à l’accès au logement des publics les plus exclus concernent aussi les doutes qui subsistent souvent quant à leur « savoir être » dans le logement (entretenir un intérieur, ne pas provoquer de conflits de voisinage, etc.), qui préoccupent les bail-leurs responsables de la gestion locative de bail-leurs résidences.

M. L., 32 ANS  : «  LE PASSAGE DE L’HÉBERGEMENT AU LOGEMENT, C’EST LA SÉRÉNITÉ. UNE BOUFFÉE D’AIR PUR. »

Lorsqu’il était fonctionnaire, M. L., 32 ans, occupait un logement de fonc-tion. Mais à 28 ans, marqué par un événement personnel, il conna t une grave dépression : « J ’ a i t o u t c a s s é d a ns m a v i e. J ’ai tout quitté et tout laissé tomber, mon boulot, etc. Mais je ne pouvais plus en trouver ensuite.

J e n’ai pas pu me réinsérer. C’était un souhait de ma part de foutre ma vie en l’air car c’était insoutenable. » Il découvre alors la vie en hébergement pendant plus de deux ans : « Au départ, j’ai tenté un peu de dormir dans la rue, mais ce n’était pas possible. ’ai appelé le 115, j’ai eu 2 ou 3 nuits d’h tel et après des hébergements plus fixes, avant d’intégrer un C . »

Il se montre aujourd’hui extrêmement critique à l’égard des structures qu’il a fréquentées. « En hébergement, on se retrouve pas mal avec d’autres hommes, des caractères différents, et parfois c’est très compliqué. Ç a peut être assez violent. J e voulais vraiment un logement, je supporte mal le fait de vivre avec d’autres personnes qui n’ont pas forcément les mêmes rythmes.

J ’occupais une chambre double, avec quelqu’un de bien et puis avec d’autres plus destructeurs. On avait les sanitaires, la cuisine et le salon en commun.

C’est assez problématique car certaines personnes ne sont pas capables de se prendre en charge et font vivre l’enfer à d’autres. Par exemple, pour le partage des t ches, dans la réalité il n’y en a pas : sur 15 hommes, il y en a peut-être 3 qui prennent en charge le ménage car ils veulent vivre dans un endroit décent et les autres se laissent vivre sur leur dos. Il y a des violences, des vols. »

Il regrette également le manque de confiance à son égard qu’il a pu rencon-trer, y compris au moment où il lui était proposé un logement dans le cadre de l’expérimentation à laquelle il a été associé : « Ils se sont permis de me mettre la pression au niveau du budget, de ne pas pouvoir assumer, de ne pas savoir prioriser les choses… »

M. L. occupe aujourd’hui un studio en Hlm dans le Val-de-Marne auquel il a pu accéder grâce à l’expérimentation « Accompagnement Social Global »

dans le logement menée par l’AFFIL 5 et soutenue financièrement par la DRIHL 6. Depuis près de 10 mois qu’il occupe son logement, et après 6 mois d’accompagnement, M. L. veille à gérer au mieux ses dépenses afin de ne pas se mettre en difficulté et recherche un emploi stable.

« L e p a s s a g e d e l ’ h é b er g em ent a u l o g em ent c ’ es t l a s é r é ni t é . L’arrivée ici ça a été une bouffée d’air pur. ans le logement, c’est plus facile de gérer, on peut faire à son rythme. On peut bien faire aussi, jusqu’au bout surtout : tout ce qui est courrier, comptes. C’est reposant de sortir et de savoir qu’on peut revenir le soir et être à l’abri. Pour la réinsertion (pro et perso) je n’y serais jamais arrivé en restant en hébergement. »

Les initiatives de type « logement d’abord », dont l’objectif final est l’appropriation du logement, impliquent un accompagnement du ménage. Celui-ci a pour but de s’adapter aux attentes et aux besoins de la personne accompagnée, et de rassurer le bailleur sur la gestion du budget et du logement. Il se distingue par une plus grande souplesse et une démarche d’« aller vers », qui suppose que les intervenants soient à l’initiative de la relation d’aide, qu’ils aillent à la rencontre des personnes sur leur lieu de vie.

La notion de confiance entre accompagnant et accompagné est placée au centre de la démarche. L’accompagnement privilégie par exemple la mobilisation d’un réfé-rent unique, disponible et joignable facilement, qui mène un « accompagnement social global » tenant compte de l’ensemble des problématiques de la personne (santé, emploi, démarches administratives, etc.). La fréquence des rencontres et la durée de l’accompagnement se font au cas par cas. D’autres modalités peuvent éventuellement être envisagées, comme le recours à des tiers « neutres » (travail-leurs pairs), susceptibles de proposer une vision plus proche de celle des personnes accompagnées 7.

L’accompagnement proposé dans la perspective du « logement d’abord » cherche également à impliquer activement les personnes dans leur projet, à le travailler avec elles, condition d’une pleine adhésion. Il intègre parfois la possibilité de

« retours en arrière concertés », un droit à l’échec et au recommencement, afin de s’adapter au rythme de chacun. Les projets qui concernent les personnes sans domicile peuvent, par exemple, prévoir la possibilité d’aller-retour vers leur ancien lieu de vie et de sociabilité (rue, squat, etc.).

5 Association francilienne pour favoriser l’insertion par le logement.

6 Direction régionale et Interdépartementale de l’hébergement et du logement.

7 Fondation Abbé Pierre, « L’accès à l’habitat des personnes SDF en situation de grande précarité », Les Cahiers du logement, 2013.

Totem : de la rue au logement 8

Le service Totem, mis en place fin 2012 sur le territoire grenoblois, s’adresse à des personnes isolées ou en couple sans enfants, vivant à la rue et pou-vant cumuler plusieurs problématiques (addictions, difficultés relation-nelles, troubles psychiques voire psychiatriques). Ces personnes souhaitent accéder directement à un logement sans passer par les dispositifs d’héber-gement « classiques ».

Le projet, soutenu par la DIHAL et financé par la DDCS, l’ARS, Grenoble, la Métropole et la Fondation Abbé Pierre, s’appuie pour sa mise en œuvre sur quatre associations. Le Relais Ozanam est chargé de l’accompagnement socio-éducatif global, de l’accès aux droits, des actions de médiation et de sensibilisation. L’Oiseau bleu s’occupe du volet sanitaire, de l’accès aux droits liés à la santé dont évidemment les soins, de la réinscription du pu-blic de Totem vers les dispositifs et les prises en charge de droit commun.

Le Centre de soins Abbé Grégoire mène une action plus spécifique sur la réduction des risques liés à l’usage des drogues. Un Toit pour tous enfin, via son Agence immobilière à vocation sociale (AIVS) « Territoires », est chargé de la captation de logements. À ces quatre associations s’ajoute une Équipe mobile de liaison psychiatrique précarité (EMLPP) qui assure des temps de permanences sur le « lieu repère » de Totem.

Deux critères d’entrée ont été définis  : avoir le désir d’intégrer un logement  ; disposer de ressources minimales à y consacrer. Quatre commissions d’admission partenariales se réunissent chaque année. Le délai d’attente entre l’admission et l’entrée dans le dispositif est d’environ un  an. Auparavant, les personnes sont rencontrées pour leur expliquer la démarche, et pour mettre à profit le temps d’attente, et formaliser dès cette étape une demande de logement social. La contractualisation à l’entrée entre le service Totem et les bénéficiaires ne prévoit pas de durée ni de contenu d’accompagnement préalable. L’idée est en effet d’adapter le projet au besoin pour sortir des réponses formatées. Les personnes s’engagent simplement à être en lien avec l’équipe.

38 personnes sont passées par le dispositif depuis 2012 : 28 ont eu une expé-rience locative, en Hlm, logement privé géré par l’AIVS ou non, dont 23 sont toujours locataires ou sous-locataires (soit 85  %)  ; 10 n’ont pas eu d’expé-rience locative, dont 7, entrées récemment dans le dispositif, sont en attente de logement. Enfin, 13 personnes sont sorties du dispositif : 5 sont logées, 5 ont quitté Grenoble, 1 est en CHRS, 1 est incarcérée, et 1 est décédée.

8 USH/ FNARS/ FORS, fiche d’expérience Isère, Totem : favoriser l’accès direct au logement de personnes en grande difficulté en Isère, avril 2016.

Une des clés de la réussite réside dans le partenariat noué entre l’équipe de Totem et le bailleur social qui propose le logement. En cas de problème, Totem assure une médiation rapide.

L’ANSA note toutefois qu’«  au moins 41  % des bénéficiaires ont eu des impayés ponctuels, et 16 % n’ont jamais payé leur loyer. (…) Une minorité d’entre elles ont rencontré des difficultés quotidiennes dans le logement : troubles de voisinage, menaces d’expulsion, situations de danger au sein du logement et incapacité à habiter son logement de façon continue. Cette dernière difficulté peut être pondérée dans la mesure où une bonne appro-priation du logement peut nécessiter de l’intégrer progressivement, sans l’habiter de manière continue. »

L’un des principaux défis de Totem consiste désormais à passer d’une logique expérimentale et confidentielle à une généralisation du dispositif.

Ceci passe par plusieurs réflexions et pistes d’amélioration actuellement en cours : un rattachement de Totem au SIAO, un lien plus systématique avec les dispositifs de droit commun, comme l’AVDL, le développement d’un réseau de bénévoles, un essaimage du dispositif.

De nombreuses initiatives ont donc vu le jour pour proposer des parcours résiden-tiels alternatifs aux personnes défavorisées et rassurer les bailleurs. Par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, l’Association départementale pour le développement des actions de prévention propose sept logements en sous-location à des « jeunes en errance » et, en parallèle, un parcours d’insertion sociale. L’objectif est que les jeunes puissent à terme devenir locataires en titre par un glissement du bail à leur nom, de manière à passer de l’hébergement au logement sans déménager.

La dynamique créée autour du logement d’abord et les premières expériences menées illustrent la pertinence de la démarche, même pour les publics apparem-ment les plus éloignés du logeapparem-ment. Dans la grande majorité des cas, les personnes conservent leur logement et, à l’aide d’un accompagnement plus ou moins ren-forcé, font la preuve à ceux qui en doutaient de leur « capacité à habiter ». Le fait d’avoir accédé à un logement leur offre une vraie plus-value en termes de stabilité, de santé, de possibilité de mener une vie familiale et sociale, de travailler ou de chercher un emploi. À la marge, certains accompagnements achoppent du fait de la non-adhésion de la personne, de baux qui ne « glissent pas », d’expulsions, etc., mais cela reste marginal et ne suffit pas à remettre en cause la démarche.

Les actions permettent également un rapprochement avec le droit commun et une diminution du non-recours aux droits. Des partenariats se créent ou se renforcent localement autour de l’accès au logement des plus exclus. Par ailleurs, malgré un accompagnement qui peut para tre coûteux, ces actions sont efficientes et per-mettent de réelles économies par rapport aux frais d’hébergement ou de nuitées

d’hôtel. Le même constat a été tiré de l’expérimentation américaine, qui a permis non seulement de limiter les frais d’hébergement mais aussi ceux de la prise en charge de soins dans l’urgence (consultations psychiatriques, séjours hospitaliers), voire de placement en détention.

« Capacité à habiter »  des personnes malades à la rue : le succès de l’expérience « Un chez-soi d’abord »

La stratégie du « logement d’abord » a conduit à la mise en œuvre d’une expérimentation sur le modèle américain, intitulée « Un chez-soi d’abord », sur quatre territoires entre 2011 et 2015 (Lille, Marseille, Paris, Toulouse), piloté par la DIHAL. Ce programme consiste à proposer à plus de 350 per-sonnes volontaires en situation de grande exclusion (sans domicile depuis plus de 8 ans en moyenne et depuis plus de 4 ans à la rue), souffrant de graves troubles psychiatriques ou d’addiction (à 80 %), une solution de lo-gement autonome en un mois en moyenne, la plupart du temps en sous-lo-cation, et un accompagnement intensif et pluridisciplinaire, ponctué de nombreuses visites à domicile.

Les résultats sont très positifs puisque, au bout de quatre ans, 88 % des personnes concernées étaient toujours dans leur logement. Leur stabilité résidentielle leur a permis d’enclencher le processus de «  rétablisse-ment » : accepter sa maladie ou ses addictions, commencer ou reprendre un programme de soins, une observance des traitements améliorée, des crises moins fréquentes et plus courtes, des durées d’hospitalisation deux fois moins longues, une reprise des liens avec l’entourage ou la famille et, pour 20 % d’entre elles, la reprise d’un emploi ou d’une formation. Le coût tourne autour de 14 000 euros par an, soit près de 40 euros par jour.

La principale leçon d’Un chez-soi d’abord, au-delà du succès global des opérations de relogement, est qu’il n’y a pas de caractère prédictif au succès ou à l’échec. Ni le type de maladie, ni le profil social, ni l’entou-rage familial, pas plus que la durée d’errance à la rue ou l’âge ne peuvent permettre de savoir à l’avance si le relogement sera durable ou non. Par conséquent, il est important de laisser leur chance aux personnes d’accé-der à un logement, à partir du moment où cela correspond à leur choix.

L’accès au logement autonome est un droit individuel, et en aucun cas un devoir, ou une obligation, pour des personnes qui préfèreraient un passage par des structures collectives (CHRS, résidence sociale…). Naturellement, le logement d’abord ne doit pas se transformer en injonction systématique.

Le succès de ce programme concerne avant tout la preuve de la « capa-cité à habiter » des personnes a priori les plus éloignées du logement et

remet donc en question la pertinence du concept. Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’une solution de logement autonome pérenne de droit commun. « Seules 15 % des personnes sont locataires en titre de leur lo-gement. L’accès à des logements financièrement accessibles et offrant une possibilité de glissement du bail ou à des logements dans le parc social reste très insuffisant 9».

Les bons résultats des programmes Housing First

Expérience Lieu et date Taux de maintien dans

le logement

Pathways to Housing New York, 2000 88 %

Street to Home New York, 2003 73 %

Home and Healthy for Good Boston, 2006 85 %

Denver Coalition Denver, 2003 96 %

Home and Healthy for Good Boston, 2006 85 %

At Home/Chez Soi 5 villes au Canada, 2008 87 %

Casa Primeiro Lisbonne, 2009 80 %

Discus Housing First Amsterdam, 2006 84 %

HF Copenhagen Copenhague, 2009 89 %

Housing First England 9 sites en Angleterre, 2014 83 %

Housing First Wien Vienne, 2012 98 %

Un chez-soi d’abord 4 villes en France 85 %

Source : Action Tank Entreprises & pauvreté, 2016.

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 39-45)

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